A
MAGDALENA ABAKANOWICZ : sculpteur et plasticienne
polonaise, née en 1930.
« Je vois le fil comme un élément fondamental de construction du monde organique de notre planète, comme le plus grand mystère de notre environnement (...) c’est le fil qui construit tous
les organismes vivants et toutes les plantes, nos nerfs, notre code génétique (...) nous sommes des structures filamenteuses... »
« L’Homme dans mon œuvre est l’Homme en général. »
« Mes troupeaux, mes foules, mes hardes sont comme un défi, une confession, un avertissement, une méditation. »
in Hurma Magdalena Abakanowicz – De la sculpture à l’installation, une question humaine à travers l’art contemporain, Somogy éditions d’art, Paris, 2004.
THEODOR ADORNO : 1903-1969, philosophe,
sociologue, compositeur et musicologue allemand
« Ecrire un poème après Auschwitz est barbare. » in Prismes, 1955.
« Auschwitz a prouvé de façon irréfutable l’échec de la culture (…) Toute culture consécutive à Auschwitz n’est qu’un tas d’ordure. » in Dialectique négative.
LEON BATTISTA ALBERTI :
1404-1472 : écrivain, philosophe, mathématicien, peintre, architecte, théoricien de la peinture et de la sculpture, humaniste italien de la Renaissance
« La richesse et la variété des couleurs ajoutent beaucoup à la grâce et à l’agrément d’une peinture. Mais j’aimerais que les peintres instruits pensent que l’on peut employer tout son
métier et son art à répartir seulement le noir et le blanc, et qu’il faut appliquer tout son talent et son soin à placer convenablement ces deux couleurs. » in Traité de la peinture, De
Pictura, 1435
PIERRE ALECHINSKY : peintre, graveur et
écrivain d’origine belge, né en 1927, membre du groupe Cobra apparu en 1948.
« L’étrangeté, c’est cacher pour montrer, faire parler l’ombre, le voile de l’objet, son emballage. »
« Les chinois, Max Ernst et les enfants sont les maîtres de l’estampage. L’encre pour les premiers, la peinture à l’huile ou la mine de plomb pour les suivants. »
« Des spectres d’arbres se dressent en négatif sur un fond d’encre noire. Je pense aux incendies de forêt. Mais s’émouvoir de la mort des arbres, pinceau à la main devant une feuille de papier, ne vient pas sans contradictions : le papier, la table, la gomme de Sénégal (de la sève qui parle dans le blanc des lignes), une bolée d’encre de Chine (du charbon de bois) procèdent de la forêt. On doit beaucoup aux arbres, c’est du reste en les observant que j’ai appris à dessiner. »
« Armée d’un pinceau, la main s’exerce, s’étonne, va au progrès. Une ligne qui détient à la fois l’idée, l’hésitation, les raccourcis de la pensée et de la décision, l’énergie avec ses accélérations et ses retenues. »
« Au commencement était l’image, décrétait ASGER JORN ; ajoutant à cette paraphrase qui devint le titre d’un de ses tableaux : _ C’est bien une idée d’écrivain de prétendre que ce fut le verbe ! »
« Le peu que raconte un tableau ne se dit qu’en le peignant, sinon autant écrire _ du reste, ce que je fais parfois. Mais alors pour partir ailleurs, pris par les mots plutôt que par les lignes, les couleurs. »
« Il y a toutes sortes de départs possibles. Cela peut commencer sur le papier à partir d’un rien, l’observation de quelque chose à découvrir, parmi les taches de couleur, rythmes ou signes jetés ici ou là apparemment dans le désordre. Ce canevas peut devenir immédiatement ou plus tard la source d’une foule de sujets qui émergent d’un fonds sans fonds, de formes qui se révèlent soudain prometteuses… Mais dans tous les cas, je refais, efface, recommence, tente de surmonter la confusion ou l’excès d’équilibre ou d’ordre, au point de faire moi-même, ici ou là, sur le papier de gros pâtés destructeurs qui m’aident à repartir en trébuchant ou m’évitent de tomber dans les pièges du trop joliment exécuté. »
« Modifier, créer, ne serait-ce pas plutôt supprimer ? Peindre ne consiste pas tant à ajouter qu’à retirer, gommer sur l’ensemble des formes foisonnantes les signes
excédents. »
Michel Sicard, écrivain français, à propos de Pierre Alechinsky.
« Beaucoup d’aspirants-peintres peignent à leurs débuts dans une chambre minuscule ; comme ils ont quitté le cahier d’écolier, elle s’élargit. L’œil apprécie une distance neuve, prenant
possession d’un rectangle plus vaste, à la verticale ; et le geste de tracer change en passant de la position assise à la position debout. Gymnastique différente. Respiration. Elle n’existe
plus, la chambre, ses murs ont disparu. On voit blanc…
A Paris, j’ai pratiqué toutes sortes de chambres… Depuis qu’à Bougival enfin j’ai pu construire un atelier propice, avec la verrière au nord, un mur de travail de six mètres sur dix, je me suis
posé la question : que serait devenue ma peinture si j’avais continué à tableauter de chambre en chambre, comment m’en serais-je tiré ? »
GHADA AMER : artiste plasticienne d’origine
égyptienne, née en 1963.
« Le travail de la couture m’empêche aussi de me demander comment démarrer la production de l’image. J’ai voulu créer et travailler d’une manière qui réclame beaucoup de temps pour éviter la
peur devant le tableau blanc !! En français, on parle de peur devant la page blanche. C’est une vraie terreur, une sorte de panique que les artistes éprouvent au moment d’attaquer la surface
blanche !! Et ça recommence à chaque tableau. »
GIOVANNI ANSELMO : artiste plasticien apparenté à l’Arte Povera (art pauvre, né en 1940
« Moi, le monde, les choses, la vie, nous sommes en situation d’énergie. La question est justement de ne pas cristalliser de telles situations, mais de les maintenir ouvertes et vivantes en
fonction de notre propre vie. »
CARL ANDRE : chef de fil du minimalisme américain, né en 1936
« La plupart de mes œuvres, en tous cas les plus réussies, sont en quelques sortes des chaussées _ elles vous obligent à marcher le long d’elles, autour d’elles ou amènent le spectateur sur
elles... »
JANINE ANTONI :
artiste plasticienne américaine, née en 1964.
« Je m’intéresse aux rituels quotidiens du corps ; mon propos est de convertir les actes les plus basiques _ manger, prendre un bain, faire le ménage _ en processus sculpturaux.
DIANE ARBUS : 1923-1971, photographe
américaine
"Rien n’est jamais comme on a dit que ce serait. Ce que je reconnais, c’est que je n’ai jamais vu avant."
"Ce que j’aime surtout, c’est aller où je n’ai jamais été avant."
"Si j’étais simplement curieuse, je pourrais difficilement dire à quelqu’un : " je veux venir chez vous et vous parler et vous faire raconter l’histoire de votre vie." Les gens me répondraient à coup sûr : "Vous êtes folle." En plus, ils seraient bigrement sur leurs gardes. Mais l’appareil photo est une sorte de passeport. Beaucoup de gens tiennent à ce qu’on s’intéresse à eux et ce moyen-là paraît raisonnable. (...)
Il se passe toujours deux choses : une impression de familiarité et puis le sentiment que c’est absolument unique. (...)
Tout le monde a ce désir de vouloir donner de soi une certaine image, mais c’en est une tout autre qui apparaît, et c’est cela que les gens remarquent. Vous voyez quelqu’un dans la rue et ce que vous remarquez essentiellement chez lui, c’est la faille. C’est déjà extraordinaire que nous possédions chacun nos particularités. Et non contents de celles qui nous ont été données, nous nous en créons d’autres. Toute notre attitude est un signal donné au monde pour qu’il nous considère d’une certaine façon, mais il y a un monde entre ce que vous voulez que les gens pensent de vous et ce que vous ne pouvez pas les empêcher de penser. Et cela a un rapport que j’ai toujours appelé le point de rupture entre l’intention et l’effet. Je veux dire que si vous observez la réalité d’assez près, si d’une façon ou d’une autre vous la découvrez vraiment, la réalité devient fantastique. Vous savez, c’est réellement fantastique que nous ressemblions à ce à quoi nous ressemblons et c’est cela qui ressort très clairement dans une photographie. Il y a quelque chose d’ironique dans la vie et cela vient du fait que l’effet que vous voulez créer ne ressort jamais comme vous l’aurez désiré.
Ce que j’essaie de décrire, c’est l’impossibilité de sortir de sa peau pour entrer dans celle d’un autre. Et c’est ce que tout cela tend à dire. Que la tragédie des autres n’est pas la même que la vôtre.
Autre chose : une photographie doit être spécifique. Je me souviens, il y a longtemps, quand j’ai commencé à photographier, je me suis dit : "il y a énormément de personnes dans le monde et ça va être bien difficile de les photographier toutes, donc, si je photographie une sorte d’être humain généralisé, tout le monde le reconnaîtra." Ce serait en quelque sorte ce que l’on appellerait "l’homme moyen" ou quelque chose du genre. Ce fut mon professeur Lisette Model qui m’a finalement fait comprendre que plus on est précis, plus on devient général. C’est une vérité qu’il faut regarder en face. Et il y a certaines évasions, certaines pudeurs dont je pense qu’il faut se débarasser.
Le procédé lui-même a une sorte d’exactitude, une sorte de pénétration, à laquelle nous ne sommes pas généralement soumis ; à laquelle nous ne soumettons pas notre prochain. Nous sommes plus indulgents envers les autres que l’appareil photo. L’appareil est un peu froid, un peu dur. (...)
J’ai beaucoup photographié les phénomènes de foire. Ce furent même les premiers sujets que j’ai photographiés et cela m’a toujours formidablement exaltée. Je les adorais. Et j’en adore encore certains. Je ne dirais pas que ce sont mes meilleurs amis, mais ils me font éprouver un sentiment de honte et de terreur. Il y a une qualité légendaire chez les monstres. Comme un personnage de conte de fées qui vous arrête pour vous demander la réponse à une énigme. La plupart des gens vivent dans la crainte d’être soumis à une expérience traumatisante. Les monstres sont déjà nés avec leur propre traumatisme. Ils ont déjà passé leur épreuve pour la vie. Ce sont des aristocrates. (...)
Je ne m’imagine pas qu’on puisse rendre la réalité exactement comme elle est, mais on peut s’en approcher davantage. (...)
Une des choses dont j’ai souffert depuis mon enfance, c’est que rien, aucune adversité ne pouvait m’atteindre. J’étais enfermé dans un climat d’irréalité qui pour moi n’était pas autre chose que l’irréalité. Et ce sentiment d’immunité était, aussi ridicule que cela puisse paraître, douloureux. Pendant longtemps, c’était comme si je n’avais pas hérité de mon propre royaume. Le monde me semblait appartenir au monde. Je pouvais apprendre des choses, mais elles ne paraissaient jamais être le fruit de ma propre expérience.
Je n’étais pas une enfant avec de grands désirs. Je n’avais pas le culte du héros. Je ne voulais pas jouer du piano ni rien d’autres. Je peignais mais je détestais peindre et j’ai abandonné tout de suite après mes études secondaires, parce qu’on ne cessait de me dire que j’étais formidable. C’était l’époque de l’expression individuelle, j’étais dans une école privée et la tendance était de demander : "Que voulez-vous faire ?" Alors vous faisiez quelque chose et ils disaient : "Formidable !" Cela m’a donné le trac. Je me souviens que je détestais l’odeur de la peinture et le bruit du pinceau sur le papier. Quelque fois, je ne regardais même pas, mais écoutais seulement l’horrible bruit du pinceau. Je ne voulais pas qu’on me dise que j’étais formidable. J’avais l’idée que si j’étais aussi douée, la peinture ne valait vraiment pas le coup.
Il m’a toujours semblé que la photographie a tendance à traiter de la réalité, alors que le cinéma tend plutôt à traiter de la fiction. (...)
Quelque fois, la connaissance de soi-même ne mène nulle part. Quelque fois, cela vous laisse seulement l’esprit vide. Comme : Me voilà, j’ai une histoire. Il y a des choses qui me semblent mystérieuses dans le monde. Il y a des choses qui m’embêtent dans le monde. Mais il y a des moments où tout cela n’a aucune importance.
Une autre chose qui m’a amenée à travailler, c’est la lecture. (...)
Autrefois, j’avais une théorie sur l’art photographique. C’était la sensation d’intervenir entre deux actions ou entre l’action et le repos. (...)
Dernièrement, j’ai découvert avec stupeur à quel point je peux aimer ce que l’on ne voit pas dans une photographie. Une obscurité véritablement physique. Et c’est très exaltant pour moi de retrouver l’obscurité.
Ce qui me passionne dans la technique - je déteste employer ce mot qui fait croire à un tour de passe-passe - mais ce qui m’émeut, c’est qu’elle semblait venir d’un endroit profond et mystérieux. Je veux dire que cela peut avoir affaire avec le papier et le révélateur, etc., mais cela vient, la plupart du temps, du choix profond que quelqu’un a fait après de longues réflexions et qui continue à le hanter.
L’invention est presque toujours ce genre de chose subtile et inévitable. On a tendance à s’approcher toujours un peu plus de la beauté de sa propre invention. On limite de plus en plus ses choix et on se spécialise. La lumière qui émane de chaque personne, la qualité du tirage, le choix du sujet, tout cela joue un rôle dans l’invention. Il y a un million de choix à faire. C’est une chance dans un sens, ou bien une malchance. Les uns détestent une certaine forme de complexité. D’autres ne veulent que cette complexité. Mais rien de cela n’est vraiment intentionnel. Je veux dire que cela ressort de votre propre nature, de votre identité. Nous avons tous une identité. On ne peut pas y échapper. C’est ce qui reste lorsque tout est enlevé. Je crois que les plus belles inventions sont celles auxquelles on a pas pensé.
Certaines photos sont des raids de reconnaissance, sans même que vous le sachiez. Elles deviennent des méthodes. C’est important de faire de mauvaises photographies. Elles peuvent vous faire reconnaître quelque chose que vous n’aviez pas vu d’une façon qui vous le ferra reconnaître quand vous le reverrez.
J’ai horreur de l’idée de composition. Je ne sais pas ce qu’est une bonne composition. Je suppose que je dois savoir un peu de quoi il s’agit, car j’ai beaucoup tâtonné pour découvrir ce que j’aimais et ce que je n’aimais pas. Parfois, pour moi, la composition est liée à une certaine luminosité ou à une certaine tranquillité. Parfois, elle est le résultats d’erreurs idiotes. Il y a une certaine façon de bien faire et une certaine façon de mal faire et tantôt je préfère le bien fait et tantôt le mal fait. C’est cela la composition.
Récemment, j’ai fais une photo - ce n’était pas la première expérience - et j’en ai tiré une quantité d’épreuves expérimentales. Il y avait quelque chose qui clochait dans toutes. J’ai pensé que c’était plutôt raté et j’allais recommencer. Mais il y en avait une qui était tout à fait particulière. Une vraie photo d’amateur. Un peu comme si le mari de la dame l’avait prise lui-même. C’était terriblement direct et assez laid et il y avait quelque chose d’excitant dans cette image. Je me suis prise à l’aimer de plus en plus et à présent j’en suis secrètement folle. (...)
Très souvent, quand vous partez photographier, c’est comme si vous vous rendiez à une fête. Disons un concours de beauté. Vous vous faîtes une vague idée de la chose, il y aura des gens qui seront des juges et choisiront un gagnant parmi tous ces candidats et puis, quand vous êtes sur place, ce n’est pas ça du tout. (...)
Dans mon travail, je m’accommode de la maladresse. Par cela, je veux dire que je n’aime pas arranger les choses. Si je me trouve en face de mon sujet, au lieu de l’arranger, je m’arrange moi-même. (...)
Une chose curieuse : je n’ai jamais peur quand je regarde le verre dépoli. Une personne pourrait s’avancer vers moi avec un revolver, j’aurai les yeux collés au viseur et ce serait comme si je ne pouvais pas être vulnérable. Je trouverais ça tout simplement passionnant. Je veux dire que je suis sûre qu’il y a des limites. (...) Mais il y a un genre de pouvoir qui émane de l’appareil photo. Je veux dire que tout le monde se rend compte que vous avez un avantage. Il y a dans cet objet que vous portez une certaine magie qui leur fait quelque chose. Cela les fige d’une certaine façon. (...)
Les chinois ont une théorie selon laquelle l’ennui mène à la fascination et je pense que c’est vrai. Je ne choisirai jamais un sujet pour sa relation avec moi ou pour ce que j’en pense. Il faut simplement choisir un sujet, et ce que vous en ressentez, ce que cela représente pour vous commence à se préciser si vous vous contentez simplement de le choisir et de le traiter assez souvent. (...)
La chose importante à savoir c’est qu’on ne sait jamais rien. On tâtonne toujours pour trouver son chemin.
Une chose qui m’a frappée très tôt est que vous ne mettez pas dans une photographie ce qui va en sortir. Ou, vice versa, ce qui ressort n’est pas ce que vous y avez mis.
Je n’ai jamais pris la photo que j’avais l’intention de prendre. Elles sont toujours meilleures ou pires.
Pour moi, le sujet est toujours plus important que l’image. Et plus compliqué. J’ai de l’intérêt pour le tirage de l’épreuve, mais ce n’est pas sacré pour moi. Je pense vraiment que l’important, c’est ce que cela représente. Je veux dire qu’il faut que cela représente quelque chose. Et ce que cela représente est toujours plus remarquable que ce que c’est.
Je sens vraiment que j’ai une vague idée en ce qui concerne la qualité des choses. Je veux dire que c’est très subtil et ça me gêne un peu d’en parler, mais je crois vraiment qu’il y a des choses que personne ne verrait si je ne les photographiais pas."
Toutes les citations précédentes sont tirées du livre "Diane Arbus", octobre 2011, éditions de La Martinière/Jeu de Paume.
« La photographie est un secret qui nous parle d’un secret. »
REINALDO AREINAS : écrivain cubain, né à
Cuba en 1943, mort en exil en 1990.
« … ; tôt ou tard, pour chaque minute de plaisir que nous avons vécue, nous subissons ensuite des années de douleur ; ce n’est pas vengeance de Dieu, c’est celle du Diable, ennemi
de toute beauté. Mais la beauté a toujours été dangereuse. Marti disait que tout être qui porte la lumière reste seul ; je dirais que tout être qui s’adonne à une certaine forme de beauté
est tôt ou tard détruit. La grande humanité ne tolère pas la beauté, peut-être parce qu’elle ne peut s’en passer ; l’abominable laideur avance chaque jour à grands pas. »
in Avant la nuit, autobiographie, éd. Babel poche, p.283.
HANNAH ARENDT : 1906-1975, professeur de
théorie politique, considérée comme philosophe
« Parmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué par l’homme, on distingue entre objets d’usage et œuvre d’art ; tous deux possèdent une
certaine permanence qui va de la durée ordinaire à une certaine immortalité potentielle dans le cas de l’œuvre d’art. En tant que tels, ils se distinguent d’une part des produits de consommation,
dont la durée au monde excède à peine le temps nécessaire à les préparer, et d’autre part des produits de l’action, comme les évènements, les actes et les mots, tous en eux-mêmes si transitoires
qu’il survivraient à peine à l’heure où au jour où ils apparaissent au monde, s’ils n’étaient conservés d’abord par la mémoire de l’homme, qui les tisse en récit, et puis par ses facultés de
fabrication. Du point de vue de la durée pure, les œuvres d’art sont clairement supérieures à toutes les autres choses ; comme elles durent plus longtemps au mode que n’importe quoi d’autre,
elles sont les plus mondaines des choses. Davantage, elles sont les seules choses à n’avoir aucune fonction dans le processus vital de la société à proprement perler, elles ne sont pas fabriquées
pour les hommes, mais pour le monde, qui est destinée à survivre à la vie limitée des mortels, au va-et-vient des générations. Non seulement elles ne sont pas consommées comme des biens de
consommation, ni usées comme des objets d’usage : mais elles sont délibérément écartées des procès de consommation et d’utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités de la vie
humaine. Cette mise à distance peut se réaliser par une infinité de voies. Et c’est seulement quand elle est accomplie que la culture, au sens spécifique du terme, vient à
l’être. »
in La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972 réédité en 1989, p.267-268.
« Le domaine public, monde commun, nous rassemble mais aussi nous empêche, pour ainsi dire, de tomber les uns sur les autres. Ce qui rend la société de masse si difficile à supporter, ce
n’est pas, principalement du moins, le nombre des gens ; c’est que le monde qui est entre eux n’a plus le pouvoir de les rassembler, de les relier, de les séparer. »
in La condition de l’homme moderne, Pocket Agora, Paris, 1983, p.93.
ARMAN : né Armand Pierre Fernandez, 1928-2005sculpteur
français, apparenté au Nouveau réalisme fondé en 1960.
« J’affirme que l’expression des détritus, des objets, possède sa valeur en soi, directement ; sans volonté d’agencement esthétique les oblitérant et les rendant pareils aux couleurs
d’une palette. (…) Il s’agit des accumulations, c’est-à-dire la multiplication et le blocage dans un volume correspondant à la forme, au nombre et à la dimension des objets manufacturés. »
« Les petits objets accumulés perdent leur identité pour devenir surface, cette fois-ci complètement all over. » (à propos des accumulations).
« Il y a une logique dans la destruction : si on casse une caisse rectangulaire, on obtient une composition cubiste ; si on casse un violoncelle, on aboutit à un résultat romantique. »
« Je m’intéresse aux sécrétions humaines et l’objet est, par excellence, un produit de l’homme… »
« Le Nouveau Réalisme a rassemblé des artistes qui ont perçu, avant les autres, les problèmes posés par les rapports avec l’objet, l’objet produit, mécanique, rejeté, la production de masse, les affiches. Ils ont essayés de comprendre la civilisation dans ce qu’elle a de matériel, le problème de l’envahissement des slogans, de la publicité, de la machine, des supermarchés, le monde urbain et l’objet manufacturé. »
« Dans le fond, ce qui serait un geste très Nouveau Réaliste ce serait de montrer l’usine comme un musée ; sans rien y toucher. »
JEAN HANS ARP : 1886-1966, peintre, un sculpteur et
un poète allemand puis français. Co-fondateur du mouvement Dada à Zurich en 1916, proche par la suite des surréalistes.
« Une oeuvre qui n’a pas sa racine dans le mythe, la poésie, qui ne participe pas à la profondeur, à l’essence de l’univers, n’est qu’un fantôme. »
in Jours effeuillés, Paris, Gallimard, 1985.
B
GASTON BACHELARD : 1884-1962, philosophe
français
« L’acte de teindre prend toute sa forme première… apparaît bientôt comme une volonté de la main, d’une main qui presse l’étoffe jusqu’au dernier fil. La main du teinturier est une main de
pétrisseur qui veut atteindre le fond de la matière, l’absolu de la finesse. La teinture va ainsi au centre de la matière. »
FRANCIS BACON : philosophe
anglais
« Lis, non pour contredire ou réfuter, ni pour croire ou admettre, mais pour peser le pour et le contre, et réfléchir. »
FRANCIS BACON : 1909-1992, peintre
anglais.
« Toute ma vie entre dans mes tableaux. »
« Si on peut le dire, pourquoi le peindre ? »
« Plus je vieillis et plus la peinture, pour moi, est devenue un accident. »
« Je déteste mon propre visage, et j’ai fait des autoportraits faute d’avoir quelqu’un d’autre à faire. »
« … pendant que je peins, tout d’un coup, en provenance en quelque sorte de la matière picturale elle-même, surgissent des formes et des directions que je ne prévoyait pas. C’est cela que j’appelle des accidents. »
« Il est impossible de parler de peinture. On peut seulement parler autour d’elle. »
« J’aimerai que mes tableaux donnent l’impression qu’un humain est passé entre eux, comme un escargot, laissant la trace de l’humaine présence et la mémoire du passé comme l’escargot laisse un sillon de bave. »
« L’objet essentiel n’est pas de peindre la personne mais l’espace entre la personne et moi. »
« Je sais que dans mon œuvre, les choses les meilleures sont celles qui sont arrivées par hasard _ les images qui se trouvaient prises tout d’un coup, et que je n’avais pas anticipées. On ne sait pas ce qu’est l’inconscient, mais il arrive parfois que quelque chose pointe en nous-même. Ça a l’air un peu pompeux de parler d’inconscient, maintenant, alors, il faut peut-être mieux dire hasard. Je crois à l’existence d’un chaos très profondément organisé, et à l’importance du hasard. Il me faut espérer que mon instinct me fait faire ce qu’il faut, parce que je ne peux pas effacer ce que j’ai fait. »
« Au fil des ans, Peter Beard m’a donné un grand nombre de ses magnifiques photographies ; pour moi les plus fortes sont celles d’éléphants en décomposition, sur lesquelles les carcasses se transforment progressivement en de grandioses sculptures, sculptures qui au-delà de simples formes abstraites portent l’empreinte de le vanité et du tragique de la vie. »
« N’importe quoi en art parait cruel parce que la réalité est cruelle. »
« Quand on parle de la violence de mes peintures, cela n’a rien à voir avec la violence de la guerre. »
« Je suis toujours très surpris lorsqu’on parle de la violence de mes toiles. Moi, je ne les trouve pas du tout violentes. Il y a un certain réalisme dans mes toiles qui peut donner cette impression, mais la vie est tellement violente, tellement plus violente que tout ce que je peux faire ! »
« (...) Oui, c’est cela, la violence qui ouvre sur quelque chose, c’est rare, mais c’est ce qui peut parfois se produire en art ; des images font alors éclater l’ancien cadre et rien alors n’est plus comme avant. » (à propos de Picasso)
« Nous vivons presque toujours derrière des écrans. »
« Je suis avide quant à la vie et je suis avide comme artiste. Je suis avide de ce que le hasard peut, je l’espère, me donner qui dépasse de loin quoi que je puisse calculer logiquement. Et
c’est en partie mon avidité qui m’a fait vivre au hasard comme on dit _ avidité de manger, de boire, d’être avec les gens que j’aime, d’avoir l’excitation des choses qui se produisent. La même
chose aussi pour le travail. »
- entretien avec David Sylvester, 1974.
MIQUEL BARCELO : peintre espagnol, né en
1957.
« Ces toiles de 12 ou 15 m², tu pourrais vivre dedans. J’y ai pensé souvent ; comme je les travaille par terre, je me promène dedans, ça devient comme le lieu où l’on habite, et j’aime
bien cette métamorphose en relief. »
« Depuis déjà un moment, je n’éprouve aucune fierté de mes tableaux. Aux expos, devant des peintures d’il y a quelques années, une certaine perplexité et surtout du soulagement ou quelque
chose comme ça, je crois.
A l’atelier, de l’étonnement si quelqu’un en fait l’éloge – un vrai étonnement, invisible – de l’inquiétude, peine, comme une mère qui voit arriver chaque jour ses enfants, la gueule pétée des
bagarres. Et aussi un petit détachement puisqu’ils ne sont pas finis, les pauvres. Surtout la nuit, le détachement, afin de partir plus ou moins en bon état… Puis le matin, comme ces malades qui,
après une nuit affreuse, sont réveillés par des infirmières souriantes qui ouvrent grand les fenêtres et font entrer le docteur, rasé de prés, qui les encourage, qui dit que ça va beaucoup mieux.
Mes pauvres tableaux, le matin, sales et rancuniers, de mauvais poils, mal assortis, puant de l’haleine, ni trop vieux pour être dignes ni trop jeunes pour être émouvants.
Crevé, dés qu’il fait nuit je m’enfuis de l’atelier comme celui qui vient de perdre au casino l’argent emprunté pour soigner son fils malade du cœur. »
« Je travaille intuitivement, de façon un peu suicidaire. Je peux rester de huit à dix heures sur un tableau, et au bout du compte le tableau redevient blanc, je le barbouille d’une couche de peinture blanche qui efface tout. Rien n’est visible mais rien n’est perdu non plus. Ca s’accumule comme des strates d’images. »
« Ma peinture, c’est le contraire du virtuel, c’est la chose même. Cela n’a rien d’hyperréaliste, ni de photographique. C’est la peinture qui crée cette réalité. Le rapport matière-support avec l’image qui présente et non plus représente. Toute la peinture est dans cet espace entre les choses et le tableau. C’est la vie et une façon de démourir. Ne pas mourir, lutter contre la mort, la mort de la peinture. »
« J’aime beaucoup la vie réelle en Afrique. Les contacts avec le monde, les gens, la terre deviennent très physiques, plus même qu’à Majorque. Dans la situation extrême de l’Afrique, la vie et la mort sont très proches, et tu en es conscient tout le temps. Tout est extrême, de la lumière à la misère. Chaque geste d’artiste prend une importance, faite de moins de conneries qu’ailleurs, rien ne peut être banal. »
« Pense que la peinture ce n’est plus un métier ni un travail, c’est presque une maladie. Ce n’est pas un modus vivendi ni une façon de vivre, c’est au contraire une façon de démourir. Comme
la poésie. Une façon d’établir des rapports avec le monde comme les éclairs et les virus… Sache, peintre, que la matière de ton travail c’est ta vie, et que, comme le plâtre, il faut l’utiliser
pendant qu’il est frais et chaud à pleines mains. »
toutes citations précédentes in Miquel Barcelo, Mapamundi, éd. Fondation Maeght, 2002.
ALESSANDRO BARICCO : écrivain,
musicologue et enseignant italien, né en 1958.
« Sable à perte de vue, entre les dernières collines et la mer _ la mer _ dans l’air froid d’un après-midi presque terminé, et béni par le vent qui souffle toujours du nord.
La plage. Et la mer.
Ce pourrait être la perfection _ image pour un œil divin _ monde qui est là et c’est tout, muette existence de terre et d’eau, œuvre exacte et achevée, vérité _ vérité _, mais une fois encore
c’est le salvateur petit grain de l’homme qui vient enrayer le mécanisme de ce paradis, une ineptie qui suffit à elle seule pour suspendre tout le grand appareil de vérité inexorable, un rien,
mais planté dans le sable, imperceptible accroc dans la surface de la sainte icône, minuscule exception posée sur la perfection de la plage illimitée. A le voir de loin, ce n’est guère qu’un
point noir : au milieu du néant, le rien d’un homme et d’un chevalet de peintre.
Le chevalet est amarré par de minces cordes à quatre pierres posées dans le sable. Il oscille imperceptiblement dans le vent qui souffle toujours du nord. L’homme porte des cuissardes et une
grande veste de pêcheur. Il est debout, face à la mer, tournant entre ses doigts un fin pinceau. Sur le chevalet, une toile.
Il est comme une sentinelle _ c’est ce qu’il faut bien comprendre _, dressée là pour défendre cette portion du monde contre la silencieuse invasion de la perfection, fêlure infime qui désagrège
la spectaculaire mise en scène de l’être. Parce qu’il en va toujours ainsi, la petite lueur d’un homme suffit pour blesser le repos de ce qui était à un doigt de devenir vérité, et redevient
alors immédiatement attente et interrogation, par le simple et infini pouvoir de cet homme qui est fenêtre, lucarne, fente par où s’engouffrent à nouveau des torrents d’histoires, répertoire
immense de ce qui pourrait être, déchirure sans fin, blessure merveilleuse, sentier foulé de milliers de pas où rien ne pourra plus être vrai mais où tout sera _ comme sont précisément les pas de
cette femme qui, enveloppée dans un manteau violet, la tête couverte, mesure lentement la plage, longeant le ressac de la mer, et raye de droite à gauche la perfection désormais enfuie du grand
tableau, grignotant la distance qui la sépare de l’homme et de son chevalet jusqu’à n’être plus qu’à quelques pas de lui, puis juste à côté, là où s’arrêter n’est rien _ et, sans dire mot,
regarder.
L’homme ne se retourne même pas. Il continue à fixer la mer. Silence. De temps en temps, il trempe le pinceau dans une tasse de cuivre et trace sur la toile quelques traits légers. Les soies du
pinceau laissent derrière elles l’ombre d’un ombre très pâle que le vent sèche aussitôt en ramenant la blancheur d’avant. De l’eau. Dans la tasse de cuivre, il n’y a que de l’eau. Et sur la
toile, rien. Rien qui se puisse voir. » premières pages.
« Et où la nature décide de placer ses propres limites, le spectacle explose. » p.46.
« Elle avait cette beauté que seuls peuvent avoir les vaincus. Et la limpidité de ce qui est faible. Et la solitude, parfaite, de ce qui s’est perdu. » p.48.
« Ann Devéria la regarda _ mais d’un regard pour lequel le mot regarder est déjà trop fort _ regard merveilleux qui voit sans se poser de questions, qui voit, c’est tout _ un peu comme deux choses qui se touchent _ les yeux, et l’image _ un regard qui ne prend pas mais qui reçoit, dans le silence le plus absolu de l’esprit, le seul regard qui pourrait nous sauver _ vierge de toute demande, encore non entamée par le vice du savoir _ seule innocence qui pourrait prévenir la blessure des choses quand elles pénètrent dans le cercle de nos sensations _ voir _ sentir _ car ce ne serait plus qu’un merveilleux face-à-face, un être-là, nous et les choses, et dans les yeux recevoir le monde tout entier _ recevoir _ sans aucune demande, et même, sans étonnement _ recevoir _ rien d’autre _ recevoir _ dans les yeux _ le monde. » p.51.
« Mais j’ai compris tard de quel côté il fallait aller. On croit que c’est autre chose qui sauve les gens : le devoir, l’honnêteté, être bon, être juste. Non. Ce sont les désirs qui vous sauvent. Ils sont la seule chose vraie. » p.103.
« Ne rien faire est une chose. Ne rien pouvoir faire en est une autre. » p. 108.
« ... elle apprit que parmi toutes les vies possibles il faut choisir une à laquelle s’ancrer, pou pouvoir contempler sereinement, toutes les autres. » p. 188.
toutes citations précédentes tirées d’Océan mer, roman, 1993, folio.
MATTHEW BARNEY : artiste plasticien
américain, né en 1967.
« Les formes ne prennent vraiment vie pour moi qu’une fois qu’elles ont été digérées, passées au moulin de la construction narrative. » à propos du cycle cremaster
ROLAND
BARTHES : 1915-1980 écrivain et sémiologue français.
« D’un corps réel, qui était là, sont parties des radiations qui viennent me toucher, moi qui suis ici ; peu importe la durée de la transmission ; la photo de l’être disparu vient
me toucher comme les rayons différés d’une étoile. » à propos de la photographie.
GEORG BASELITZ : peintre allemand, né en
1938.
« Tous les systèmes totalitaires essaient de réaliser ou du moins de rendre sensible l’unité art et politique. Mais l’art n’est pas utilisable dans ce sens. Les artistes ne peuvent avoir de
directeur de conscience : ils seraient des peintres morts ! » 1988.
« Devenir conformiste peut être intéressant pour toi mais jamais pour l’art. » 1988.
« Il est vrai que les artistes allemands sont nationalistes _ ce que je trouve très bien _ et sont difficilement intégrables dans le cadre international. Je pense que c’est bien, parce que lorsque je vais en Italie ce n’est pas l’Allemagne que je veux y trouver et lorsque je vais en Chine ce n’est pas pour visiter l’Amérique. C’est un signe de vivacité. Je trouve les tentatives de cosmopolitisme, d’internationalisme, ennuyeuses. » 1988.
« La peinture est toujours d’une qualité moindre que ce qui est présent dans la mémoire. Il faut savoir tenir la mémoire à une certaine distance pour faire place à la lumière, à l’avenir. Ce serait merveilleux que l’avenir se montre grand devant toi. Est-ce possible ? C’est toujours le passé qui se montre grand derrière moi ! » 1988
« Faire un dessin consiste à faire l’essai, le projet de quelque chose qui n’est pas encore réel » 1988.
« Je trouve ces sculptures très singulières, très irritantes, car elles ne respectent pas les principes de la sculpture. Elles n’ont ni muscles, ni squelette, ni peau. Elles ont seulement une surface qui n’a pas de contenu. »
« L’art est le fait d’anarchistes, de rebelles inutiles à l’ordre. Ce qui veut dire que, dans le contexte social, les artistes sont d’abord des parias. » 1988 (in ART PRESS 123).
CHARLES BAUDELAIRE : 1821-1867, poète et
critique d’art français.
« Le romantisme est dans la manière de sentir. Expression la plus actuelle du Beau : intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini. »
« La franchise absolue, moyen d’originalité. » in Fus ées.
« … ces raisonneurs si communs, incapables de s’élever jusqu’à la logique de l’Absurde. » in Le Spleen de Paris.
« Le beau est toujours bizarre. »
« Parce que le beau est toujours étonnant, il serait absurde de supposer que ce qui est étonnant est toujours beau. »
« La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d’une haine instinctive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin, il faut que l’un des deux serve l’autre. »
SIMONE DE BEAUVOIR : 1908-1986,
philosophe, romancière et essayiste française.
« On ne naît pas femme, on le devient. »
BEN : artiste français d’origine suisse, né en
1935.
« Je classe tout alphabétiquement en ordre dans des boîtes. Une opération qui me procure du plaisir, c’est de mettre les couteaux avec les couteaux, les fourchettes avec les fourchettes, et
de fermer le tiroir. »
WALTER BENJAMIN : 1892-1940, philosophe
allemand
« … celui qui se recueille devant une œuvre d’art se plonge en elle, il y pénètre comme ce peintre chinois dont la légende raconte qu’il se perdit dans le paysage qu’il venait de
peindre ; au contraire, dans le cas du divertissement c’est l’oeuvre d’art qui pénètre dans la masse. »
« L’homme ne peut communiquer en état d’ivresse avec le cosmos qu’en communauté (…) C’est la marque de la menaçante confusion de la communauté moderne que de tenir pour quelque chose d’insignifiant qu’on peut écarter, et que de l’abandonner à l’individu, qui en fait un délire mystique lors des belles nuits étoilées. »
JOSEPH BEUYS : 1921-1986, artiste
allemand.
« Le monde dépend de la constellation de quelques parcelles de matière. »
« C’est, je crois, le mystère de la science occidentale qui a mis en œuvre l’idée que l’homme était capable d’affronter la matière. »
« Maintenant, l’art doit être compris de manière anthropologique comme théorie de la créativité. »
« L’homme doit avoir conscience que tout tient ensemble : la plante, l’animal, la terre et que ces éléments sont, pratiquement, les organes mêmes de l’homme. »
« Le scientifique est originellement contenu dans l’artistique. »
WILLIAM BLAKE : 1757-1827, peintre, graveur et
poète anglais.
« Ce qui est maintenant prouvé ne fut autrefois qu’imaginé. » in Proverbes de l’enfer.
PIERRETTE BLOCH : artiste plasticienne française, née en 1928.
« Je travaille avec du crin, de l’encre, du papier, des pinceaux, des plumes. Entourées de ces matériaux, cela se passe comme si je ne les distinguais pas les uns des autres ; c’est un
stade où je ne les nomme pas, ils sont là. »
UMBERTO BOCCIONI : 1882-1916, peintre et
sculpteur italien, apparenté au Futurisme apparu en 1910.
« Les objets ne finissent jamais ; ils s’intersectent avec d’innombrables combinaisons de sympathie et d’innombrables chocs d’aversion. »
NICOLAS BOILEAU : 1636-1711, poèté, écrivain
et critique français
« Rien n’est beau que le vrai : le vrai seul est aimable. » (in Epîtres).
CHRISTIAN
BOLTANSKI : artiste plasticien français, né en 1944.
« Lorsque j’ai cherché à la trace les objets de ma propre enfance, ce ne sont pas les objets de ma propre enfance que j’ai retrouvés, mais les choses de l’enfance en tant que telle. »
« Je n’ai rien voulu d’autre que raconter des histoires que nous connaissons tous déjà. »
« Il y a dans Fanny et Alexandre de BERGMAN un montreur de marionnettes qui dit : « je montre le visible. A chaque spectateur de voir l’invisible. »
PIERRE BONNARD : 1867-1947, peintre
français.
« L’œuvre d’art ? C’est un arrêt du temps. »
« Un tableau est un petit monde qui doit se suffire. »
« Ce qui m’attirait ce n’était pas tellement l’art mais plutôt la vie d’artiste avec tout ce qu’elle comportait dans mon idée de fantaisie, de libre disposition de soi-même. Certes depuis longtemps j’étais attiré par la peinture et par le dessin mais sans que cela fût une passion irrésistible ; tandis que je voulais à tout prix échapper à la vie monotone. »
« Je n’invente rien, je regarde. »
« Si vous voulez, en peinture, rendre la vie où elle est déjà parfaite, vous ne réussirez jamais. Il ne s’agit pas de peindre la vie, il s’agit de rendre vivante la peinture. »
« Quand on couvre une surface avec les couleurs, il faut pouvoir renouveler indéfiniment son jeu, trouver sans cesse de nouvelles combinaisons de formes et de couleurs qui répondent aux exigences de l’émotion. »
YVES BONNEFOY : surnom de Siddhärta Gautama, fondateur du bouddhisme, VIème siècle av JC.
« Rappelez- vous qu’il n’existe rien de constant si ce n’est le changement. »
LOUISE
BOURGEOIS : artiste, sculpteur et plasticienne américaine d’origine française, née en 1911.
« Chez une femme, le sexe apparaît quand elle perd le contrôle. Chez l’homme, il intervient comme affirmation de son contrôle. »
« L’art est une garantie de santé mentale. »
« L’expression de soi exclut le savoir. »
NICOLAS BOUVIER : 1929-1998, écrivain
voyageur.
« Si on ne laisse pas au voyage le droit de nous détruire un peu, autant rester chez soi. »
in Journal d’Aran et autres lieux, p.151, éditions Petit Bibliothèque Payot.
CONSTANTIN
BRANCUSI : 1876-1957, sculpteur roumain.
« Créer comme un dieu, commander comme un roi, travailler comme un esclave. » (à propos de l’artiste au travail.)
« Les choses ne sont pas difficiles à faire, ce qui est difficile, c’est de nous mettre en état de les faire. »
« La simplicité n’est pas un but dans l’art mais on arrive à la simplicité malgré soi en s’approchant du sens réel des choses. »
GEORGES BRAQUE : 1882-1963, peintre
français.
« La liberté se prend mais ne se donne pas. La liberté pour le commun, c’est le libre exercice des habitudes. Pour nous, c’est franchir le permis. »
« La peinture connaît mieux les tableaux que les peintres. »
« Quand je commence, il me semble que mon tableau est de l’autre côté, seulement couvert de cette poussière blanche, la toile. Il me suffit d’épousseter. J’ai la petite brosse à dégager le bleu, un autre le vert ou le jaune : mes pinceaux. Lorsque tout est nettoyé, le tableau est fini. »
« Ce n’est pas assez de faire voir ce qu’on peint. Il faut encore le faire toucher. »
« Il y a l’art du peuple et l’art pour le peuple, ce dernier inventé par les intellectuels. Je ne pense pas que ni Beethoven, ni Bach, en s’inspirant d’airs populaires, avaient songé à établir une hiérarchie. »
« On ne peut avoir toujours son chapeau à la main : c’est pourquoi on a inventé le porte manteau. Moi, j’ai trouvé la peinture pour suspendre à un clou mes idées. Cela permet d’en changer et d’éviter l’idée fixe. »
« Ecrire n’est pas décrire. Peindre n’est pas dépeindre. La vraisemblance n’est que trompe-l’œil. »
« Le tableau est fini quand il a effacé l’idée. »
« L’artiste qui ne rencontre plus de résistance touche à la perfection. Mais ce n’est qu’une perfection technique. »
« Avec l’âge, l’art et la vie ne font qu’un. »
BERTOLT BRECHT : 1898-1956, dramaturge,
metteur en scène et critique théatral allemand.
« On dit souvent d’un fleuve qui emporte tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent. »
JACQUES BREL : 1929-1978, chanteur
belge,
« Le talent, c’est avoir l’envie de faire quelque chose. »
ANDRE BRETON
« Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas
cessent d’être perçus contradictoirement. Or c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de déterminer ce point. » in Second Manifeste du
Surréalisme.
« Le poète à venir surmontera l’idée déprimante du divorce irréparable de l’action et du rêve. » in Les Vases communicants.
« C’est à l’artiste en particulier, qu’il appartient (…), de faire prédominer au maximum tout ce qui ressort au système féminin du monde par rapport au système masculin. »
GUNTHER BRÜS : artiste et peintre
autrichien, co-fondateur de l’actionnisme viennois,
né en 1938.
« Je n’ai besoin de rien, je m’emploie moi-même. »
MICHELANGELO BUONARROTTI dit MICHEL-ANGE : 1475-1564, peintre, sculpteur, poète et architecte italien.« J’entends par sculpture, celle qui se fait à force d’enlever (levare) ; celle qui se fait par le moyen d’ajouter (porre) est semblable à la peinture. »
DANIEL BUREN : né en
1938, artiste plasticien français.
« Toucher à l’architecture d’un lieu, c’est toucher à son sens, son histoire… C’est indiquer beaucoup de choses de l’esprit du lieu qui ne sont pas uniquement reliées au formel. L’esprit du
lieu implique le côté vivant, les personnes qui l’habitent, qui le fond fonctionner et cet aspect temporel et humain n’est pas sans conséquence. » (1998).
C
SOPHIE CALLE :
photographe, plasticienne française, née en 1953.
« Il n’est pas vrai que je sois devenue une artiste consciemment. Je tente de trouver des solutions pour moi-même, c’est ma thérapie personnelle. Le fait que ce soit de l’art me protège _
l’art me donne le droit de faire ce genre de choses. »
JOHN CAGE : 1912-1992, compositeur, poète et
plasticien nord américain
« Andy (Warhol) s’est efforcé, par la répétition, de nous montrer qu’il n’y a pas de vraiment de répétition, que tout ce que nous regardons est digne de notre attention. Cette donnée a été
capitale pour le XXème siècle, il me semble. »
« Notre poésie à présent, c’est la découverte que nous ne possédons rien. Tout peut donc devenir un objet de délectation (puisque nous ne le possédons pas (...). »
ITALO CALVINO : 1923-1985, écrivain
italien.
« Quand j’écris, je travaille par séries : j’ai plusieurs chemises où je glisse les pages qu’il m’arrive d’écrire, selon les idées qui me passent par la tête, ou même de simples notes
pour des choses que je voudrais écrire. J’ai une chemise pour les objets, une chemise pour les animaux, une pour les hommes, une pour les personnages historiques et une autre encore pour les
héros de la mythologie ; j’ai une chemise sur les quatre saisons et une sur les cinq sens ; dans une autre, je rassemble des pages sur les villes et les paysages de ma vie et dans une
autre encore celles sur des villes imaginaires, hors de l’espace et du temps. Quand une chemise commence à se remplir, je me mets à penser au livre que je peux en tirer. »
in Les villes invisibles, 1972, préface 1993, éd. Points, Seuil.
« ... Coleridge dans un poème célèbre, Kafka dans Un messager impérial, Buzzati dans Le désert des Tartares. Seules Les milles et une nuits peuvent se vanter d’un destin comparable :
celui des livres qui deviennent comme des continents imaginaires dans lesquels d’autres œuvres trouveront leur place, continents de l’ « ailleurs », en cette époque où l’on peut
affirmer que l’ « ailleurs » n’existe plus, et que le monde entier tend à s’uniformiser. »
in Les villes invisibles, 1972, préface 1993, éd. Points, Seuil.
« On parle actuellement avec la même insistance de la destruction du milieu naturel et de la fragilité des grands systèmes technologiques qui peut entraîner des dégâts en séries, paralysant
des métropoles entières. La crise de la ville trop grande est le revers de la crise de la nature. »
in Les villes invisibles, 1972, préface 1993, éd. Points, Seuil.
« Les villes sont un ensemble de beaucoup de choses : de mémoire, de désirs, de signes d’un langage ; les villes sont des lieus d’échange, comme l’expliquent tous les livres
d’histoire économique, mais ce ne sont pas seulement des échanges de marchandises, ce sont des échanges de mots, de désirs, de souvenirs. »
in Les villes invisibles, 1972, préface 1993, éd. Points, Seuil.
« Les villes et le désir. 3.
On atteint Despina de deux manières : par bateau où à dos de chameau. La ville se présente différemment selon qu’on y vient par terre ou par mer. Le chamelier qui voit pointer à l’horizon du
plateau les clochetons des gratte-ciels, les antennes radar, battre les manches à air blanches et rouges, fumer les cheminées, pense à un navire, il sait que c’est une ville mais il y pense comme
à un bâtiment qui l’emporterait loin du désert, un voilier qui serait sur le point de lever l’ancre, avec le vent qui déjà gonfle les voiles pas encore larguées, on un vapeur dont la chaudière
vibre dans la carène de fer, il pense à tous les ports, aux marchandises d’outre-mer que les grues déchargent sur les quais, aux auberges où les équipages de diverses nationalités se cassent des
bouteilles sur la tête, aux fenêtres illuminées du rez-de-chaussée, avec à chacune une femme qui refait sa coiffure.
Dans la brume de la côte, le marin distingue la forme d’un bosse de chameau, d’une selle brodée aux franges étincelantes entre deux bosses tachetées qui avancent en se balançant, il sait qu’il
s’agit d’une ville mais il y pense comme à un chameau, au bât duquel pendent des outres et des besaces de fruits confits, du vin de datte, des feuilles de tabac, et déjà il se voit à la tête
d’une longue caravane qui l’emporte loin du désert de la mer, vers des oasis d’eau douce à l’ombre dentelée des palmiers, vers des palais aux gros murs de chaux, aux cours sur les carreaux
desquels dansent nu-pieds les danseuses, remuant les bras un peu dans leurs voiles et un peu au dehors.
Toute ville reçoit sa forme du désert auquel elle s’oppose ; et c’est ainsi que le chamelier et le marin voient Despina, la ville des confins entre deux déserts. »
in Les villes invisibles, 1972, p.23. Éd. Points, Seuil.
« Quand il arrive dans une nouvelle ville, le voyageur retrouve une part de son passé dont il ne savait plus qu’il la possédait. L’étrangeté de ce que tu n’es plus, t’attend au passage dans
les lieux étrangers et jamais possédés. »
in Les villes invisibles, 1972, p.37. Éd. Points, Seuil.
« L’ailleurs est un miroir en négatif. Le voyageur y reconnaît le peu qui lui appartient, et découvre tout ce qu’il n’a pas eu, et n’aura pas. »
in Les villes invisibles, 1972, p.38. Éd. Points, Seuil.
« _ Les villes aussi se croient l’œuvre de l’esprit ou du hasard, mais ni l’un ni l’autre ne suffisent pour faire tenir debout leurs murs. Tu ne jouis pas d’une ville à cause de ses sept ou
soixante-dix-sept merveilles, mais de la réponse qu’elle apporte à l’une de tes questions.
_ Ou de la question qu’elle te pose, t’obligeant à répondre, comme Thèbes par la bouche du Sphinx. »
in Les villes invisibles, 1972, p.56. Éd. Points, Seuil.
« Les villes et les échanges. 4.
A Ersilie, pour établir les rapports qui régissent la vie de la ville, les habitants tendent des fils qui joignent les angles des maisons, blancs, ou noirs, ou gris, ou blancs et noirs, selon
qu’ils signalent des relations de parenté, d’échange, d’autorité, de délégation. Quand les fils sont devenus tellement nombreux qu’on ne peut plus passer au travers, les habitants s’en
vont : les maisons sont démontées ; il ne reste plus que les fils et leurs supports. »
in Les villes invisibles, 1972, p.92. Éd. Points, Seuil.
« Les villes et le regard. 3.
Après avoir marché sept jours à travers bois, celui qui va à Baucis ne réussit pas à la voir, et il est arrivé. Des perches qui s’élèvent du sol à grande distance les unes des autres et se
perdent au-dessus des nuages soutiennent la ville. On y monte par de petits escaliers. Les habitants se montrent rarement à même le sol : ils ont déjà tout le nécessaire et ils préfèrent ne
pas descendre. Rien de la ville ne touche terre en dehors de ces longues pattes de phénicoptère sur lesquelles elle s’appuie et, les jours où il y a de la lumière, d’une ombre dentelée,
anguleuse, qui se dessine sur le feuillage.
On fait trois hypothèses sur les habitants de Baucis : qu’ils haïssent la Terre ; qu’ils la respectent au point d’éviter tout contact avec elle ; qu’ils l’aiment telle qu’elle
était avant eux, et que s’aidant de longues-vues et de télescopes pointés vers le bas, ils ne se lassent pas de la passer en revue, feuille par feuille, rocher par rocher, fourmi par fourmi, y
contemplant fascinés leur propre absence. »
in Les villes invisibles, 1972, p.94. Éd. Points, Seuil.
« Marco Polo décrit un pont, pierre par pierre.
_ Mais laquelle est la pierre qui soutient le pont ? demande Kublai Kahn.
_ Le pont n’est pas soutenu par telle ou telle pierre, répond Marco, mais par la ligne de l’arc qu’à elles toutes elles forment.
Kublai Kahn reste silencieux, il réfléchit. Puis il ajoute :
_ Pourquoi me parles-tu des pierres ? C’est l’arc seul qui m’intéresse.
Polo répond :
_ Sans pierres, il n’y a pas d’arc. »
in Les villes invisibles, 1972, p.100. Éd. Points, Seuil.
« Ce qui commande au récit, ce n’est pas la voix, c’est l’oreille. »
in Les villes invisibles, 1972, p.158. Éd. Points, Seuil.
« Et pourtant, à Raïssa, à tout moment, un enfant rit à sa fenêtre, en voyant un chien sauter sur un auvent pour mordre dans le morceau de polenta qu’un maçon a lâché du haut d’un
échafaudage, en s’exclamant : « Mon trésor, laisse-moi plonger ! » à l’adresse d’une jeune hôtelière qui soulève un pat de ragoût sous sa pergola, contente de le servir au
marchand de parapluie qui fête une bonne affaire, l’ombrelle de dentelle blanche avec quoi va se pavaner aux courses une grande dame amoureuse d’un officier qui lui a souri alors qu’il sautait la
dernière haie, heureux lui-même mais plus heureux encore son cheval qui volait par-dessus les obstacles voyant voler dans le ciel un francolin, heureux oiseau libéré de sa cage par un peintre
heureux de l’avoir peint plume à plume, tacheté de rouge et de jaune, dans une miniature, à cette page du livre où le philosophe dit : « Même à Raïssa, ville triste, court un fil
invisible qui par instants réunit un être vivant à un autre et se défait, puis revient se tendre entre des points en mouvement, dessinant de nouvelles figures rapides, si bien qu’à chaque
seconde, la ville malheureuse contient une ville heureuse sans même qu’elle sache exister. »
in Les villes invisibles, 1972, p.170. Éd. Points, Seuil.
« L’enfer des vivants n’est pas chose à venir ; s’il y en a un c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours et que nous formons d’être ensemble. Il y a deux
façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est plus risquée et elle demande une
attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place. »
in Les villes invisibles, 1972, p.189. Éd. Points, Seuil.
HENRI CARTIER-BRESSON : 1908-2004, photographe et
dessinateur français.
« Une photographie est pour moi la reconnaissance simultanée, dans une fraction de seconde, d’une part de la signification d’un fait, et, de l’autre, d’une organisation rigoureuse des formes
perçues visuellement qui expriment ce fait. »
GERMANO CELANT : critique d’art italien,
inventeur de la dénomination du groupe Arte povera, né en 1940.
« Ce que les artistes voulaient faire sentir, c’était la dimension mythique de l’expérience humaine. » (à propos de l’arte povera).
MICHEL DE CERTEAU : 1925-1986,
intellectuel français.
« Danser sur une corde, c’est de moment en moment maintenir un équilibre en le recréant à chaque pas grâce à de nouvelles interventions ; c’est conserver un rapport qui n’est jamais
acquis et qu’une incessante invention renouvelle en ayant l’air de le garder. L’art de faire est ainsi admirablement défini, d’autant plus qu’en effet le pratiquant lui-même fait partie de
l’équilibre qu’il modifie sans le compromettre. »
in L’invention du quotidien. 1. Arts de faire. 1980.
« L’espace est un lieu pratiqué. »
GASTON CHAISSAC : 1910-1964, peintre et
artiste français, apparenté à l’Art Brut.
« Je pense que le Titien avait fait un magnifique portrait d’un de nos rois de France simplement d’après son effigie sur une pièce de monnaie et je pense que de bons peintres devraient se
rappeler ça et faire des portraits d’après des effigies des gros sous et aussi et surtout d’après les effigies d’inconnus exécutés par des inconnus dans les pissotières, les waters ou sur un mur
quelconque. Il faut être peu sensible au pittoresque pour ne pas en éprouver l’envie. » (décembre 1946).
« La civilisation est aussi une des premières causes de la mort du côté enfantin de l’homme. Les audaces d’artistes sont assez proches des audaces d’enfants. » (17 novembre 1947).
« Les hommes se comportent dans l’existence comme au lit. Lorsqu’ils sont las d’être sur le dos ou sur le ventre, ils se mettent sur le côté et ça les repose. »
« Le public n’a pas l’air d’avoir conscience que c’est aux intellectuels de faire de l’art brut puisqu’ils sont malhabiles de leurs mains. » (mai 1948).
« Les tableaux me font penser à ces primeurs qu’on récolte parfois en arrière saison et qu’on accueille souvent comme une bénédiction. » (10 juin 1948).
« Je comprend l’ambition de Dubuffet de vouloir dessiner comme un enfant puisqu’il faut ressembler à un enfant pour entrer dans le royaume des cieux. » (10 juin 1948).
« C’est en tant que bricoleur que je peins. » (25 mai 1948).
« L’imagination, l’astuce etc. c’est quelque chose qu’on peut développer en s’entraînant, c’est comme pour les muscles. » (16 juin 1948).
« Ça me semble très naturel de construire des statuettes avec des bouts de bois brut, ne fait-on pas des maisons avec des pierres ? » (17 juin 1948).
« A propos de l’art brut : Vinci disait que pour peindre, il ne fallait pas faire des travaux manuels et ça devait être vrai que ça empêchait de faire du travail perlé en peinture mais pour de l’art brut ça doit être tout le contraire et c’est certainement conseillable pour l’art brut de se rusticiter par des besognes appropriées. » (17 juin 1948).
« L’action de peindre est un enfantillage et une peinture ne fait par conséquent jamais trop enfantine pour être véridique et si pour peindre on y met trop le sérieux des grandes personnes ce n’est plus qu’un simulacre de la chose. » (14 septembre 1948).
« Généralement, on attend plutôt la lumière pour jouir des spectacles. Parfois lorsque je vois dans l’obscurité quelque chose que je ne reconnais pas, je me plais à chercher à l’identifier sans m’en approcher et sans écarquiller les yeux mais en les baissant plutôt. » (13 septembre 1948).
« Les suiveurs ne sont que des suiveurs, peu importe donc les suivis. » (13 septembre 1948).
« Je voudrais exposer des tableaux qui restent à peindre. » (septembre 1948).
« Le chant de l’oiseau encagé avec le serpent repu, voila mon art. »
RENE CHAR : 1907-1988, poète
français.
« Nous n’avons qu’une ressource avant la mort : faire de l’art avant elle. »
GIORGIO DE CHIRICO : 1888-1978, peintre
italien, apparenté auSurréalisme.
« Il ne faut jamais oublier qu’un tableau doit toujours être le reflet d’une sensation profonde et que profond veut dire étrange et qu’étrange veut dire peu connu ou tout à fait
inconnu. »
« Il y a bien plus d’énigmes dans l’ombre d’un homme qui marche que dans toutes les religions passées, présentes et futures.
« Pour qu’une œuvre d’art soit vraiment immortelle, il faut qu’elle sorte complètement des limites de l’humain : le bon sens et la logique y feront défaut. De cette façon, elle s’approchera du rêve et de la mentalité enfantine. » 1911-1913.
EMILE CIORAN : philosophe, né en 1911 à Rasinari
(Roumanie), mort à Paris en 1995.
« Formés à l’école des velléitaires, idolâtres du fragment et du stigmate, nous appartenons à un temps clinique où comptent seuls les cas. Nous nous penchons sur ce qu’un écrivain a tu, sur
ce qu’il aurait pu dire, sur ses profondeurs muettes. S’il laisse une œuvre, s’il s’explique, il s’est assuré notre oubli.
Magie de l’artiste irréalisé…, d’un vaincu qui laisse perdre ses déceptions, qui ne sait pas les faire fructifier. »
« Méfiez-vous de ceux qui tournent le dos à l’amour, à l’ambition, à la société. Ils se vengeront d’y avoir renoncé. »
« On ne saurait trop blâmer le XIXème siècle d’avoir favorisé cette engeance de glossateurs, ces machines à lire, cette malformation de l’esprit qu’incarne le Professeur, _ symbole du déclin
d’une civilisation, de l’avilissement du goût, de la suprématie du labeur sur le caprice.
Voir tout de l’extérieur, systématiser l’ineffable, ne regarder rien en face, faire l’inventaire des vues des autres !... Tout commentaire d’une œuvre est mauvais ou inutile, car tout ce qui
n’est pas direct est nul.
Jadis, les professeurs s’acharnaient de préférence sur la théologie. Du moins avaient-ils l’excuse d’enseigner l’absolu, de s’être limités à Dieu, alors qu’à notre époque, rien n’échappe à leur
compétence meurtrière. »
« Je suis comme une marionnette cassée dont les yeux seraient tombés à l’intérieur. »
Ce propos d’un malade mental pèse plus lourd que toutes les œuvres d’introspection.
« La création fut le premier acte de sabotage. »
« Nous aimons toujours… quand même ; et ce « quand même » couvre un infini. »
« Chacun se confine dans sa peur, _ sa tour d’ivoire. »
Toutes citations précédentes tirées de Syllogismes de l’amertume 1952, éd. Folio essais.
JEAN CLAIR : conservateur, historien de l’art
,essayiste, critique d’art, ancien directeur du musée Picasso, né en 1940
« Rien ne se répète. Le photographe, l’artiste sont là pour l’attester. »
LARRY CLARK : photographe et cinéaste américain,
né en 1943.
« Depuis que je suis devenu photographe, j’ai toujours voulu inverser le cours du temps. »
GROUPE COBRA : groupe expressionniste
belge apparu en 1948.
« Etre matérialiste : voir dans la matière notre seule source d’inspiration. »
JEAN COCTEAU : 1889-1963, poète, dessinateur, cinéaste
français.
« Ce que tu as de différent, cultive-le. »
PHILIPPE COGNEE : né en 1957, peintre
français.
« Se sentir artiste, c’est avant tout avoir l’envie de construire une œuvre. »
DANIEL COHN-BENDIT : homme politique
français-allemand, né en 1945
« La révolution qui commence remettra en cause non seulement la société capitaliste, mais aussi la civilisation industrielle. La société de consommation doit périr de mort violente (…) nous
voulons un monde nouveau et original. Nous refusons un monde où la certitude de ne pas mourir de faim s’échange contre le risque de périr d’ennui. »
in le quotidien Le Monde, 14 mai 1968.
JOHN CONSTABLE : 1776-1837, peintre
paysagiste britannique.
« Il serait difficile de nommer une classe de paysage où le ciel ne soit pas la tonique, la base de l’échelle et le principal organe du sentiment. »
GUSTAVE COURBET : 1819-1877,
peintre français, chef de fil du courant réaliste.
« Vous qui prétendez représenter Charlemagne, césar et Jésus-Christ lui-même, sauriez vous faire le portrait de votre père ? »
TONY CRAGG :sculpteur, plasticien britannique, né en
1949.
« Mon but, c’est d’aller au-delà de l’objet ou de la matière, de les décoder. »
« Ce qui est important pour moi est la confrontation avec mon environnement qui est ce qui m’en apprend le plus sur ma propre existence. »
« La forme organique est aussi la plus complexe. »
« J’ai des problèmes avec les concepts du beau et du laid. Nous avons fondamentalement le sentiment que ce qui est beau, c’est ce qui ne représente pas un danger pour nous. »
HENRI CUECO : peintre et écrivain français, né
en 1929, apparenté a la Nouvelle Figuration (1960).
« On peu rater sa toile et réussir son chiffon. » (in Le journal d’une pomme de terre, 1991).
« L’artiste est un familier de la marge, de l’ordure. La peinture vit de déchets recyclés, se nourrit de regards délaissés, de fragments oubliés. » (in Le journal d’une pomme de terre, 1991).
« La force de la peinture est que le doute qu’elle produit est informulable et que la peinture n’explique pas la peinture, elle ajoute une énigme à une énigme. » (in Le journal d’une pomme de terre, 1991).
« La petite peinture doit s’effectuer confortablement au soleil s’il ne fait pas trop chaud, à l’ombre pour se rafraîchir. » (in La petite peinture, 2000).
« Comme pour tous les paysagistes, c’est le désir ou le sentiment de fusion qui produit une intense jubilation. »
« Il n’est pas de ciel indifférent. Ces flots cotonneux se déformant au plaisir des vents, changent de couleur selon l’agrément du soleil. Le temps perdu à faire peu semble un temps de vie précieux qui laisse sa modeste trace. Et au-delà de cette simplicité, l’ambition dévorante d’en restituer plus encore et qui pousse à l’exigence de faire fort, juste, imprévu. Tout cela sur le mode du travail sur nature, dans la nature, de voir, avec la nature. »
« Je n’arrive pas à accepter la modernité de l’art contemporain comme contrainte. Une autre manière de voir et de vivre, je veux bien, mais pas une simple série d’interdits. On ne doit pas faire ceci ou cela comme ceci ou comme cela parce que untel l’a déjà fait. La biologie enseigne la répétition : rythmes corporels, copulation, nourriture, etc.… »
« La virtuosité du savoir-faire cache souvent les malaises de l’émotion. »
« Le peintre ne sait pas ce qu’il fait et c’est heureux ainsi. »
« Le sentiment de la nature est lié à ma propre histoire : le père et sa peinture que je découvre de mémoire, tardivement. Ma vie dans les lieux et les paysages de ce pays. Le sentiment de précarité accentué par la maladie de cet hiver (amen). L’idée qu’il n’est pas déplaisant d’aller à contre-courant et que ça peut en agacer quelques uns. Le plaisir de réaliser des petites peintures concentrées, à partir d’un regard tendre dont on ne sait exactement d’où il vient. La satisfaction d’un travail clos, aussi simple qu’un regard, qu’un clin d’œil. »
« En si peu d’années à l’échelle de l’univers, les changements ne peuvent se mesurer qu’en termes de pertes. En termes d’acquis, il n’existe que les prothèses industrielles ou technologiques qui font de nous des mixtes hommes robots. Mais dans notre rapport fondamental aux questions qui ont toujours passionnés les hommes pensants, rien n’est changé : nous sommes mortels, comme devant et la machine destinée à suppléer à nos carences est elle-même éphémère. »
« La passion s’est toujours réveillé et maintenue au contact de ce creux angoissant et enivrant qu’est l’espace du paysage. On voudrait tout dire, tout faire en un clin d’œil et tout change, le temps de cette fermeture inopinée de notre objectif photographique personnel. »
« J’ai connu très tôt cette peur devant le spectacle d’une peinture qu’on pourrait réussir. »
« Sans doute suis-je devenu con comme il a souvent été conseillé de l’être par les théoriciens de l’art puisque ce sont eux qui ont la charge d’être intelligents et conscients de ce que nous faisons. »
« En regardant mon paysage en vrai, je pense à la stupidité de prétendre aujourd’hui que la photo rend inutile la représentation du réel par la peinture ou le dessin. »
D
SALVADOR DALI : peintre
espagnol surréaliste, 1904-1989.
« ... J’ai pourtant en tout cela moins de mérite qu’on pourrait le croire, car l’une des principales raisons de ma réussite est encore plus simple que celle de ma magie multiforme. C’est que
je suis sans doute l’artiste le plus acharné au travail de notre temps. »
« Tous mes efforts, chaque jour, et depuis toujours, visent à une seule chose : réussir à être Dali. »
« L’unique différence entre un fou et moi, c’est que moi je ne suis pas fou. »
« Si tu joues au génie, tu le deviens. »
« Que notre feu interne soit au maximum afin qu’il chauffe les règles à blanc et les modifie ! Que notre réalité intérieure soit si forte qu’elle corrige la réalité extérieure ! Et que nos passions soient dévorantes, mais que nous ayons un appétit de vivre encore plus grand, afin de les dévorer. »
« Il y a moins de folie dans ma méthode que de méthode dans ma folie. »
« L’unique chose dont le monde n’aura jamais assez, c’est l’exagération. »
« Ne craignez pas la perfection. Vous n’y parviendrez jamais. »
« Ne t’occupes pas d’être moderne. C’est l’unique chose que malheureusement, quoi que tu fasses, tu ne pourras pas éviter d’être. »
« Le fait que je ne comprenne pas moi-même le sens de mes peintures au moment où je les peins ne veut pas dire qu’elles n’en ont pas. »
« Le peintre, ce n’est pas celui qui est inspiré, mais celui qui est capable d’inspirer les autres. »
« On me dit que les couleurs de Matisse sont complémentaires, je répondrai qu’en effet elles ne cessent de se faire autre chose que des compliments. »
« Est-ce que je blague sérieusement ? Est-ce que je dis des vérités extraordinaires ? Est-ce que les blagues se transforment en vérités, est-ce que les vérités ne sont que d’affreux enfantillages ? Je suis dans cette constante interrogation : je ne sais quand je commence à simuler ou quand je dis la vérité. »
« La beauté n’est que la somme de conscience de nos perversions. »
« La répugnance est la sentinelle qui est tout près de la porte des choses qu’on désire le plus. »
« Mon objectif ? Systématiser la confusion et contribuer au total discrédit du monde réel. »
« Avoir un univers à soi est bien mieux que d’être propriétaire d’une voiture. »
« Ma philosophie est celle de l’homme qui travaille et qui joues à la fois, c’est-à-dire qui pense et qui agit, dont la vie tout entière n’est que l’élaboration de sa pensée et dont la pensée tout entière est constamment exprimée par le jeu. »
« Mes travaux les plus fous se situent dans la tradition réaliste espagnole car je suis espagnol, ce à quoi je ne peux échapper. »
« Le clown, ce n’est pas moi, mais cette société monstrueusement cynique et si naïvement inconsciente qui joue au jeu du sérieux pour mieux cacher sa folie. »
« L’aveuglement des humains à faire et à refaire toujours les mêmes choses me stupéfie. De même que je m’étonne qu’un employé de banque ne mange pas un chèque, je m’étonne qu’avant moi jamais un peintre n’ait pensé à peindre une montre molle... »
« Je ne peux pas comprendre que l’homme soit si incapable de fantaisie, que les conducteurs d’autobus n’aient pas, de temps à autre, envie de défoncer la vitrine du Prisunic pour attraper au vol quelques cadeaux destinés à leur famille. »
« L’art est une machine de guerre au service du désir en sa lutte contre la suprématie du principe de réalité. »
« Les erreurs ont presque toujours un caractère sacré. N’essaye jamais de les corriger. Au contraire, rationalise-les, comprends-les intégralement. Après quoi, il te sera possible de les sublimer. (...) »
« Chacun de nous a sa gare de Perpignan. »
« L’âme est un état du paysage, contrairement à l’idée romantique que le paysage est un état de l’âme. »
« Quel délice de faire craquer sous ses dents le crâne de s petits oiseaux§ Peut-on manger autrement des cervelles ? »
« Est-il exact que vous venez de peindre un portrait de votre femme avec deux côtelettes grillées se balançant sur son épaule ?
_ Oui, c’est exact, mais les côtelettes ne sont pas grillées. Elles sont crues ?
_ Pourquoi ?
_ Parce que Gala aussi est crue.
_ Et pourquoi les côtelettes avec votre femme ?
_ J’aime les côtelettes et j’aime ma femme, je ne vois aucune raison de ne pas les peindre ensemble. »
« Un éditeur m’avait demandé de faire un livre sur la technique en peinture. Je l’ai écrit. En le relisant, j’ai appris à peindre. »
« Le style français est depuis toujours ruiné par la préoccupation des français pour le bon goût. Les français ont besoin de quelqu’un pour les débarrasser de leur sens convulsif de la modération. »
« Nous avons tous faim et soif d’images concrètes. L’art abstrait nous aura servi à cela : rendre sa virginité exacte à l’art figuratif. »
« Les femmes n’ont aucun talent. Le talent est une chose exclusivement masculine. Le talent, la puissance créatrice se situent dans les testicules. Sans eux, on ne peut pas créer. La création, pour les femmes, c’est la procréation ; elles font des enfants, mais elles ne pourront jamais peindre le plafond de la chapelle Sixtine ! »
« Les médiocres peintres abstraits ne peignent que le microcosmos. Vous verrez dans le premier magazine scientifique venu la photographie de chromosomes, la trajectoire d’un proton ou la collision d’une particule et d’une antiparticule _ tout cela ressemble étrangement au travail des peintres abstrait. Le vrai peintre doit, lui, peindre le macrocosmos : une bouche, un visage, un nez... Le peintre le plus fascinant sera celui qui un jour peindra le macrocosmos avec, derrière lui, l’expérience du microcosmos. »
« Les peintres intelligents sont ceux qui sont capables d’intégrer dans une forme classique les expériences les plus sauvages, les plus désordonnées et les plus chaotiques de leur temps. J’ai fait toutes sortes d’expériences. J’ai même peint avec un pistolet. J’ai fait exploser une grenade à main sur mes œuvres afin d’en observer les conséquences. Certaines de ces expériences sont plus intéressantes que les tableaux qui en ont résulté. Mais ma seule et unique ambition a toujours été d’incorporer et de sublimer mes expériences dans la grande tradition classique. »
« Aujourd’hui, les jeunes peintres modernes ne croient à rien. Il est tout à fait normal que quand on ne croit à rien, on finisse par ne peindre à peu près rien. »
« Dans mon cas, je dois vous avouer avec franchise que la peinture m’aime plus que moi je ne l’aime ; elle m’en veut souvent car, chaque fois que je la délaisse un peu pour écrire, je la sens languir et cela même quand, comme je le fais en ce moment, je ne parle que d’elle. Je sais qu’elle m’accable d’amers reproches car la peinture, elle, ne se contente pas de paroles que le vent emporte. Elle veut, mon cher, que vous la possédiez au moins trois fois par jour et il ne se passe pas une nuit où elle ne manque de se glisser dans votre lit. »
« Quand vous peignez, pensez toujours à autre chose. »
« Peintre, peins ! »
« Peintre, tu n’es pas un orateur ! Peins donc et tais-toi ! »
« Se poser la question du goût, c’est déjà l’impuissance. »
« Si vous comprenez votre peinture par avance, vous pourriez tout aussi bien ne pas la peindre. »
« La forme est toujours le produit d’un processus impitoyable et inquisitorial auquel la matière est soumise. »
« La beauté sera comestible ou ne sera pas. »
« Pour qu’un film paraisse prodigieux à ses spectateurs, le premier point indispensables est que ces derniers puissent croire aux prodiges qu’on leur dévoile. Le seul moyen, c’est d’en finir, avant toute chose, avec le répugnant rythme cinématographique actuel, cette conventionnelle et ennuyeuse rhétorique du mouvement de la caméra. Comment peut-on même une seconde croire au plus banal des mélodrames, quand la caméra suit l’assassin partout en travelling, jusque dans les toilettes où il va laver le sang qui tache ses mains ? C’est pourquoi Salvador Dali, avant même de commencer son film, prendra soin d’immobiliser, de clouer sa caméra au sol avec des clous comme Jésus-Christ sur la croix. Tant pis si l’action sort du cadre visuel ! Le public attendra angoissé, exaspéré, anxieux, haletant, piétinant, extasié, ou mieux encore, s’ennuyant, que l’action revienne dans le champ de l’appareil de prise de vues. A moins que des images très belles et tout à fait en dehors de l’action, viennent le distraire en défilant sous l’œil immobile,ligoté, hyperstatique de la caméra dalinienne enfin rendue à son véritable objet, esclave de ma prodigieuse imagination. »
« Un jour, je vidai entièrement l’intérieur d’un croûton de pain et y logeai un petit bouddha que je recouvris entièrement de puces mortes. Puis je fermai l’ouverture du croûton avec un morceau de bois, cimentai le tout et écrivis dessus : Confiture de cheval. Qu’est-ce que cela veut dire ? »
« Le squelette est la chose la plus importante chez l’homme, car c’est la structure qui compte, et c’est elle qui reste après la mort. »
- toutes citations précédentes extraites Dali Pensées et anecdotes, aux éditions du Cherche midi, 1995.
« Le poète doit, le premier, prouver ce qu’il dit. » in Métamorphose de narcisse.
SERGE DANEY : 1944-1992, critique
cinématographique français
« Toute forme est un visage qui nous regarde. »
EDGAR DEGAS : 1834-1917, peintre, graveur,
sculpteur et photographe français .
« C’est dans le commun que se trouve la grâce. »
« J’ai peut-être trop considéré la femme comme un animal. »
« Je voudrais être illustre et inconnu. »
EUGENE DELACROIX : 1798-1863, peintre
français.
« La couleur libre, c’est la libre manifestation de ses impressions personnelles. »
« L’exactitude n’est pas la vérité. » (cité par Henri Matisse, in Ecrits et Propos sur l’art).
« Le but de l’artiste n’est pas de reproduire exactement les objets, il serait arrêté aussitôt par l’impossibilité de le faire. Il y a des effets très communs qui échappent entièrement à la peinture et qui ne peuvent se traduire que par des équivalents. C’est à l’esprit qu’il faut arriver, et les équivalents suffisent pour cela. »
« Le plus beau triomphe de l’écrivain est de faire penser ceux qui peuvent penser. » (in Ecrits).
« Tout est sujet. »
« La nature n’est qu’un dictionnaire. »
« L’imagination chez l’artiste ne se représente pas seulement par tels ou tels objets, elle les combine pour la fin qu’il veut obtenir ; elle fait des tableaux, des images, qu’il compose à son gré. Où est donc l’expérience acquise qui peut donner cette faculté de composition ? » (journal, 1857)
« Je n’ai commencé à faire quelque chose de passable, dans mon voyage en Afrique, qu’au moment où j’avais assez oublié les petits détails pour ne me rappeler que le côté frappant et poétique ; jusque là j’étais poursuivi par l’amour de l’exactitude, que le plus grand nombre prend pour la vérité . »
« Malheur à celui qui ne voit qu’une idée précise dans un beau tableau, et malheur au tableau qui ne montre rien au-delà du fini à un homme doué d’imagination. Le mérite du tableau est l’indéfinissable : c’est justement ce qui échappe à la précision... »
ERRI DE LUCA : ouvrier, écrivain, poète et
traducteur italien, né en 1950
« Je n’arrivais pas à bien parler. Alors que mon esprit décidait de la première lettre, ma bouche se pressait d’émettre la dernière. J’étais bègue par hâte de conclure. En contrepartie, je
savais trouver le point d’équilibre des objets. « En contrepartie » : j’utilise cette expression parce que je crois que l’habileté a un lien de réciprocité avec la
maladresse. »
in Pas ici, pas maintenant, Folio éd. Gallimard, p.11.
« C’est possible, car le possible est la limite mouvante de ce qu’on est disposé à admettre. »
in Pas ici, pas maintenant, Folio éd. Gallimard, p.25.
GILLES DELEUZE : 1925-1995, philosophe français.
« On n’écoute pas assez ce que disent les peintres. »
« La peinture moderne est envahie, assiégée par les photos et les clichés qui s’installent déjà sur la toile avant même que le peintre ait commencé son travail. En effet, ce serait une
erreur de croire que le peintre travaille sur une surface blanche et vierge. »
in Logique de la sensation à propos de la peinture de Francis Bacon.
« On parlera d’haptique… chaque fois que la vue elle-même découvrira en soi une fonction de toucher qui lui est propre et qui n’appartient qu’à elle. »
in Logique de la sensation à propos de la peinture de Francis Bacon.
" Constituer son territoire, c’est presque la naissance de l’Art."
in Abécédaire
WALTER DE MARIA : artiste amréicain,
apparenté au Land art, né en 1935.
« Le lieu naturel n’est pas un lieu pour l’œuvre mais une partie de l’œuvre. »
« L’artiste qui travaille avec la terre travaille avec le temps. »
MAURICE DENIS : 1870-1943, décorateur, graveur,
théoricien et historien de l’art, peintre français qui fit partie du mouvement Nabi
« Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre
assemblées. » (1890).
RAYMOND DEPARDON : photographe,
réalisateur, scénariste et journaliste français, né en 1942.
« Un photographe n’existe pas s’il n’a pas d’obsessions. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.26.
« Dans un voyage, on évolue, on change, on se transforme. Et souvent, on rentre et tout est annulé par le retour. Il faut essayer de garder des traces. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.40.
« La photographie n’a pas à être rassurante. Elle a une matière, elle a son existence propre, elle a ses fonctions, elle a son langage. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p46.
« L’errance m’a permis de photographier des temps faibles. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.50.
« Il faut laisser l’image nous échapper, nous dominer presque, mais dans certaines conditions et certaines limites. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.54.
« Je pense que le sujet est un obstacle à la création photographique, comme il l’est à la création cinématographique. C’est la forme, c’est l’esthétique, c’est la force du regard. C’est de ça qu’on se souvient. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.64.
« Je pense que l’errant voit bien les choses. Il n’a pas perdu la raison, il est dans une autre raison. L’errant est très conscient, il voit très bien les paysages, les rainures sur les routes, les bornes, la nature. Il ne regarde peut-être que certaines choses, c’est ce que j’ai dû faire. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.66.
« Est-ce une fuite ? Est-ce au contraire l’accomplissement de toute ma vie, de ma carrière, de ma photo, de mon cinéma, de tout ? J’aurai toujours cette quête, la quête d’une
meilleure lumière, de quelque chose plus loin qui sera peut-être mieux, etc. C’est le propre du photographe, je crois : cette curiosité conduit à une insatisfaction.
C’est un point commun d’ailleurs entre le photographe et le paysan. On n’est jamais vraiment content parce qu’on travaille avec le réel. Mes parents, quand il faisait beau, étaient inquiets parce
qu’ils savaient que la soleil était nécessaire. Comme mon père était un éleveur, il avait aussi cette inquiétude qu’on les éleveurs. Et les photographes sont comme ça.
Le réel est tellement éphémère, c’est quelque chose qui ne peut jamais nous rassurer. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.68.
« J’ai besoin du réel parce que je pense que c’est une forme qui m’oblige, qui me confronte, qui me dérange, qui m’emporte, qui me dérive, qui me kidnappe peut-être et qui change un peu les idées préconçues que je peux avoir, que je peux me fabriquer en tant qu’individu. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.68.
« Je pense que le propre d’un photographe, c’est de trahir le réel. Il faut simplement maîtriser cette trahison et il faut qu’elle soit en cohérence avec soi-même. Je pense que je trahis certaines choses. Mais j’essaie de ne pas me trahir moi-même. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.70.
« Le seul point en commun, c’est mon passage. A la différence par exemple de la règle du jeu que je m’étais donné avec Afriques : comment ça va avec la douleur ?, où j’étais parti du Cap et j’étais remonté tout doucement avec pour fil directeur le thème de la douleur, chose difficile, ingrate et à la fois qui m’intéresse. Ce mot douleur qui avait un sens pour moi n’en avait pas pour d’autres ; c’était quelque chose de très subjectif. J’avais constaté que le mot douleur était utilisé en France uniquement dans le sens de la grande douleur, celle de la résistance, celle des camps de concentration, celle de Marguerite Duras avec son livre La douleur. J’avais pu remarquer personnellement, à travers mon enfance rurale, que le mot douleur s’utilisait pour plein de petites choses : j’ai des douleurs au dos, j’ai des rhumatismes. On s’en servait d’une manière plus douce, plus tendre, tous les jours. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.74.
« Cette recherche du mot juste, comme aussi la recherche de l’image juste _ non pas comme dirait Godard juste une image, non c’est l’image juste _, c’est quelque chose qui me correspond, qui est bien à moi. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.76.
« Je me suis toujours posé la question : est-ce que quand je suis amoureux, je fais de bonnes photos ou je fais de mauvaises photos ? Est-ce qu’il faut que je sois amoureux pour faire de bonnes photos ? Est-ce qu’il faut que je sois amoureux pour faire un bon film ? » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.82.
« C’est Deleuze qui parle de la résistance : pour qu’il y ait de la création, il faut qu’il y ait de la résistance. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.88.
« Il faut faire très attention à ses sensations personnelles, elles n’ont rien à voir avec l’expression photographique. Elles sont totalement différentes, un peu comme le discours amoureux. Ce n’est pas toi qui commandes, c’est l’autre. La photographie, c’est pareil, ce n’est pas toi qui commandes, c’est l’autre, c’est le sujet, c’est la lumière, c’est le moment, c’est le réel qui commande. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.90.
« Le fond est très important dans la photo, il est primordial. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.92.
« J’ai aimé regarder, errer, fermer les yeux, flagrant délit de voyeurisme, le photographe est voyeur. Je suis voyeur. Celui qui regarde devient voyeur. Regarder les choses qu’on ne veut pas regarder. J’ai aimé regarder, j’ai peur de regarder. Dix ans après elle est là, la déambulation du photographe, dans les couloirs de l’asile. Il cherche, avance, recule, jamais satisfait, victime ou agresseur, c’est peut-être à soi-même que la violence est la plus forte. Insoutenable pour nous, regard, le photographe regarde, démystification du héros, de l’artiste, de l’auteur, qui avant tout prend aux autres, hasard plus travail. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.94.
« Je vois l’errance comme un couloir, matériellement, physiquement. C’est pour cela que les images en largeur n’ont pas la force de l’errance, on tombe dans autre chose ; elles sont trop proches du journalisme, trop proches du tableau, trop proches de l’icône ou trop proches de la fenêtre. Je pense que mon travail a en même temps un côté mirror et un côté window. S’il y a un côté window, c’est un couloir. Et si c’est un côté mirror, il réside dans le fait d’indiquer ma place. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.96.
« Cette notion de Mirror et Window, développé dans les années soixante par John Szarkowski, recouvre l’idée selon laquelle le photographe soit se photographie lui- même, soit photographie les autres. Cette théorie est à la base même de la photographie, puisqu’elle contient tout le problème du cadre. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.98.
« … alternative entre la caméra observante et la caméra participante. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.100.
« Le cadre, c’est le champ. C’est-à-dire que c’est le contraire du hors champ. A travers le cadre, on sélectionne. On a un parti pris, on coupe, on ne montre pas, on sélectionne, on tue, on mord, on enferme une image, on donne à voir quelque chose et pas le reste. Personnellement, j’aime beaucoup le cadre, je trouve que c’est l’élégance de l’image. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.102.
« La photographie a quelque chose d’une lutte contre la mort. On a du mal à vivre dans le présent, on fonce sur l’avenir et on ne parle que du passé. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.106.
« Les photographes sont dans l’insatisfaction. Même si on fait 500 photos dans une journée, ça ne représente que 500 fois 1/125e de seconde par exemple, et ça ne fera peut-être au total que 2 secondes. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.108
« Quelqu’un qui fait des images ne peut pas être rassurant. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.116.
« Dans la photographie, il y a confrontation avec l’autre, avec les autres. Je dis : « Voilà qui je suis. » c’est peut-être pour mieux regarder les autres, pouvoir bien les regarder, avoir une légitimité pour les regarder. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.118.
« Je suis exigeant avec moi-même, je suis exigeant avec mes photos, je suis exigeant en sentiments. Ce que je veux c’est toujours ce difficile combat entre l’unité et l’image. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.120.
« Dans le désert, il n’y a parfois rien à photographier, et cela est pour moi d’une grande modernité. Le désert est une fantastique leçon de modernité. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.130.
« Je ne cherche pas à être un témoin. Cela ne m’intéresse plus. Je cherche à être acteur, acteur dans l’errance. Je cherche à donner une voix, à expliquer qu’il y a derrière chaque image un photographe, un individu. J’ai vécu l’errance. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.134.
« L’idée forte de l’errance, c’est qu’on ne prend rien à personne. On ne s’accapare pas un lieu. L’errant est quelqu’un qui passe… » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.136.
« L’errant est quelqu’un qui partage, qui vient d’ailleurs, qui ne reste pas longtemps, et qui ne tient pas à coloniser. C’est l’anti-colonisateur. C’est quelqu’un qui a cette idée de partage, même s’il est dans sa propre pensée dans sa propre quête. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.136.
« Je suis passéiste d’une certaine manière. Et la photographie me sort de ce passéisme, m’oblige à regarder les jeunes, à me confronter au regard des jeunes, à me confronter avec ma vie. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.142.
« J’ai souvent revendiqué d’ailleurs ce qu’on appelle le premier regard, qui a sa force, sa puissance, qui est inimitable… Mais je pense aussi qu’il est nécessaire qu’une expérience soit menée, vécue à fond, et un long séjour est quelque chose d’incroyablement fort. On rencontre un autre type d’ennui, un autre type de dépression ou de mélancolie, nécessaire ou pas à l’image. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.150.
« L’homme d’images est habité par le doute et rien ne vient le rassurer. Le champ d’investigation est très large, c’est sans fin. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.150.
« J’ai demandé un jour à Nelson Mandela, quand je l’ai rencontré, de faire une minute de silence. Il ne me connaissait pas, il ne savait pas ce que j’allais faire et je lui ai demandé une minute de silence. Il a dit oui. Et cette minute, il l’a complètement maîtrisée. Je n’avais pas de chronomètre et lui non plus. Il était dans son bureau et il a géré la minute, comme s’il avait un chronomètre dans la tête. Ses vingt-sept ans de prison y sont pour quelque chose, il connaît le temps, il a la valeur du temps. C’était un peu osé de ma part de lui redemander une minute de prison, une minute de silence, une minute de son passé, une minute de douleur, une réminiscence de sa terrible expérience. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.166.
« La photographie a parfois cette force de résumer ou de donner à voir un certain nombre de choses qui sont secrètes, qui le restent et qui doivent le rester. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.177.
« Il y a beaucoup d’endroits où je voudrais retourner et confronter mon regard avec lui-même. » in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.179.
« Il ne faut pas attendre la fin de sa vie pour regarder ses photos. Il faut le faire tout de suite, à chaud. Pour mieux repartir, pour mieux se connaître. Et puis se faire
plaisir. »
in Errance éditions Points/Seuil, 2003, p.182.
ERIK DIETMAN : 1937-2002, sculpteur d’origine suédoise
« L’artiste, c’est un pilote d’essai, tu vois. Alors parfois ça crachote, ça tousse, on se casse la gueule, mais l’important, c’est qu’on fabrique des engins que les autres utiliseront plus
tard. »
conversation avec Nicolas Bourriaud, in Beaux arts
mag. P43.
CHRISTIAN DOTREMONT : 1922-1979, peintre
et poète belge.
« La tache est le cri de la main de l’artiste. »
« Et je ne vais dans les Musées que pour enlever les muselières. »
STAN DOUGLAS : vidéaste canadien, né en 1960.
« Une des choses les plus importantes que j’ai apprise des différents artistes conceptuels des années 70, et c’est quelque chose qu’il avaient tous en commun, c’est qu’il n’est pas
nécessaire d’utiliser du matériel d’art pour faire de l’art. »
JEAN DUBUFFET : 1901-1985, théoricien de l’art, peintre
et sculpteur français, inventeur de la notion d’Art
Brut.
« L’art est un grand enchantement pour l’homme. Le besoin d’art est pour l’homme un besoin tout à fait primordial, autant et plus peut-être que le besoin de pain. Sans pain, l’homme meurt de
faim, mais sans art, il meurt d’ennui. »
« Un art sage : quelle sotte idée ! L’art n’est fait que d’ivresse et de folie ! »
« Tout le monde est peintre. Peindre, c’est comme parler ou marcher. C’est à l’être humain aussi naturel de crayonner, sur n’importe quelle surface qui s’offre à sa main, de barbouiller quelques images, que ce l’est de parler. »
« Les musées ne sont pas autre chose, si l’on veut bien y penser, que les temples où l’on célèbre le culte de la Joconde, de Raphaël, des Glaneuses et du Radeau de la Méduse. On y va comme au cimetière, le dimanche après-midi en famille, sur la pointe des pieds, en parlant à voix basse. »
« Je porte, quant à moi, haute estime aux valeurs de la sauvagerie : instinct, passion, caprice, violence, délire. »
« La peinture est langage beaucoup plus spontané et beaucoup plus direct que celui des mots : plus proche du cri ou de la danse. C’est pourquoi la peinture est un moyen d’expression de nos voix intérieures tellement plus efficace que celui des mots. »
« L’art ne doit pas se faire annoncer ; il doit surgir où on ne l’attend pas, par surprise, faute de quoi son efficacité est considérablement affaiblie. »
« L’artiste est attelé au hasard mais pas n’importe quel hasard, celui qui est propre à la nature du matériau employé. Ce n’est pas une danse à danser seul, mais à deux, le hasard est de la partie. » (1972)
« La pensée de l’homme se transporte, elle prend corps. Elle se fait sable, huile. Elle se fait spatule, grattoir. Elle devient la pensée de l’huile ou du grattoir. »
« Il n’y a pas de couleurs à proprement parler mais des matières colorées. La même poudre d’outremer prendra une infinité d’aspects différents selon qu’elle sera appliquée sur du plâtre, sur du bois, sur du carton ou sur une toile (et naturellement suivant quelle toile et sa préparation. »
« Le noir est une abstraction ; il n’y a pas de noir ; il y a des matières noires, mais diversement, car il y a des questions d’éclats, mat ou luisant, de poli, de rugueux, de fin, etc. »
« Le vrai art, il est toujours là où on ne l’attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L’art est un personnage épris d’incognito. »
« Je veux la peinture pleine d’odeurs de tout cela (le monde) _ donc des décors, des badigeons, des enseignes et des pancartes, et des tracés du talon sur la terre. Ce sont ses terroirs d’origine. »
« La manière dont une couleur est appliquée importe plus que le choix même de cette couleur. »
« Chaque matériau a son langage, est un langage. Il ne s’agit pas de lui adjoindre un langage ou bien de lui faire servir un langage. »
« Duetto entre l’artiste et le matériau. Chacun doit parler bien librement et franchement et apparemment son propre langage. Il faut laisser se produire et apparaître tous les hasards propres au matériau employé : l’huile qui veut couler, le pinceau insuffisamment chargé de couleur et qui ne laisse qu’une trace imprécise, le trait qui tombe à côté du lieu exact où l’artiste voulait tracer, le trait qui tremble ou bien qui, au lieu d’être vertical, se couche dans le sens de l’écriture, le trait qui commence lourdement et s’affaiblit ensuite parce que le pinceau se décharge de sa couleur, etc. Empêcher tous ces hasards de se produire ôterait à l’œuvre toute vitalité. »
« La main parle : se nourrir des inscriptions, des tracés instinctifs. Respecter les impulsions, les spontanéités ancestrales de la main humaine quand elle trace ses signes. »
« Tout hanté de glissements, d’éclairs dans l’eau vive, combien passionnant serait l’ouvrage de la truite, si les truites peignaient. Celui du serpent _ si les serpents nous livraient leurs ouvrages _ obsédé de pierre brûlante. »
« Un ton posé à plat comme on peint une porte n’est évidemment pas attrayant dans un tableau. Toute surface demande à être diversifiée et c’est bien en effet à quoi s’appliquent justement les peintres. »
« Plus les couleurs employées proviendront de mélanges simples, plus elles seront dans leur choix même exemptes de recherche et plus il y aura effet de miracle. C’est en cela que les peintures populaires, celles des baraques foraines en particulier, sont si savoureuses. »
« Un animal avec des pattes qui ont l’air de pieds de chaises ! On rit ! Il y a de par le monde beaucoup d’objets qui se ressemblent et s’évoquent. Ce qu’il faut souligner, c’est, non pas les différences et particularités, mais au contraire : les ressemblances. Si on veut faire œuvre humaniste _ et naturellement on le veut _ il faut y faire souffler ce vent d’unité et de continuité qui souffle dans le monde de l’homme... Car de la rose à la graminée à la terre ou à la pierre, il y a une continuité, quelque chose de commun qui est l’existence, la substance, l’appartenance au monde de l’homme, lequel forme un grand bouillon continu qui a tout au long le même goût (goût de l’homme). »
« Le tableau ne sera pas regardé passivement, embrassé simultanément d’un regard instantané par son usager, mais bien revécu dans son élaboration, refait par la pensée et si j’ose dire re-agi… Toute une mécanique interne doit se mettre en marche chez le regardeur, il gratte où le peintre a gratté, frotte, creuse, mastique, appuie, où le peintre l’a fait. Tous les gestes faits par le peintre il les sent se reproduire en lui. »
« Déformations plus motivées : aux déformations mécaniques de la perspectives linéaire classique _ la table en trapèze, l’assiette ovale _ je préfère des déformations procédant d’intentions expressives, où l’ingéniosité, l’invention, le caprice jouent comme il se doit. »
« L’art est un jeu _ le jeu de l’esprit. Le jeu majeur de l’homme. Un enfant regarde un instant une boule de chiffon _ une pensée le traverse ; cet objet est un Peau-Rouge. Il décide de croire que cette poupée de chiffon est un Peau-Rouge. D’en avoir peur comme on a peur des Peaux-Rouges. Il en a peur en effet. Il sait bien que c’est aussi seulement un chiffon noué : il entre à l’origine une bonne part d’humour dans ce mécanisme qui le conduit à décider que cette poupée sera un peau-Rouge ; il sait qu’ayant décidé d’y croire, il va tout à l’heure y croire en effet ; il sait bien que c’est ainsi que fonctionne l’esprit ; c’est justement l’essai et la vérification de ce processus mental qui l’émerveillent ; il joue à faire aller son esprit comme les bébés à faire marcher leurs petits pieds. Moi aussi. »
« L’art est la plus passionnante orgie à portée de l’homme. »
MARCEL
DUCHAMP : 1887-1968, peintre, sculpteur, plasticien et homme de lettre français, naturalisé américain en 1955, inventeur de la notion de Ready-made.
« Ce sont les regardeurs qui font les tableaux. »
« … chaque seconde, chaque respiration est une œuvre qui n’est inscrite nulle part, qui n’est ni visuelle ni cérébrale. »
« Je crois que la peinture meurt, comprenez-vous. Le tableau meurt au bout de quarante ou cinquante ans parce que sa fraîcheur disparaît… Ensuite ça s’appelle l’histoire de l’art. »
« Le danger est toujours de plaire au public le plus immédiat, qui vous entoure, vous accueille, vous consacre enfin et vous confère succès… et le reste. Au contraire, peut-être vous faudra t’il attendre cinquante ou cent ans pour toucher votre vrai public, mais c’est celui-là seul qui m’intéresse. »
« Je crois que l’art est la seule forme d’activité par laquelle l’homme en tant que tel se manifeste comme véritable individu. Par elle seule, il peut dépasser le stade animal parce que l’art est un débouché sur des régions où ne domine ni le temps ni l’espace. »
« Un tableau qui ne choque pas n’en vaut pas la peine. »
« Les happenings ont introduit en art un élément que personne n’y avait mis : c’est l’ennui. Faire une chose pour que les gens s’ennuient en la regardant, je n’y avais jamais pensé ! Et c’est dommage parce que c’est une très belle idée. »
« Je crois beaucoup à l’érotisme parce que c’est vraiment une chose assez générale dans le monde entier, une chose que les gens comprennent. »
« Le plaisir éprouvé à peindre n’est pas une garantie de la qualité du travail. » (cité de mémoire par Henri Cueco, in La petite peinture, 2000).
MARLENE DUMAS : peintre d’origine sud africaine, née en 1953.
« L’art ne montre pas du doigt, il n’est pas au service du bien. »
« Mots et images sont logés à la même enseigne. Il n’y a aucune pureté à protéger. »
« On dessine avant d’écrire. Le doute de l’enfant concernant ce qu’il est en train de faire n’est pas là, dès le début. Pour l’enfant et son dessin, le moment critique surgit quand il écrit son nom pour la première fois. Les lettres luttent pour ne représenter que leur propre forme au lieu de se référer à autre chose. Passé cet instant, écriture et dessin suivront chacun leur propre chemin. Je ne regrette pas l’enfance ou l’innocence perdue. Quoique bien des dessins, certains parmi les plus touchants, aient été exécutés par des enfants, des malades mentaux ou des prisonniers. »
« Pourquoi j’écris (sur l’art). De la place prépondérante accordée au sens et des malentendus. Ce n’est pas par peur d’être mal comprise que j’écris (du moins, plus maintenant). Le sens et le malentendu ne sont pas des termes bien appropriés pour la description de phénomènes visuels. La dé-contextualisation et la re-contextualisation sont parties intégrantes de l’expérience de la création. Même Duchamp évoque la relation qui s’instaure entre l’intentionnel non-exprimé et l’exprimé non-intentionnel. Constatant la disparition du spectateur prétendument passif, nous sommes encombrés de collaborateurs actifs (si ce n’est hyper-actifs) qui se chargent de terminer les œuvres d’art. Et l’on se doit, cela va sans dire, de leur accorder voix au chapitre. Mais il faudrait alors préciser qui dit quoi (et à l’adresse de qui ?). Les critiques ne devraient pas jouer à l’acte manqué à rebours _ en se servant de Freud pour me révéler à moi-même mes propres intentions. L’œuvre d’art n’est pas synonyme d’intention. Il est étrange d’observer que si les gens s’accordent à dire que les œuvres d’art n’offrent pas de réponses, ils semblent cependant certains qu’une bonne œuvre soulève des questions. Pour moi, c’est du pareil au même. Ce que fait l’œuvre d’art, le rôle qu’elle a pu et qu’elle peut encore jouer dans notre société, ne m’apparaît pas très clairement. Le fait d’écrire sur l’art affine les contradictions, les confusions que je peux ressentir à propos de tout cela. »
« J’écris sur l’art parce que je veux me désolidariser du ton de la plupart des écrits sur l’art. Je ne suis ni impressionnée ni déçue par l’ART dans la mesure où je n’ai de toute façon jamais cru en un ART qui soit le Grand Sauveur ; ni n’ai jamais vu d’artistes plus grands que la vie. » 1992
« Les salles d’attentes (devraient avoir la télé). Les modèles attendent
que les artistes leur donne sens.
Les filles attendent (ont l’habitude d’attendre les garçons.
Les patients attendent
les docteurs.
L’ART n’attend personne.
L’ART ne se soucie de personne.
L’ART ne parle que si
on lui adresse la parole.
L’ART n’est langage que métaphoriquement,
pas littéralement.
L’ART ne suit pas les règles du langage.
L’arbitraire et le particulier
résistent aux généralisations
nécessaires
à toute communication logique.
L’ART aime ses ennemis
plus que ses protecteurs.
L’ART aime savoir. Tout.
L’ART n’a jamais été innocent.
L’ART a toujours été transmis.
La vie a toujours été compliquée.
Tout art finit par devenir de L’ART,
ce qui ne résout rien. »
1989
« Le premier acte que j’ai accomplis pour marquer mon entrée dans le monde des adultes fut de me procurer des pilules contraceptives. C’est la première fois que j’ai signé quelque chose sans demander la permission ou l’avis de ma mère. (Je sais bien qu’elle n’aurait pas été d’accord.) Sans la découverte de la pilule, je ne serais sans doute pas artiste aujourd’hui. » 1993
« La peinture est un art lent. Elle ne voyage pas à la vitesse de la lumière. C’est pour ça que les peintres morts brillent avec tant d’éclats. »
1993
« Le plus merveilleux, en art, c’est quand vous réalisez quelque chose qui va à l’encontre de ce que vous pensiez être vos convictions. Et vous savez pourtant que c’est bien cela que vous
vouliez. »
1997
E
SERGUEÏ EISENSTEIN : 1898-1948,
cinéaste de l’ex uion soviétique
« Toutes les rues principales sont couvertes de peinture blanche éclaboussée sur les murs en briques rouges, et contre ce fond blanc, il y des cercles verts, des carrés rouge-orange, des
rectangles bleus. La brosse de Kazimir Malevitch a passé sur ses murs. Les places de la ville sont nos palettes ; c’est le message que ces murs nous transmettent. »
PAUL ELUARD : 1895-1952, poète français,
proche du mouvement surréaliste.
« Voir, c’est comprendre, juger, transformer, imaginer, oublier ou s’oublier, être ou disparaître. » in Donner à voir.
« Il nous faut peu de mots pour exprimer l’essentiel ; il nous faut tous les mots pour le rendre réel. » in Donner à voir.
« Je n’invente pas les mots. Mais j’invente des objets, des êtres, des évènements et mes sens sont capables de les percevoir. Je me crée des sentiments. J’en souffre ou j’en suis heureux. L’indifférence peut les suivre. J’en ai le souvenir. Il m’arrive de les prévoir. S’il me fallait douter de cette réalité, plus rien ne me serait sûr, ni la vie, ni l’amour, ni la mort. Tout me deviendrait étranger. Ma raison se refuse à nier le témoignage de mes sens. L’objet de mes désirs est toujours réel, sensible. » in Donner à voir.
« Tant qu’il y a des prisons, nous ne sommes pas libres. » in Donner à voir.
MAX ERNST : 1891-1976, peintre et sculpteur
d’origine allemande, apparenté au Surréalisme.
« La plus noble conquête du collage, c’est l’irrationnel. »
F
LUCIANO FABRO : 1936-2007, sculpteur et
plasticien italien, apparenté à l’Arte Povera
« L’expérience, je ne la fais pas à l’aide du tableau ou de miroirs, grâce à une structure ; l’expérience, je la fais en vivant, en regardant les choses, en prenant possession du réel,
il s’agit de se mettre dans un état d’attention. »
« L’œuvre n’est véritablement complète que lorsque la personne en fait réellement partie : l’artiste ou le spectateur sont un morceau de l’objet, une articulation indispensable de ce qui le fait exister en tant qu’objet d’expérience esthétique. »
« Je voudrais résoudre ce besoin qu’a eu l’homme quand peu après qu’il eut trouvé refuge dans la caverne pour échapper aux dangers, il voulut à un certain moment se sentir bien dans cette caverne tout comme il se sentait bien auparavant dans la nature. »
BERNARD FAUCON : photographe français, né en 1950.
« J’ai toujours aimé ce double état : être inventeur de jeux, meneur de jeux, et être en même temps parmi ceux qui jouent. »
« Je voulais être inventeur. Je fabriquais des trucs, des téléphériques, des engins roulants, des cabanes, je faisais de la pâtisserie. »
« Maintenant, je n’ose plus regarder les grands ciels étoilés ! En vieillissant, on perd l’acuité de sa relation au cosmos. J’ai l’impression de ne plus avoir suffisamment de capacité de folie pour pouvoir regarder le ciel. »
« Le noir et blanc me semblent complètement irréel. »
« Je suis un imaginatif du réel. »
« Le péché n’est pas dans l’art. Le seul péché qu’il pourrait y avoir dans l’art, ce serait de truquer l’art. »
« Pas de création sans lyrisme. »
« La mise en scène est la construction d’un piège. »
« La photographie ment, elle déforme tout. Pourtant son opération ne cesse d’attester l’existence. Elle ne ment pas sur le réel. L’image la plus fabriquée, la mise en scène la plus artificielle sont emportées dans un étourdissant réalisme. Sans cette dimension de fascination, je ne serais pas photographe, je serais peintre. »
« (…) le maximum de présence avec le minimum de moyens. Mettre en scène l’absence pour suggérer la plus haute présence. »
« La photographie est facilement obscène. Elle montre trop. Il faut faire attention à cela. »
« Qu’est-ce qu’on photographie ? On choisit un cadre mais ce qu’enferme le cadre, c’est une énigme. »
« Il faut toujours partir de soi-même. »
_toutes citations ci-dessus tirées de BERNARD FAUCON par PIERRE BORHAN, éd. BELFOND/ PARIS AUDIOVISUEL, coll. LES GRANDS PHOTOGRAPHES.
DAN FLAVIN :
« Il suffit de regarder la lumière pour être fasciné sans pouvoir d’ailleurs en saisir les extrémités. »
HENRI FOCILLON :
« L’artiste développe sous nos yeux la technique même de l’esprit, il nous en donne une sorte de moulage que nous pouvons voir et toucher. »
JOAN FONTCUBERTA : artiste, théoricien et enseignant espagnol, né en 1955.
« L’image photographique permet à ce qui est faux pour la perception de devenir vrai quant à sa présence dans le temps. »
« Peut-être cela est-il devenu l’ultime fonction des images techniques : des écrans qui s’interposent entre l’homme et le monde et qui finissent par les éclipser tous les deux. Le démantèlement de cette situation hallucinatoire nous confronte à la possibilité de recommencer à interagir directement avec le monde, de rendre le sens aux choses, de récupérer aventure et curiosité. Le travail artistique recouvre sa voie comme exercice du jeu et de la liberté : c’est la capacité de dépasser les limites du réel et de revenir à un stade premier où il nous est possible de recréer notre relation émotionnelle, esthétique et politique avec le monde. »
« Enfants, on nous racontait beaucoup de mensonges. Quelques uns poétiques, d’autres beaucoup moins. Et devenus adultes, on continue à nous en raconter. Si nous y réfléchissons, la question importante est la suivante : quelle mesure de vérité (adequatio intellectus et rei au sens strict) y a-t-il dans ce qu’on nous dit à la maison, à l’école, à l’université ? Qu’y a-t-il de vrai dans les livres et les musées ? Qu’y a-t-il de vrai dans ce que nous disent maintenant les journaux et la télévision ? »
« La crédibilité du document photographique dépend en premier lieu de sa fonction historique en tant que fournisseur véridique et indubitable. En second lieu, et bien plus encore, elle dépend du charisme du discours institutionnel qu’elle sert et de la confiance que savent inspirer les sources d’émission. »
« Dans le fond, les touristes ne tentent pas une expérience de connaissance, mais bien plutôt de reconnaissance. Dans un safari, les touristes recherchent le déjà vu ; conscient de ce désir, les guides arrêtent leur jeep précisément là où le paysage s’accommode du topique, afin de satisfaire leurs clients. »
« CONSTELLATIONS (photographies de pare-brise constellé mais de poussières et d’insectes écrasés passant pour de véritables constellations célestes) démontre que même les traces peuvent être équivoques, que des empreintes aussi proches de la réalité matérielle peuvent nous désorienter et nous installer dans le mirage. Concluons, enfin, que le sens ne naît pas de la genèse de l’image, mais de sa gestion, c’est-à-dire de la constellation d’intentions qui le grèvent. »
« J’ai toujours considéré la photographie comme un texte ayant une structure de texte qu’il faut écrire et lire. Faire de la photographie c’est raconter des histoires. A l’opposé de l’idée répandue que la photographie est un reflet spontané du réel, j’ai toujours pensé l’image produite par l’appareil photographique comme une construction. Mon travail alors est une sorte d’écriture, une écriture en image qui souvent se déplace parallèlement à une écriture avec des mots. »
« L’humour reflète dans mon travail tout simplement ma façon d’être. Je participe au sarcasme méditerranéen comme une attitude de vie. Je crois que l’amusant n’est pas le contraire du
sérieux mais de l’ennuyeux. L’humour peut-être très sérieux et, comme l’ironie, il appartient à la stratégie rhétorique du discours. D’un point de vue psychanalytique, il permet de véhiculer les
tensions ; d’un point de vue social et communicant, il favorise l’empathie et la complicité du public. Pour moi, cette empathie est cruciale ; elle est même une condition sine qua non
pour l’existence de l’œuvre d’art. Quelqu’un peut créer mais il n’y a pas d’œuvre d’art sans la confluence du regard, donc sans l’interaction entre le public et le spectateur. »
Toutes citations précédentes tirées de Volte face : à l’envers de la science, les leçons de l’histoire. Editions Images en manœuvres – Cairn/centre d’art.
MICHEL FOUCAULT :
« Mais les rapports que nous devons entretenir avec nous-mêmes ne sont pas des rapports d’identité ; ils doivent être plutôt des rapports de différenciation, de création, d’innovation.
C’est très fastidieux d’être toujours le même. »
CATHERINE FRANCBLIN : critique d’art
« L’invention de l’art moderne n’est peut –être que la conséquence de la découverte par l’artiste de sa mobilité face au sujet qui l’occupe. » in ART PRESS n49.
ANATOLE
FRANCE : 1844-1921, écrivain et critique français, prix Nobel de littérature en 1921.
« Ce que les hommes appellent civilisation, c’est l’état actuel des mœurs et ce qu’ils appellent barbarie, ce sont les états antérieurs. Les mœurs présentes, on les appellera barbares quand
elles seront des mœurs passées. » (in Sur la pierre blanche).
SIGMUND FREUD : 1856-1939, médecin
neurologiste, fondateur de la psychanalyse.
« Tout ce qui travaille à la culture travaille aussi contre la guerre. »
GLORIA FRIEDMAN : artiste plasticienne
d’origine allemande, née en 1950.
« L’omniprésence des médias et de leurs images digitales conduit souvent à une confusion telle, que la réalité de notre monde semblent coïncider avec ses multiples images tramées. Je suis
pourtant convaincue que c’est seulement une véritable confrontation avec la matière elle-même qui nous permet de saisir l’image de notre monde, afin de le réfléchir plus profondément. »
G
BERTRAND GADENNE : artiste français, né en
1951.
« La découverte de l’œuvre s’effectue dans l’obscurité du lieu. »
GERARD GASIOROWSKI : 1930-1986, peintre et
plasticien français.
Faisant sienne la phrase de saint Augustin : « Mieux vaut se perdre dans sa passion, que perdre sa passion. »
« La peinture, je la veux grave. Elle est grave parce que le propos que je tiens est grave. C’est grave de peindre. Voyez Van Gogh. » 1984.
« Je suis dans le fleuve de la peinture et tout ce que je touche est emporté par ce courant. »
« Certains peintres savent très bien parler de leur travail, moi pas ; c’est ma peinture qui parle seule. » 1986.
« Je préfère le comportement de l’artiste oriental qui montre son travail a un petit nombre : une manière intimiste, un retrait, un recul, une délicatesse. Le Takanobu n’est exposé que quelques jours par mois dans un musée de Kyoto. Ici, c’est différent, c’est une question de mentalités. En occident, on regarde l’art comme un spectacle de bateleur. » 1986.
« Le regard use la peinture. C’est pourquoi mon travail procède de l’effacement, car, en montrant le moins possibles sur les plus grandes surfaces possibles, je tente de sauvegarder la peinture de l’usure du regard porté sur elle. » 1986.
« Montrer qu’il n’y a pas de fin à la peinture. » 1986.
PAUL GAUGUIN : 1848-1903, peintre
français.
« Ce n’est donc rien un cri humain ? » novembre 1889.
« La beauté est éternelle et peut prendre milles formes pour s’exprimer. »
« Peindre ce malgré moi de sauvage. »
« Chaque jour, je me demande s’il ne faut pas aller au grenier me mettre une corde au cou. Ce qui me retient c’est la peinture. » (lettre à Pissarro, mai 1885).
« J’aime la Bretagne, j’y trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j’entends le ton sourd, mat et puissant que je cherche en peinture. »
« Je pars pou r être tranquille, pour être débarrassé de la civilisation. Je ne veux faire que de l’art simple, très simple ; pour cela, j’ai besoin de me retremper dans la nature vierge, de ne voir que des sauvages, de vivre leur vie, sans autre préoccupation que de rendre, comme le ferait un enfant, les conceptions de mon cerveau avec l’aide seulement des moyens d’art primitifs, les seuls bons, les seuls vrais. » (1891).
« Ne copiez pas trop d’après nature_ l’art est une abstraction_ tirez-le de la nature en rêvant devant et pensez plus à la création qu’au résultat. »
« La céramique n’est pas une futilité. Aux époques les plus reculées, chez les Indiens de l’Amérique, on trouve cet art constamment en faveur. Dieu fit l’homme avec un peu de boue. Avec un peu de boue, on peut faire du métal, des pierres précieuses… »
JEAN GENET : 1910-1986, écrivain, poète et
dramaturge français,
« Tout homme aura peut-être éprouvé cette sorte de chagrin, sinon la terreur, de voir comme le monde et son histoire semblent pris dans un inéluctable mouvement, qui s’amplifie toujours
plus, et qui ne paraît devoir modifier, pour des fins toujours plus grossières, que les manifestations visibles du monde. »
« Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu’il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde. »
A Alberto Giacometti : « Vos femmes, c’est une victoire du bronze. Sur lui-même, peut-être. LUI : Il faudrait que ce soit ça. »
A Alberto Giacometti : « Une de vos statues dans une chambre, et la chambre est un temple. »
« La solitude, comme je l’entends, ne signifie pas condition misérable mais plutôt royauté secrète, incommunicabilité profonde mais connaissance plus ou moins obscure d’une inattaquable singularité. »
« Les visages peints par Giacometti semblent avoir accumulés à ce point toute vie qu’il ne leur reste plus une seconde à vivre, plus un geste à faire, et (non qu’elles viennent de mourir) qu’elles connaissent enfin la mort, car trop de vie est tassée en elles. »
« (Septembre 57). La plus belle sculpture de Giacometti – je parle d’il y a trois ans – je l’ai découverte sous la table en me baissant pour ramasser mon mégot. Elle était dans la poussière,
il la cachait, le pied d’un visiteur maladroit risquait de l’ébrécher…
LUI : Si elle est vraiment forte, elle se montrera, même si je la cache. »
« Leur beauté - des sculpture de Giacometti – me paraît tenir dans cet incessant, ininterrompu va-et-vient de la distance la plus extrême à la plus proche familiarité : ce va-et-vient n’en finit pas et c’est de cette façon qu’on peut dire qu’elles sont en mouvement. »
« Giacometti ne travaille pas pour ses contemporains, ni pour les générations à venir : il fait des statues qui ravissent enfin les morts. »
« L’ai-je déjà dit ? Tout objet dessiné ou peint par Giacometti nous propose, nous adresse sa pensée la plus amicale, la plus affectueuse. Jamais il n’apparaît dans une forme déconcertante, jamais il ne se veut monstre ! Au contraire, de très loin il apporte une sorte d’amitié et de paix qui rassurent. Ou, si elles inquiètent, c’est parce qu’elles sont à ce point pures et rares. Être d’accord avec de tels objets (pomme, bouteille, suspension, table, palmier) exigeant le refus de toutes compromissions. »
« Le portrait m’apparaît d’abord comme un enchevêtrement de lignes courbes, virgules, cercles fermés traversés d’une sécante, plutôt roses, gris ou noirs _ un étrange vert s’y mêle aussi _,
enchevêtrement très délicat qu’il était en train de faire, où sans doute, il se perdait. Mais j’ai l’idée de sortir le tableau dans la cour : le résultat est effrayant. A mesure que je
m’éloigne (j’irai jusqu’à ouvrir la porte de la cour, sortir dans la rue, reculant à vingt, vingt-cinq mètres) le visage, avec tout son modelé, m’apparaît, s’impose (…), vient à ma rencontre,
fond sur moi et se précipite dans la toile dont il partait, devient d’une présence, d’une réalité et d’un relief terrible. »
Toutes citations précédentes extraites de L’atelier D’Alberto Giacometti, 1961.
[JOCHEN GERZ>http://fr.wikipedia.org/wiki/Jochen_Gerz : artiste, plasticien, d’origine berlinoise, né en 1940
« Quand je pense à l’art, je ne pense pas à l’idée de faire quelque chose. Tôt ou tard, je pense à être. »
PAUL-ARMAND GETTE : photographe français, né en
1927.
« M’introduire le plus légalement du monde dans les toilettes du Musée National d’Art Moderne comme j’ai pu le faire au mois de mai 1986, m’a permis d’attirer l’attention sur un endroit qui,
bien que domicilié au cœur de l’institution muséale, n’en constitue pas moins un vide, un vide réservé au corps, un vide quelque peu honteux. »
ALBERTO GIACOMETTI : sculpteur et peintre
d’origine suisse, 1901-1966, fit partie pendant une courte période du mouvement surréaliste.
« Le désarroi, le constat d’échec et la vérité du gouffre qui obscurcissent les peintures et font surgir à distance les têtes et les nus modelés ont moins désespéré Giacometti qu’ils ne
l’ont stimulé et armé, qu’ils n’ont fortifié jusqu’à la fin son désir de vaincre, d’avancer, d’approcher encore... [...] Si l’on remonte à la surface, si l’on revient à l’apparence des Carnets,
qui ne seront plus enfouis et cachés, on ne peut manquer de voir qu’ils sont la réplique exacte de l’atelier du sculpteur. Leur désordre et leur pauvreté, leurs taches et leurs déchirures, le
sentiment d’abandon et de précarité qu’ils donnent paraissent comme un double de l’atelier tel que nous l’avons connu. Son délabrement, son encombrement, son étroitesse, sa poussière, sa lumière
grise... Les mêmes graffitis sur les murs lépreux et les feuillets salis, la même exiguïté voulue, signifiante... La même intimité, la même osmose entre le corps et l’outil, et le même jeu
paradoxal et meurtrier entre la proximité et l’immensité, la proximité de l’objet, l’immensité de l’espace... Le même élargissement surtout de la main qui tremble, qui ne tremble pas, qui gagne,
qui s’enhardit... Le carnet serait comme un autre atelier, portatif et itinérant, glissé dans la poche, serré dans la main... »
Jacques Dupin, Une écriture sans fin, préface aux Ecrits de Giacometti, éditions Hermann, nouveau tirage, 2001.
« Je cherche en tâtonnant à attraper dans le vide le fil blanc invisible du merveilleux qui vibre et duquel s’échappent les faits et les rêves avec le bruit d’un ruisseau sur de petits cailloux précieux et vivants. » p.6
« Etant enfant (entre quatre et sept ans), je ne voyais du monde extérieur que les objets qui pouvaient être utiles à mon plaisir. C’étaient avant tout des pierres et des arbres, et rarement plus d’un objet à la fois. » p.7
« Je ne puis parler qu’indirectement de mes sculptures et espérer dire que partiellement ce qui les a motivées. » p.17
« Depuis des années je n’ai réalisé que les sculptures qui se sont offertes tout achevées à mon esprit, je me suis borné à les reproduire dans l’espace sans y rien changer, sans me demander ce qu’elles pouvaient signifier (il suffit que j’entreprenne d’en modifier une partie ou que j’aie à chercher une dimension pour que je sois complètement perdu et que tout l’objet se détruise). Rien ne m’est jamais apparu sous la forme de tableau et je vois rarement sous la forme de dessin. Les tentatives, auxquelles je me suis livré quelque fois, de réalisation consciente d’un tableau ou même d’une sculpture ont toujours échoué. » p.17
« L’objet une fois construit, j’ai tendance à y retrouver transformés et déplacés des images, des impressions, des faits qui m’ont profondément ému (souvent à mon insu), des formes que je sens m’être très proches, bien que je sois souvent incapable de les identifier, ce qui me les rend toujours plus troublantes. » p.17
« Et je retrouve l’atmosphère dense et légère de la clairière et aussi le rideau comme de vapeur qui entourait les constructions dans cette clairière. C’est la même sensation que j’ai éprouvée souvent devant des êtres vivants, devant des têtes humaines surtout, le sentiment d’un espace-atmosphère qui entoure immédiatement les êtres, les pénètre, est déjà l’être lui-même ; les limites exactes, les dimensions de cet être deviennent indéfinissables. Un bras est immense comme la Voie Lactée et cette phrase n’a rien de mystique. » à propos de la sculpture d’Henri Laurens, p.23
« (...) dans toute œuvre d’art le sujet est primordial, que l’artiste en soit conscient ou non. La plus ou moins grande qualité plastique n’est jamais que le signe de la plus ou moins grande obsession de l’artiste par son sujet ; la forme est toujours à la mesure de cette obsession. Mais c’est l’origine du sujet et de l’obsession qu’il faudrait rechercher, elle n’est pas forcément freudienne. » p.26
« Donc, si on veut donner un titre autre qu’une simple indication (comme par exemple place 1, 2 et 3 ou composition 1,2 et 3 ou autres indications du même ordre) il faudrait faire un petit écrit pour chaque sculpture et le coller dessus ! ce qui après tout ne serait pas si mal et à quoi j’ai pensé plusieurs fois. » p.52
« Si je savais faire (mais je ne suis pas sûr de le vouloir) si je savais faire une sculpture, une peinture comme je veux (mais je suis incapable de dire ce que je veux ?). Si je savais les faire, elles seraient faites je pense depuis longtemps (oh je vois un tableau merveilleux et brillant mais il n’est pas de moi, il n’est de personne. Je ne vois pas les sculptures je vois le noir). P.64
« Les jours passent et je m’illusionne d’attraper, d’arrêter ce qui fuit, je cours, je cours sur place sans m’arrêter... » p.64
« Plus une peinture veut donner une représentation de la réalité, et plus je suis touché par les éléments qui, au premier abord, ne semblent pas être les signes mêmes des objets, mais ce sont peut-être justement ces éléments là qui finissent par recréer la vision de l’objet. » p.69 GRIS, BRUN, NOIR... (à propos de Georges Braque)
« Elles m’attirent parce qu’elles sont profondément ressemblantes, de cette ressemblance merveilleuse qui est commune à tous les peintres que j’aime, ressemblance qui est aussi multiple que ces peintures et qui fait qu’un objet existe infini sur une toile. Cette toile me fait regarder un peu autrement les objets qui, à leur tour, m’éclairent la toile. » p.69 GRIS, BRUN, NOIR... (à propos de Georges Braque)
« ... il valorise en même temps tout ce qu’il ne peint pas, il donne une valeur à celles qui étaient les plus mornes et nulles des choses et il exalte tout ce qui les dépasse jusqu’à celui
qui les regarde.
Braque cherchant à sauver ces fleurs périssables, Braque comme désarmé devant ces choses qu’il interroge, cherchant à arrêter sur une toile pour un peu plus de temps, pour le plus longtemps
possible, une parcelle de toutes ces choses et de lui-même et des autres.
Cherchant à sauver quelque chose de l’immense noir béant qui les entoure, qui les entame de toutes parts, mais non ! Ce ne sont pas les fleurs, c’est nous et les peintures qui sommes les
plus fragiles. Les fleurs, elles, continuent inlassablement à pousser et leur noir n’est pas le nôtre.
Je vais à la fenêtre, je regarde dehors dans la nuit, la montagne noire, le ciel brillant de tant d’étoiles et le bruit de l’eau. Ah oui, les hommes continuent aussi comme les fleurs, jamais tout
à fait pareils, mais eux, ils font de la peinture et cela change tout.
Mais pourquoi, pourquoi les fleurs nous semblent-elles merveilleuses ? » p.70 GRIS, BRUN, NOIR... (à propos de Georges Braque)
« Je n’aime l’œuvre d’un peintre que quand j’aime la plus mauvaise, la pire de ses toiles, je pense que chez tous la meilleure toiles contient les traces de la pire et la pire celles de la meilleure _ et tout ne dépend que des traces qui l’emportent. » p.75
« Je fais certainement de la peinture et de la sculpture et cela depuis toujours, depuis la première fois que j’ai dessiné ou peint, pour mordre sur la réalité, pour me défendre, pour mieux attaquer, pour accrocher, pour avancer le plus possible sur tous les plans, dans toutes les directions, pour me défendre contre la faim, contre le froid, contre la mort, pour être le plus libre possible ; le plus libre possible pour tâcher _ avec les moyens qui me sont aujourd’hui les plus propres _ de mieux voir, de mieux comprendre ce qui m’entoure, de mieux comprendre pour être le plus libre, le plus gros possible, pour dépenser, pour me dépenser le plus possible dans ce que je fais, pour courir mon aventure, pour découvrir de nouveaux horizons, pour faire ma guerre, pour le plaisir ? pour la joie ? de la guerre, pour le plaisir de gagner et de perdre. » MA REALITE, p.77
« Mais la voiture, pas plus que les autres machines, pas plus que tous les objets prémécaniques, n’a rein à voir avec la sculpture. Tout objet doit être fini pour fonctionner ou pour servir.
Plus il est fini, plus il est parfait, mieux il fonctionne et plus il est beau. Un objet plus perfectionné détrône l’autre qui l’était moins.
Aucune sculpture ne détrône jamais aucune autre. Une sculpture n’est pas un objet, elle est une interrogation, une question, une réponse. Elle ne peut-être ni finie, ni parfaite. » p.79
« Une voiture, une machine cassée devient de la ferraille. Une sculpture chaldéenne cassée en quatre : cela donne quatre sculpture, et chaque partie vaut le tout, et le tout comme
chaque partie reste toujours aussi virulent et actuel.
Une sculpture égyptienne cassée, un Rembrandt tacheté, rayé, pâli, noirci, restent aussi belle sculpture, aussi belle peinture que le jour où elles ont été faites. A l’encontre des objets qui ne
se réclament que d’eux-mêmes, une sculpture, une peinture se réclame toujours d’autre chose que d’elle-même. » p.80
« Rien ne se fixe jamais, chaque époque fait ressurgir du passé les époques et les œuvres qui lui sont nécessaires, et puis ces œuvres et ces époques s’enfoncent à nouveau dans l’ombre pour peut-être ressurgir des siècles ou des millénaires plus tard. Combien d’œuvres se sont-elles rapprochées et éloignées de nous depuis quarante ans ? » p.82
« La sculpture n’est pas pour moi, un bel objet mais un moyen pour tâcher de comprendre un peu mieux ce que je vois, pour tâcher de comprendre un peu mieux ce qui m’attire et m’émerveille dans n’importe quel personnage, dans n’importe quel arbre ou quel objet sur une table. Un peu réussie, une sculpture ne serait qu’un moyen pour dire aux autres, pour communiquer aux autres ce que je vois. » p.83
« Seule la vie m’intéresse, je regarde et tout me dépasse, le pied d’une chaise...
Qu’est-ce ! Qu’est-ce ! Tout ce qui m’entoure et m’émerveille, malgré tout ce qui se passe toujours d’effroyable et que je ne veux jamais oublier, malgré le ciel, malgré les arbres et
toutes les beautés. » p.86
« Le silence, je suis seul ici, dehors la nuit, tout est immobile et le sommeil me reprend. Je ne sais qui je suis, ni ce que je fais ni ce que je veux, je ne sais si je suis vieux ou jeune, j’ai peut-être encore quelques centaines de milliers d’années à vivre jusqu’à ma mort, mon passé se perd dans un gouffre gris, j’étais serpent et je me vois crocodile, la gueule ouverte ; c’était moi le crocodile rampant la gueule ouverte. Crier et hurler que l’air en tremble et les allumettes de loin en loin là par terre comme des bateaux de guerre sur la mer grise. » p.93
« Depuis que j’ai vu des reproductions d’œuvres d’art, et cela remonte à ma plus lointaine enfance, cela se mêle à mes plus anciens souvenirs, j’ai eu l’envie immédiate de copier toutes
celles qui m’attiraient le plus et ce plaisir de copier ne m’a en fait plus jamais quitté. (...) Comment dire tout cela ? Tout l’art du passé, de toutes les époques, de toutes les
civilisations surgit devant moi, tout est simultané comme si l’espace prenait la place du temps. Désemparé, je m’arrête, trop de choses à dire et comment les dire ? Les souvenirs des œuvres
d’art se mêlent à des souvenirs affectifs, à mon propre travail, à toute ma vie. (...) Je bute sur la différence entre le fait de parler et d’écrire. (...) Impossible de se concentrer sur quoi
que ce soit, la mer envahit tout, elle est pour moi sans nom bien qu’on l’appelle aujourd’hui l’Atlantique. Pendant des millions d’années elle n’avait pas de nom, sans fin, aveugle, sauvage comme
elle est pour moi aujourd’hui. Comment parler ici de copies d’œuvres d’art, d’œuvres d’art éphémères et fragiles qui existent par-ci par là sur les continents, œuvres d’art qui se défont, qui
s’étiolent, qui se délabrent jour après jour et dont beaucoup et parmi celles que je préfère, étaient déjà ensevelies, enfoncées sous le sable, la terre et les pierres, et toutes suivent le même
chemin. Et aujourd’hui presque avec indifférence, qui pâlissent et se vident dans ma mémoire. Presque toutes images précaires, défaillantes, prétentieuses et dont après tout je peux me
passer ; mais en même temps surgissent toutes les œuvres émouvantes et merveilleuses qui existent, innombrables. Mais souvent celles-là même ne sont que les témoins des civilisations les
plus dures, les plus noires, les plus irrespirables et que j’ai le plus en horreur.
En fait, je ne sais plus quoi penser de quoi que ce soit et puis chaque mot que j’écris n’est que l’expression de ma vanité, de ma prétention, de mon hypocrisie, oui de mon plaisir de briller,
d’épater, toutes ‘qualités’ dont j’éclatais déjà à l’âge de douze ans. Heureusement, après il y a eu une très longue période de répit, en fait à peu près jusqu’à ces toues dernières années, mais
maintenant je suis celui que j’étais à douze ans, non, pas tout à fait, j’ai fait un immense progrès, maintenant je n’avance qu’en tournant le dos au but, je ne fais qu’en défaisant. (...) car
maintenant je ne copie que très rarement des œuvres d’art. L’écart entre toute œuvre d’art et la réalité immédiate de n’importe quoi est devenu trop grand et en fait, il n’y a plus que la réalité
qui m’intéresse et je sais que je pourrais passer le restant de ma vie à copier une chaise. C’est peut-être là le but de toutes ces copies et c’est pour cela même que je ne peux plus rien
dire. »
NOTES SUR LES COPIES, p. 95 à 98.
« Pour chacun de nous, le monde bien un sphinx devant lequel nous nous tenons continuellement, un sphinx qui se tient continuellement devant nous et que nous interrogeons. » p. 123
« L’infinité vanité de tout. Et le mystère existe sur tout, en tout. Toujours l’homme a exprimé dans l’art sa conception du monde, plus directe que la philosophie. » p.128
« Je peux uniquement me réaliser dans les objets, dans la sculpture, dans les dessins (peut-être dans la peinture) et beaucoup moins bien dans les poèmes. Pas dans autre chose. » p.130
« Toute sculpture qui part de l’espace comme existant est fausse, il n’y a que l’illusion de l’espace. » p.200
« Je ne sais plus qui je suis, où je suis, je pense que mon visage doit apparaître comme une vague masse blanchâtre, faible, qui tient tout juste ensemble portée par des chiffons informes
qui tombent jusqu’à terre.
Apparition incertaine.
Je ne me vois plus, ni ce qui m’entoure : des verres, des vitres, des visages, des couleurs par-ci par là, oui des couleurs très éclatantes, une soucoupe sur une table, le dos d’une
chaise.
Surtout les objets me semblent réels, le verre bien moins précaire que la main qui le tient, qui le soulève, qui le repose, disparaît. Les objets ont une autre consistance.
Les têtes, les personnages ne sont que mouvement continuel du dedans, du dehors, ils se refont sans arrêt, ils n’ont pas une vraie consistance, leur côté transparent. Elles ne sont ni cube, ni
cylindre, ni sphère, ni triangle. Elles sont une masse en mouvement, allure, forme changeante et jamais tout à fait saisissable. Et puis elles sont comme liées par un point intérieur qui nous
regarde à travers les yeux et qui semble être leur réalité, une réalité sans mesure, dans un espace sans limites et qui semble être autre que celui dans lequel se tient la tasse qui est devant
moi ou créé par cette tasse.
Elles n’ont, non plus, aucune couleur définissable.
A voir tout cela. » p. 218
« Ce qu’il faut dire, ce que je crois, c’est que, qu’il s’agisse de sculpture ou de peinture, en fait, il n’y a que le dessin qui compte. Il faut s’accrocher uniquement, exclusivement au dessin. Si on dominait un peu le dessin, tout le reste serait possible. » p.246
« La sculpture des Nouvelles Hébrides est vraie et plus que vraie, parce qu’elle a un regard. Ce n’est pas l’imitation d’un œil, c’est là bel et bien l’imitation d’un regard. Mais le plus dôle, c’est que chez un masque océanien où, en guise d’yeux, il y a deux coquillages incrustés, on a l’impression d’un regard extraordinairement vivant presque dérangeant. » (6 avril 1959). p.246
« Je crois que n’est sculpture vraiment, que ce qui ne peut être dit que par la sculpture. Tout ce qui peut être dit par la peinture, il vaut mieux le dire par la peinture. Pour comprendre un peu ce qui s’appelle sculpture, il faudrait d’abord se limiter à ce qui ne peut être dit d’aucune autre manière. » p.248
« Plus on voit le visage avec densité, plus l’espace qui l’entoure devient immense ; c’est vraiment curieux ! » p.259
« Toute la démarche des artistes modernes est de saisir, de posséder quelque chose qui fuit constamment. Ils veulent posséder la sensation qu’ils ont de la réalité, plus que la réalité elle-même. » p.274
« Toute œuvre d’art est enfantée totalement pour rien. Tout ce temps passé, tous ces génies, tout ce travail, finalement, sur le plan de l’absolu, c’est pour rien. Si ce n’est cette sensation immédiate dans le présent que l’on éprouve en tentant d’appréhender la réalité. Et l’aventure, la grande aventure, c’est de voir surgir quelque chose d’inconnu, chaque jour dans le même visage. C’est plus grand que tous les voyages autour du monde. » p.278-279
« En ayant un demi-centimètre de quelque chose, vous avez plus de chance de tenir un certain sentiment de l’univers que si vous avez la prétention de faire le ciel entier. »p.291 Toutes citations précédentes extraites des Ecrits d’Alberto Giacometti, présentés par Michel Leiris et Jacques Dupin, éd. Hermann, nouveau tirage, 2001.
« A tout moment les hommes s’assemblent et se séparent, puis se rapprochent pour tenter de se joindre à nouveau. Ainsi, ils forment et transforment sans cesse de vivantes compositions d’une incroyable complexité. »
« Le bout du nez, c’est à peu près indéchiffrable dans sa structure. »
« Rien de ce que l’homme fait ne vaut l’éclat d’un regard. »
« Ce n’est pas si facile que vous pouvez le penser. Parfois, il est très facile de se satisfaire de ce qui est facile, surtout si on vous dit que c’est bien (…). Il faut avoir le courage du coup de pinceau qui fait disparaître tout. »
« Si là, au lieu d’abandonner, on insiste (…) c’est le seul moment où il y a chance d’avancer un petit peu. Et pas seulement on a l’impression d’avancer un petit peu, mais soudainement on a quelquefois l’impression, même si ce n’est qu’une illusion, d’une immense ouverture. »
« Une figure immobile s’entoure d’un espace fermé. Une figure en mouvement ouvre l’espace… »
« Tout l’art est une recherche vers le même but ; si jamais on l’atteignait, ce serait fini ; il n’y aurait plus d’art, tout serait figé, immobile, absent. Or dans la nature, tout est mobile, tout est possible. »
JEAN-LUC
GODARD : cinéaste franco-suisse, né en 1930.
« Mon ambition est d’arriver à filmer des gens qui s’embrassent. Je ne vois pas encore très bien comment ça peut se faire. Dans tous les films, on ne sait pas filmer les rapports sexuels, ça
n’a aucun sens. Les cinéastes filment ce qu’ils savent, pas ce qu’ils voient. La moitié des gens ferment les yeux quand ils s’embrassent ou quand ils se touchent, les trois quarts éteignent la
lumière. Dans les films, on voit une ou deux espèces de gros chewing-gums qui remuent sur un matelas. Une impuissance totale. »
ANDY GOLDSWORTHY : artiste écossais, né en
1956, apparenté au Land Art.
« La beauté n’évite pas la difficulté mais plane dangereusement au-dessus _ comme si l’on marchait sur une fine couche de glace. »
« L’art génère sa propre énergie et sa chaleur différente de la chaleur produite par l’activité physique _ une chose que je ne peux pas expliquer. »
« C’est un sentiment extraordinaire de pouvoir traverser facilement quelque chose qui était jusqu’alors une barrière. »
« C’est une chose de laisser un travail inachevé, c’en est une autre de vouloir donner l’impression qu’il est inachevé. L’une arrive par hasard, l’autre est obligée. »
« Je retravaille souvent avec certains matériaux et certains lieux. A chaque fois, c’est différent… Chaque nouvelle sculpture est le résultat d’une expérience accumulée à travers mes expériences passées. »
« Chaque œuvre rejoint la suivante dans une ligne qui dessine le passage de ma vie, dont l’élan me donne un fort sens d’anticipation de l’avenir. »
« Je travaille directement avec la terre car elle me nourrit. Elle est pleine d’énergie et de changement et de croissance et je me nourris de cela. J’en ai besoin. Je me vois comme la couche qui se superpose à toutes celles qui ont donné une telle richesse au paysage. Ce serait une couche qui sera recouverte quand je serai parti. Je trouve cette idée très belle. »
NAN GOLDIN : photographe américaine,
née en 1953.
« Faire des photos horribles, c’est trop facile. Je photographie par amour des couples atteints par la distance ou l’intimité. Je photographie ce qu’est être ensemble et quel est ce
combat. »
« Il s’agit d’éprouver ce qu’une personne tente de ressentir. Il existe une paroi de verre entre les gens et je veux la briser. »
« Photographier quelqu’un, c’est le toucher, lui donner une caresse. »
« Mon œuvre est dérivée de l’instantané photographique, qui est la forme photographique la plus proche de l’amour. »
VASSILI GOLOVANOV :
journaliste et écrivain russe, né en 1960
« [...] il y a des choses qui n’amusent qu’avec le temps... A condition que ce temps ne soit pas passé en vain, à condition que l’on se soit affirmé, qu’on soit devenu adulte, que l’on ait
vécu sa vie non comme une malédiction mais comme une possibilité de suivre le chemin choisi, et quand le monde cherchait à vous attraper, que vous ne vous soyez pas laisser prendre. Que vous ayez
su... comment dit-on... vous réaliser ? En bref, que vous ayez simplement réussi à être – ce serait déjà bien... Pourquoi alors ne pas parler de votre fuite à vos proches, surtout si elle
est réussie ? Pourquoi ne pas raconter comment vous l’aviez préparée, comment vous aviez évité les pièges et vaincu les habitudes, comment vous aviez déjoué le danger des appâts à première
vue si juteux et alléchants qu’on vous proposait et comment – vous serrant la ceinture, le ventre de plus en plus vide, un goût de plomb dans la bouche, tremblant de convoitise, maudissant votre
fuite, maudissant le monde entier, vous maudissant vous-même – vous aviez enfin réussi à tromper les apparences, brouiller les pistes, vous enfoncer au fin fond des forêts, vous oublier
vous-même, être oublier des autres, pour enfin revenir dans un monde qui ne se souvenait plus de vous et y être simplement celui que vous vouliez être ?
Être. Mot important. »
in Eloge des voyages insensés, éd. Verdier, p.45
WITOLD GOMBROVICZ : 1904-1969, écrivain
polonais
« Qui donc a décidé que l’on ne doit écrire que lorsque l’on a quelque chose à dire ? Allons donc, le principe même de l’art est précisément de ne pas écrire ce qu’on a à dire, mais des
choses entièrement imprévues. »
in Journal, éditions Gallimard.
FELIX GONZALEZ TORRES :
1957-1996, artiste américain d’origine cubaine.
« Peut-être entre le public et le privé, entre le personnel et le social, entre la peur de la perte et la joie d’aimer, de croître, de changer de devenir toujours plus, de se perdre
lentement puis de retrouver tout à coup son intégrité. J’ai besoin du spectateur, j’ai besoin de l’interaction avec le public. Sans public, ces œuvres ne sont rien. J’ai besoin du public pour
achever mon travail. Je demande au public de m’aider, de prendre certaines responsabilités, de s’intégrer à mon travail, de participer. » 1993.
CLEMENT GREENBERG : 1909-1994, critique
d’art américain.
« Le tableau est désormais devenu un objet qui appartient littéralement au même espace que notre corps. Il a perdu son intériorité et est devenu presque tout entier extériorité. » (à
propos de l’action painting).
GROUP MATERIAL : collectif américain fondé en 1979 et dissout en 1997.
« Nous demandons à chacun de remettre en question l’ensemble de la culture considérée comme évidente. »
GUTAÏ : 1954-1972, mouvement artistique d’avant-garde
japonais.
« … nous respectons Pollock et Mathieu car leurs œuvres sont des cris poussés par la matière _ pigments et vernis. Leur travail consiste à se confondre avec elle. Plus exactement, ils se
mettent au service de la matière en une formidable symbiose. »
ANDREAS GURSKY : photographe allemand, né en
1955.
« Il existe visiblement un langage commun de l’inconscient, compréhensible pour tous les hommes. »
H
JOHN HEARTFIELD : 1904-1969, peintre, puis
photographe et photomonteur allemand.
« Il faut faire de la photographie une arme. »
EVA HESSE : artiste américaine d’origine allemande,
1936-1970 apparentée au post-minimalisme.
« L’art est le meilleur moyen d’expérimenter une sorte d’équilibre précaire entre le chaos et l’ordre, l’organique et le psychique et entre le rationnel et l’irrationnel. »
« Je vais m’autoriser à m’impliquer dans ce qui se produit. Il n’y a pas de règles. C’est pour ça que mon art est bon car je veux et je peux prendre des risques. »
« Je voudrais que l’œuvre soit une non-œuvre. Cela veut dire qu’elle s’ouvrirait un chemin au-delà de mes idées préconçues. Ce que je veux de mon art, je finirais par le trouver. L’œuvre doit aller plus loin. C’est ce que je cherche avant tout, aller au-delà de ce que je sais et que je peux avoir. Les principes formels sont compréhensibles et compris. C’est de la quantité inconnue que je veux partir et c’est à elle que je veux arriver. Comme chose, comme objet, elle accède à sa réalité non logique. Elle est quelque chose, elle n’est rien. »
« Il faut vraiment que j’avance, fermement, vigoureusement dans mon œuvre. J’ai besoin de dire quelque chose à ma façon. (Elle cite Simone de Beauvoir) : En s’attaquant hardiment à ses objectifs, on risque des déceptions ; mais on obtient aussi des résultats qu’on n’escomptait pas ; la prudence condamne à la médiocrité. Ce qu’il manque essentiellement à la femme aujourd’hui pour accomplir de grandes choses, c’est de s’oublier elle-même ; mais pour s’oublier soi-même, il faut avant tout avoir la certitude qu’on s’est trouvée, maintenant et pour l’avenir. » 22 novembre 1964, journal d’Eva Hesse.
MICHAEL HEIZER : artiste américain, né en
1944, apparenté au Land Art.
« L’artiste est responsable de tout ; de l’œuvre comme de l’usage qu’on en fait. On a suffisamment critiqué mon œuvre pour que j’aie pensé à la protéger, comme un chien enterre un
os. » (1969).
DAMIEN HIRST : artiste plasticien anglais, né
en 1965.
« L’art est comme la médecine, il a le pouvoir de guérir. »
HANS HOFMANN : 1880-1966, peintre américain,
d’origine allemande, considéré comme le précurseur de l’expressionnisme abstrait américain.
« (…) Le médium utilisé dans la création devient œuvre d’art si les principes et le sens, la nature essentielle de ce médium sont maîtrisés, et si l’artiste est intuitif. Car l’intuition
artistique émane du cosmos et embrasse le monde entier. L’esprit novateur, créateur, ne reconnaît aucune frontière à son royaume ; l’esprit s’est toujours annexé de nouvelles sphères.
L’intuition artistique est la base de la confiance de l’esprit en lui-même. L’art est toujours spirituel, il est toujours le résultat d’une introspection et trouve son expression par
l’intermédiaire de l’entité naturelle qu’est le médium. Chaque médium a ses propres lois : parce qu’il est fondé sur elles, on peut le faire vibrer et résonner lorsqu’il est stimulé par des
impulsions directement issue du monde naturel, lorsque l’artiste est pourvu d’un subtil équilibre entre instinct et mentalité, entre sentiment conscient et mémoire. L’artiste intensifie ses
concepts, condense son expérience en une réalité spirituelle complète en soi, et crée ainsi une nouvelle réalité dans les termes du médium. L’œuvre d’art est donc un monde en soi mais qui reflète
le monde sensoriel et émotionnel pour l’artiste… »
extrait du texte d’Hans Hofmann, « Sur les buts de l’art » 1932.
NANCY HOLT :artiste plasticienne, photographe et
cinéaste américaine, née en 1938.
« Idéalement, je voudrais vivre six mois par an sur les sites de mes sculptures, et six mois à New York, où je peux travailler à des vidéos, des films, des photographies et des
dessins. »
JENNY HOLZER : artiste conceptuelle américaine, née
en 1950.
« Je montre ce que je peux montrer avec des mots lumineux en mouvement dans un endroit choisi. Et quand j’ai l’impression de tenir la durée juste, l’espace environnant, les bruits, les
odeurs, les gens qui se regardent et qui regardent tout ce qui passe sous leurs yeux, j’ai donné tout ce que je sais faire. » (1998).
VICTOR HUGO : artiste plasticien, vidéaste, architecte et designer français, né en 1962.
« Je repère des mini-situations dans la vie ordinaire, dont je sais qu’elles vont se répéter dans le temps. L’image en elle-même n’a pas d’importance, mais c’est son rapport à la réalité qui
fait sens ; c’est une image reliante. » (1996).
FABRICE HYBER : artiste plasticien français, né en
1961.
« J’ai décidé depuis longtemps de faire tout ce qui est possible, de m’épuiser jusqu’à ce que ça puisse enrichir tout le vocabulaire. »
« Une œuvre ne peut jamais être tournée vers l’avenir. Elle est toujours ici et maintenant. »
J
JASPER JOHNS : peintre et dessinateur
américain, né en 1930, apparenté au pop Art.
« L’empreinte est une chose faite d’une autre, laissant transparaître les traces d’un matériau préexistant, en particulier par l’action du frottage. »
ALAIN JOUFFROY : écrivain et poète français,
né en 1928.
« Une œuvre d’art est une découverte, une incursion, une sorte d’interruption, de cassure dans la logique temporelle, qui peut déboucher sur un sentiment extatique. En tout cas sur un
sentiment de révélation. »
DONALD JUDD : 1928-1994, artiste plasticien et
théoricien américain apparenté au Minimalisme.
« Une œuvre peut-être aussi forte qu’on veut qu’elle soit. L’espace réel est intrinsèquement plus puissant, plus spécifique que du pigment sur une surface plane. »
K
WASSILY KANDINSKY : 1866-1944, peintre russe et théoricien de l’art, inventeur de l’abstraction en 1910.
« La création d’une œuvre équivaut à la création d’un monde. »
« J’ai cherché pendant des années la possibilité de permettre au spectateur de déambuler dans la peinture, le forçant à se perdre dans le tableau. »
« Je trouve toujours un avantage à laisser un espace vide dans chaque œuvre ; il s’agit de ne rien imposer. Ne pensez-vous pas que ce soit là une loi éternelle ? Mais c’est une loi pour demain. »
« L’art est le seul langage qui parle à l’âme, et le seul qu’elle puisse entendre. Elle y trouve, sous l’unique forme qui soit assimilable par elle, le pain quotidien dont elle a besoin. »
« Chaque artiste, en tant que créateur, doit exprimer ce qui lui est propre. »
« Chaque artiste, en tant qu’enfant de son époque, doit exprimer ce qui est propre à son époque. »
« Chaque artiste, en tant que serviteur de l’art, doit exprimer ce qui est propre à l’art en général. »
« Toute œuvre d’art est l’enfant de son temps et, bien souvent, la mère de nos sentiments. Ainsi de chaque ère culturelle naît un art qui lui est propre et qui ne saurait être répété. Tenter de faire revivre des principes d’art ancien ne peut, tout au plus, conduire qu’à la production d’œuvres mort-nées. »
« Le noir et le blanc sont les deux grandes possibilités du silence. »
in Du spirituel dans l’Art.
« Le point est la plus petite forme de base. »
« Le nombre des couleurs et des formes est infini. Que dire de leurs combinaisons et de leurs effets ? Une telle matière est inépuisable. »
« Le vert absolu est la couleur la plus calme qui soit. »
« Le rouge et le jaune mélangés donnent l’orange. Où commence l’orange, où finissent le rouge et le jaune. »
« Le violet est un mélange de rouge et de bleu. Où est la limite qui le sépare du rouge et du bleu ? »
« Le noir est comme un bûcher éteint qui a cessé de brûler. »
« Le gris est sans résonance et immobile. »
« Le blanc ... c’est un rien de joie juvénile. »
EMMANUEL KANT : 1724-1804, philosophe
allemand.
« … est sublime ce en comparaison de quoi tout le reste est petit. »
« Le beau est le symbole du bien moral. »
ALAN KAPROW : 1927-2006, artiste plasticien
américain.
« Pollock nous a laissé à un point où nous devons être préoccupés et même éblouis par l’espace et les objets de notre vie quotidienne que ce soit nos corps, nos vêtements ou les pièces où
l’on vit. »
« Ces créateurs audacieux nous montreront comme pour la première fois la réalité qui nous entoure depuis toujours, sans que nous y prenions garde, et ils dévoileront aussi des évènements
complètement ignorés, dénichés dans les poubelles, dans les fichiers de police ou les halls d’hôtels, aperçus dans les vitrines ou dans la rue, et entrevus dans les rêves ou les accidents
horribles. (...) Le jeune artiste d’aujourd’hui n’a plus besoin de dire je suis peintre ou poète, ou danseur. Tout ce que peut offrir la vie lui sera accessible. Il extraira des choses ordinaires
la signification de l’ordinaire. Il n’essaiera pas de les rendre extraordinaires. Seule leur signification sera énoncée. Mais il inventera l’extraordinaire à partir de rien, et puis peut-être
aussi le rien. Les gens seront ravis ou épouvantés, les critiques seront confondus ou amusés, mais cela sera, j’en suis sûr, l’alchimie des années soixante. »
in The legacy of Jackson Pollock.
« En détruisant quasiment cette tradition (la peinture de chevalet), Pollock pourrait bien nous ramener au moment où l’art s’occupait plus activement des rituels, de la magie et de la vie
que nous ne l’avons vu faire dans un passé récent. Alors, ce serait une initiative extraordinairement importante qui offrirait une excellente réponse aux récriminations de ceux qui voudraient
qu’on mette un peu de vie dans l’art. Et maintenant, qu’allons-nous faire ? Il y a deux solutions. L’une est de poursuivre dans cette voie. (...) L’autre est de renoncer complètement à faire
des peintures. »
in Artnews 57, octobre 1958.
« On dit que si un homme touche le fond, il ne peut aller que dans un sens, à savoir vers le haut. C’est un peu ce qui s’est produit, car l’artiste était en enfer en 1946, et maintenant il
est dans les affaires. (...) Il se pourrait que le visionnaire moderne soit encore plus stéréotypé que son pendant, le conformiste, et que ni l’un ni l’autre n’existe vraiment. »
in Artnews 63, octobre 1964.
TADASHI KAWAMATA : artiste
japonais, né en 1953.
« Je suis entre, je préfère ce jugement flottant, je suis entre l’architecture et la sculpture ou l’environnement : récemment, j’ai déclaré que j’étais juste un activiste. »
« La construction et la déconstruction sont comme un cercle, comme un temps circulaire qui induit une certaine idée d’entropie. Si vous utilisez quelque chose, vous détruisez autre chose. Et quand je commence un chantier, j’ai déjà intégré le principe de la destruction. Je prends et je restitue, c’est une circularité, un cycle des matériaux, de l’énergie. »
« Aujourd’hui, être entre deux reste une sorte de position, un mode d’être qui correspond à beaucoup de situations sociales dans le monde. Il ne s’agit pas seulement d’art, mais d’un phénomène plus profond, et beaucoup de gens, heureusement ou malheureusement, doivent être entre deux à un moment où personne ne peut saisir un état stable du monde, social, économique, politique. »
MIKE KELLEY : artiste plasticien américain, né
en 1954.
« Les artistes sont des gens à qui la société accorde un certain privilège, celui d’agir selon des modes qu’on n’attend pas de la part des adultes. »
ANSELM KIEFER : artiste plasticien allemand, né en
1945
« Je ne peux que rendre mes sentiments, mes pensées, et mon intention dans les peintures. Je les rends aussi précisément que je le peux et, après, (…) c’est vous qui décidez ce que sont les
tableaux et ce que je suis. » 1987
« L’œuvre dans son échec _ et elle échoue toujours _ éclairera même faiblement la grandeur et la splendeur de ce qu’elle ne pourra jamais atteindre. »
« Un travail artistique, c’est ce qui passe à travers moi comme un exemple à saisir, aussi précisément que possible, par beaucoup de personnes. Je ne peux rien faire d’autre que ce qui passe à travers moi. »
STEPHEN KING : romancier américain, né en
1947
« Je n’ai pas craché vingt dollars pour regarder ce mec se tuer en direct sur la TV de tout le pays, même si j’étais sûr que ça se passerait exactement comme ça. J’y suis allé à cause des
ombres que nous avons toujours derrière les yeux, de ce que Bruce Springsteen appelle les ténèbres à la lisière des villes dans une de ses chansons, et à un moment ou à un autre je crois que nous
voulons tous défier ces ténèbres malgré ces corps brinquebalants que Dieu nous a donné, à nous pauvres humains. Non…Pas malgré ces corps mais grâce à eux. », in Différentes saisons.
PAUL KLEE : peintre suisse,
1879-1940.
« L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. »
« Je veux être comme un nouveau-né ne connaissant absolument rien de l’Europe, ignorant les faits et les modes, presque primitif. »
YVES
KLEIN : 1928-1962, peintre français, apparenté aux Nouveaux Réalistes.
« Fixer l’empreinte des flammes, c’est répéter un rêve archaïque : maîtriser et domestiquer le feu. »
« La terre est bleue. »
« Ni les missiles, ni les fusées, ni les spoutniks ne feront de l’homme le conquistador de l’espace. L’homme ne parviendra à prendre possession de l’espace qu’à travers les forces de la sensibilité. »
« C’est sous mes yeux et sous mes ordres que doit s’accomplir le travail de l’art. »
« Je ne fais que recréer » la technique de l’action painting. »
« Créer une ambiance, un climat pictural invisible, dans l’esprit de ce que Delacroix appelait : l’indéfinissable. »
« Mes tableaux sont les cendres de mon art. »
« Je plaçai une toile, fraîchement enduite de peinture, sur le toit de ma blanche Citroën. Et tandis que j’avalais la nationale 7 à cent kilomètres à l’heure, la chaleur, le froid, la lumière, le vent et la pluie firent en sorte que ma toile se trouva prématurément vieillie. Trente ou quarante ans au moins se trouvaient réduits à une seule journée. »
« Les artistes qui collaborent sont ceux qui travaillent avec le cœur et la tête ! Ce sont des artistes qui savent ce que c’est que la responsabilité d’être un homme vis-à-vis de l’univers. » extrait du discours prononcé à l’occasion de l’exposition Tinguely à Düsseldorf
« Chacunes de ses propositions bleues, toutes semblables en apparence, furent cependant reconnues par le public bien différentes les unes des autres. L’amateur passait de l’une à l’autre, comme il convenait, et pénétrait en état de contemplation instantanée dans les mondes du bleu. (...) L’observation la plus sensationnelle fut celle des acheteurs. Ils choisirent parmi les onze tableaux exposés, chacun le leur, et le payèrent chacun le prix demandé. Les prix étant tous différents bien sûr. »
JEFF KOONS : artiste américain, né en 1955.
« L’art est communication _ il est la faculté de manipuler les gens. La différence avec le show-business ou la politique réside uniquement dans le fait que l’artiste est plus libre. »
JOSEPH KOSUTH : artiste américain, né en 1945,
apparenté à l’art
conceptuel
« L’art est langage, pour l’atteindre, il est nécessaire de quitter le monde des apparences afin de révéler le concept. »
« L’art est la définition de l’art. »
« Ce que l’art a en commun avec les mathématiques c’est qu’il est une tautologie ; c’est-à-dire que l’idée de l’art (l’œuvre) et l’art sont une même chose. »
JANIS KOUNELLIS : artiste d’origine
grecque, né en 1936, apparenté à l’Arte povera italienne
« Je veux faire des choses qui soient ouvertes et barbares. »
KARL KRAUS : 1874-1936, écrivain
autrichien.
« Faire voir des abîmes sous les lieux communs. »
DELPHINE KREUTER : née en 1973,
photographe et réalisatrice française
« Photographier devient un jeu entre la vie et la mort. Sujets et objets sortis de leur contexte perdent le sens, le rôle que ce contexte leur donne, ainsi, déjà, ils quittent la vie. Tout
devient matière, inerte, lignes, formes, couleurs, image, bidimensionnel, surface. Il s’agit pourtant de saisir un mystère, ce qui existe, indéfinissable, infini, spirituel, à travers ce qui est.
C’est toujours cette tentative d’admettre ou de démettre ce qui est humain. C’est une perpétuelle expérimentation de la sauvagerie de l’image. » 1999
AGOTA KRISTOF : écrivaine d’origine hongroise, née en 1935, vit en Suisse Romande.« L’écriture est pour moi une chose terrifiante. En utilisant le français, je mets une distance entre mes terreurs et mon écriture. »
« Un train pour le nord.
Une sculpture dans un parc, près d’une gare abandonnée.
Elle représente un chien et un homme.
Le chien est debout, l’homme est à genoux, ses bras entourent le cou du chien, sa tête est légèrement penchée.
Les yeux du chien regardent le plaine qui s’étend à l’infini à gauche de la gare, les yeux de l’homme sont fixés droit devant lui, par-dessus le dos du chien, ils regardent les rails envahis par
les herbes, où plus aucun train ne passe depuis longtemps. Le village que desservait la gare désaffectée est abandonné par ses habitants. Il y a encore quelques citadins amoureux de la nature et
de la solitude qui s’y installent à la belle saison, mais il possède tous une voiture.
Il y a aussi le vieillard qui rôde dans le par cet qui affirme avoir sculpté le chien et, en l’embrassant – car il l’aimait beaucoup -, avoir été pétrifié lui- même. Quand on lui demande
comment cela se fait qu’il soit tout de même là, vivant, en chair et en os, il répond avec simplicité qu’il attend le prochain train pour le Nord.
On n’a pas le coeur de lui dire qu’il n’y a plus de train pour le Nord, qu’il n’y a plus de train pour nulle part. On lui propose de le conduire en voiture, mais il secoue la tête.
Non, pas en voiture. C’est à la
gare qu’on m’attend.
On lui propose de l’emmener à la gare, à n’importe quelle gare du Nord.
Il secoue la tête derechef.
Non, merci. Je dois prendre le
train. J’ai écrit des lettres. A ma mère. A ma femme aussi. J’ai écrit que j’arriverai par le train de 8 heures du soir. Ma femme m’attend à la gare avec les enfants. Ma mère m’attend aussi.
Depuis que mon père est mort, elle m’attend pour l’enterrement. Je lui ai promis de venir à l’enterrement. Je compte aussi revoir ma femme et mes enfants que j’ai... abandonnés. Oui, je les ai
abandonnés. Pour devenir un grand artiste. J’ai fait de la peinture, de la sculpture. A présent, j’ai envie de rentrer.
Mais tout cela, la lettre à
votre mère et à votre femme, l’enterrement de votre père, enfin tout ça date de quand ?
Tout ceci date de... quand j’ai
empoisonné mon chien, parce qu’il ne voulait pas me laisser partir. Il s’accrochait à ma veste, à mon pantalon, il hurlait quand je voulais monter dans le train. Alors, je l’ai empoisonné, et je
l’ai enterré sous la sculpture.
La sculpture y était
déjà ?
Non, je l’ai sculptée le
lendemain. J’ai sculpté mon chien ici, sur sa tombe. Et quand le train du Nord est arrivé, je l’ai embrassé une dernière fois, et... je me suis pétrifié sur son cou. Même mort, il ne voulait pas
me laisser partir.
Pourtant, vous êtes là, et vous
attendez un train.
Le vieillard rit :
Je ne suis pas aussi fou que
vous croyez. Je sais très bien que je n’existe pas, je suis en pierre, couché sur le dos de mon chien. Je sais aussi que les trains ne passent plus à cet endroit. Je sais aussi que mon père est
enterré depuis longtemps, que ma mère, morte également, ne m’attend plus à aucune gare, personne ne m’attend. Ma femme s’est remariée. Mes enfants sont devenus des adultes. Je suis vieux,
monsieur, très vieux, plus vieux même que vous ne le pensez. Je suis une statue, je ne partirai pas. Tout ceci n’est plus qu’un jeu entre mon chien et moi, un jeu que nous avons joué pendant des
années, un jeu qu’il a gagné d’avance à l’instant où je l’ai connu. »
in C’est égal. Recueil de nouvelles, éditions du Seuil, janvier 2005.
BARBARA KRUGER : née en 1945, artiste conceptuelle et
photomonteuse américaine.
« D’un bout à l’autre de son œuvre, Andy (Warhol) a joué le rôle d’un technicien de l’étanchéité, qui s’est mis à surveiller les tendances évacuatrices de quelqu’un d’autre. Sa lucidité peut
passer pour une espèce de flegme. Il avait la faculté de télescoper les nuances complexes du langage et des sensations pour les réduire au silence glacial du geste figé. Il a porté à de nouveaux
sommets de l’incommuniqué les simplifications du mythe et de l’iconographie muette.
Comme tout voyeur qui se respecte, il avait le don de transmuer le sexe en nostalgie du sexe, et il percevait les calmes échos de l’énergie qui réside non pas dans les torrents du verbiage, mais
dans le recueillement élégamment muet du langage des signes. »
L
JACQUES LACAN : 1901-1981, psychiatre et
psychanalyste français.
« C’est le monde des mots qui crée le monde des choses. » 1953.
PÄR LAGERKVIST : 1891-1974, écrivain
suédois, prix Nobel de littérature en 1951.
« Les hommes aiment à se voir refléter en des miroirs troubles. »
in Le nain, éditions Roman Stock, p.267.
JEAN LAUDE : 1922-1984, poète ethnologue et
historien de l’art, français.
« Toute statue africaine a une destination, religieuse ou, au sens large, sociale : elle est un instrument, un outil, elle n’a jamais comme but, au point de départ, l’émotion ou la
contemplation esthétique. »
BERTRAND LAVIER : artiste plasticien
français, né en 1949.
« Dans l’imaginaire des gens, l’artiste c’est Van Gogh ou Modigliani. Quelqu’un qui a vie pénible dont le génie n’est reconnu qu’à titre posthume. On reste encore sur cette figure de
l’artiste maudit, une conception doloriste héritée du XIXeme siècle. L’artiste qui a l’air heureux est suspect. »
Sur les 15574 artistes recensés en 1999, 5000 en 1998 sont au RMI.
« Etre artiste ce n’est certainement pas un métier, tout simplement parce qu’un métier cela s’apprend tandis qu’artiste cela s’invente tous les jours : c’est un mode de vie. »
LAUTREAMONT : 1846-1870, poète
franco-urugayen.
« Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! » in Les Chants de Maldoror.
« Le plagiat est nécessaire. »
« La poésie doit être faite par tous. Non par un. »
FERNAND LEGER : 1881-1955, peintre
français.
« Lorsque les architectes eurent enfin débarrassés les murs de tout vestige de l’époque 1900, nous nous sommes trouvés devant des murs blancs. Un mur blanc est parfait pour un peintre. Un
mur blanc avec un Mondrian est encore mieux. »
« J’ai libéré la couleur de la forme en la disposant par larges zones sans l’obliger à épouser les contours des objets : elle garde ainsi toute sa force et le dessin aussi. »
MICHEL LEIRIS : 1901-1990, écrivain,
ethnologue et historien de l’art, français.
« Malheur à qui n’exprime pas l’inexprimable, ne comprend pas l’incompréhensible. »
« Mais il y a toutes sortes de manières d’être poète. Tenir une plume ou un pinceau n’est pas forcément la meilleure. »
JEAN-CLAUDE LEMAGNY : agrégé d’histoire, conservateur et commissaire d’exposition français.
« Toute pensée qui reste seule s’étiole, toute pensée qui se ressource à l’action s’épanouit. »
EUGENE LEROY : 1910-2000, peintre
français.
« Peindre, c’est entrer lentement dans les choses. »
« Je voudrais toucher la peinture comme la peinture vous touche. »
CLAUDE LEVEQUE : artiste plasticien français, né
en 1953.
« La plupart du temps, le monde qui m’entoure m’ennuie. L’art m’occupe. »
« C’est faux, c’est vrai ? Ce trouble m’intéresse, il interroge la réalité : de quoi est-elle faite ? D’ailleurs, je suis plus arrêté par le faux que par le vrai, par les questions que par les réponses, par les choses troubles, ambiguës, entre deux, où l’on ne sait pas très bien. »
« L’humanité s’automutile, les gens s’entredévorent parce que le monde est violent de pathologies nées de problèmes d’identité, d’isolement mental, d’isolement du corps. Mais je ne délivre pas de message, je veux juste créer des zones de réactivité. »
« Je crois beaucoup à l’émotion dans toutes les formes d’art. Elle ne doit pas être hystérique mais créer une perturbation sensorielle qui va nous aider à mettre en route l’intelligence, pour comprendre, s’interroger, activer des choses enfouies. » mai 2002 (in Beaux arts magazine 216).
EMMANUEL LEVINAS : 1906-1995, philosophe
français.
« Le visage c’est ce qui m’ordonne de servir autrui. C’est ce qui m’empêche de tuer. »
« Le lien avec autrui ne se noue que comme responsabilité. » (In Ethique et infini).
SHERRIE LEVINE : artiste conceptuelle
post-moderne et photographe américaine, née en 1947.
« Un image n’est qu’un espace dans lequel réside une multitude d’images dont aucune n’est originales. Une image est un tissu de citations extraites des centres innombrables de la
culture. » 1980.
« Ce qui a influencé tout mon travail est que nous n’avions aucun contact proche avec les courants les plus importants en peinture et sculpture. La majorité de ce que nous voyions n’était que reproductions. En conséquence, la reproduction était le sujet de fond de mon travail. »
« Je m’intéresse à cette imperceptible différence entre ce qui avait été sans être finalement entré dans l’œuvre, et ce qui est entré dans l’œuvre sans avoir été voulu. »
SOLL LEWITT : 1928-2007, artiste conceptuel et
minnimaliste américain.
« L’œuvre est le conducteur de la pensée de l’artiste à celle du spectateur. »
ROY LICHTENSTEIN : 1923-1997, peintre américain,
apparenté au Pop Art.
« Je crée une œuvre qui m’est propre dans un style qui m’est propre. »
GILLES LIPOVETSKY :professeur agrégé de
philosophie et essayiste français, né en 1944.
« C’est dans les rues de Paris ou au marché aux puces, dans les rapprochements insolites et coïncidences du quotidien que les signes les plus troublants sont à chercher. L’art et la vie sont
ici et maintenant. »
JACK LONDON : 1876-1916, journaliste et écrivain
américain
« L’homme se distingue des autres animaux surtout en ceci : il est le seul qui maltraite sa femelle, méfait dont ni les loups ni les lâches coyotes ne se rendent coupables, ni même le
chien dégénéré par la domestication ».
in Les vagabonds du rail et cité par Sylvain Tesson in Petit traité sur l’immensité du monde, p. 94, éditions des équateurs
RICHARD LONG : sculpteur, photographe et peintre américain,
né en 1945, apparenté au Land Art.
« Je préfère être un usager de la nature qu’un de ses exploiteurs. »
« Mon travail, c’est l’antithèse de ce que l’on appelle le Land Art américain… Marcher dans l’Himalaya… c’est une façon de toucher la terre avec plus de légèreté, et cela suppose un engagement personnel plus physique qu’un artiste qui planifie un grand earthwork réalisé ensuite par des bulldozers. J’admire l’esprit des indiens d’Amérique plus que celui des land-artistes. » (1987).
« Une marche n’est qu’une strate, une marque, déposée sur des milliers d’autres strates de l’histoire humaine et géographique à la surface de la terre. La carte aide à le voir. »
PIERRE LOTI : 1850-1923, écrivain
français.
« Je trouve que quand on arrange les choses, on les dérange toujours beaucoup. »
M
MAURICE MAETERLINK : 1862-1949, écrivain
francophone belge. Prix Nobel de littérature en 1911.
« Il n’y a rien de plus beau qu’une clef, tant qu’on ne sait pas ce qu’elle ouvre. »
WLADIMIR MAÏAKOVSKI : 1893-1930,
poète, dramaturge et futuriste russe.
« Ce n’est pas l’idée qui engendre le mot, mais le mot qui engendre l’idée. » 1914.
ARISTIDE MAILLOL : 1861-1944, sculpteur et peintre français d’origine catalane.« L’art nègre renferme plus d’idées que l’art grec. Nous ne savons plus prendre ces libertés. Nous sommes trop asservis au passé. »
RENE MAGRITTE : 1898-1967, peintre belge,
apparenté au mouvement surréaliste.
« Un homme est privilégié quand sa passion l’oblige à trahir ses convictions pour plaire à la femme qu’il aime. » cité par Marlène Dumas.
« Les peintre cubistes, parmi lesquels Braque et Picasso semblent les plus éminents (…), ont condamnés sans appel toute peinture qui prétendait être le reflet de l’univers. Les tableaux cubistes sont des objets ayant leur vie propre, ce ne sont pas des représentations. » 1936
« La liberté, c’est la possibilité d’être, et non l’obligation d’être. Le cœur triste peut battre, il peut cesser de battre : il fait connaissance avec la liberté. » 1955
« Tous mes derniers tableaux me conduisent à cette peinture simplifiée que je désirais depuis longtemps, c’est en somme la recherche de plus en plus rigoureuse de ce qui est, à mes yeux, essentiel dans l’art : une pureté, une précision de l’image du mystère, qui ayant abandonné toute conjoncture accidentelle, soit décisive… » (sans date).
« Il arrive qu’un portrait tâche de ressembler à son modèle. Mais l’on peut souhaiter que ce modèle tâche de ressembler à son portrait. » 1943
« Les titres accompagnent mes tableaux le mieux possible. Ils ne sont pas des clefs. Il n’y a que de fausses clefs. »1966
« Je tiens particulièrement à cette idée que ma peinture n’exprime rien (ni les autres peintures non plus d’ailleurs). » 1960
« J’estime que la parole exprime assez d’idées, parfois très belles et trop souvent assommantes, sans que la peinture doive encore y ajouter. » 1959
« Un arbre est une image d’un certain bonheur. Pour percevoir cette image, nous devons être immobiles comme l’arbre. Quand nous sommes en mouvement, c’est l’arbre qui devient le spectateur. Il assiste également, sous les formes de chaise, de table, de porte, au spectacle plus ou moins agité de notre vie. L’arbre devenu cercueil disparaît dans la terre. Et quand il se transforme en flamme, il s’évanouit dans l’air. » 1947
« La difficulté de ma pensée, quand je souhaite trouver un nouveau tableau, c’est en effet de trouver une image qui résiste à toute explication et qui résiste en même temps à l’indifférence. » 1957
KASIMIR MALEVITCH :1878-1935, peintre
suprématiste russe.
« La tâche n’est pas de rendre les objets, mais de faire un tableau… Toute forme réelle qui n’est pas créée par la force de la nécessité de la peinture est un acte de violence envers
elle. »
« La lumière métallique de la modernité ne correspond pas à la lumière de la chandelle en suif du temps de Rubens ou de Rembrandt. »
« Au fait, qu’est-ce que la toile et que représente-t-on sur elle ? En analysant la toile, nous voyons au premier chef la fenêtre par laquelle nous découvrons la vie. La toile suprématiste reproduit l’espace blanc et non l’espace bleu. La cause est évidente : le bleu ne donne pas une idée réelle de l’infini. »
« Nos ateliers ne peignent plus de tableaux, ils bâtissent les formes de la vie ; ce ne seront plus les tableaux mais les projets qui deviendront des créatures vivantes. »
ANDRE MALRAUX : 1901-1976, écrivain,
aventurier et homme politique français.
« Les artistes ne viennent pas de leur enfance mais naissent de la confrontation avec des maturités étrangères. »
« L’artiste loin de regarder le monde pour se soumettre à lui, le regarde donc pour le filtrer. »
« L’art ne délivre pas l’homme de n’être qu’un accident de l’univers. »
ETIENNE-JULES MAREY : 1830-1904,
physiologiste et pionnier de la photographie, un des inventeurs de laChronophotographie
« L’art et la science se rencontrent quand ils recherchent l’exactitude. »
FILIPPO TOMMASO MARINETTI :
1876-1944, écrivain italien, chef de file du mouvement futuriste.
« Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse… Une automobile mugissante, qui a l’air de courir sur la mitraille, est plus
belle que la Victoire de Samothrace. » (Manifeste de 1909).
« Le futurisme est un continuel effort pour dépasser les lois de l’art et l’art lui-même à travers quelque chose d’imprévu qu’on pourrait appeler vie-art-éphémère. »
« Il est stupide de vouloir tout expliquer et entièrement, avec une précision logique, dans toutes les causes et dans tous les effets, parce que la réalité palpite autour de nous, nous
bombarde des discordances de fragments interconnectés, assemblés à tenons et mortaises, embrouillée, mélangés, chaotiques (…) . Dans la vie quotidienne, nous ne sommes en général confrontés qu’à
des éclairs d’argumentation, rendus momentanés par notre expérience moderne (…) et qui restent dans nos esprits comme une symphonie fragmentaire et dynamique de gestes, de mots, de lumières et de
sons (…).
in Futurist Manifesto, Le théâtre futuriste synthétique, 1915 par MARINETTI, SETTIMELI (Emilio), CORRA (Bruno).
JEAN-HUBERT MARTIN : conservateur et commissaire
d’exposition.
« Hautement morale sous le masque de la complaisance, l’œuvre d’Andy Warhol, à l’instar de celle de Duchamp qu’il admirait, se sera parée de maquillage et de paillettes, avec la seule
obsession que, dans l’instant de l’aveuglement, elle contribue à nous rendre lucides. »
in Avant propos au catalogue de Andy Warhol : rétrospective ; éd. Centre Georges Pompidou, Paris, 1990.
KARL MARX : 1818-1883, philosophe, économiste,
théoricien socialiste et communiste allemand.
« Il n’y a pas d’histoire de l’art. »
« Les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, il s’agit maintenant de le transformer. » (in Thèses sur Feuerbach).
MASS HYSTERIA : groupe brestois métal fondé en
1995
« Une personne qui ne fait rien est une personne en danger. »
ANDRE MASSON : 1896-1987,
peintre français, apparenté au Surréalisme.
« Il n’y a ni formes ni objets. Il n’y a que des événements _ des surgissements _ des apparitions. »
GORDON MATTA CLARK : 1943-1978, artiste
plasticien américain
« Nos intentions par rapport à l’anarchitecture étaient beaucoup plus intangibles que de faire des pièces qui démontreraient une prise de position autre par rapport aux bâtiments, ou plutôt
face aux attitudes qui déterminent le remplissage de l’espace utilisable. Nous étions plus préoccupés par des vides métaphoriques, des trouées, des terrains vagues, des lieux non exploités. Par
exemple, les endroits où vous vous arrêtez pour relacer votre chaussure, et qui ne sont que des interruptions dans le cours de vos mouvements de tous les jours. » (à propos de son concept
d’anarchitecture.)
HENRI
MATISSE : 1869-1954, peintre, dessinateur et sculpteur français, apparneté au fauvisme.
« Je voudrais vivre comme un moine dans une cellule pourvu que j’ai de quoi peindre sans soucis ni dérangement. » 1939.
« J’ai fait corps avec la peinture comme une bête avec ce qu’elle aime. » 1942.
« Derain me disait un jour : Pour vous, faire un tableau, c’est comme si vous risquiez votre vie… Je n’ai jamais commencé une toile sans avoir le trac. » 1929.
« Je sens très fortement le lien qui unit mes toiles les plus récentes à celles que j’ai peintes autrefois. Cependant, je ne pense pas exactement ce que je pensais hier. »
« Ce que je poursuis par-dessus tout, c’est l’expression. »
« Il ne m’est pas possibles de copier servilement la nature, que je suis forcé d’interpréter et de soumettre à l’esprit di tableau. »
« Ce qui m’intéresse la plus, ce n’est ni la nature morte, ni le paysage, c’est la figure. C’est elle qui me permet le mieux d’exprimer le mieux le sentiment pour ainsi dire religieux que je possède de la vie. »
« Ce que je rêve, c’est un art d’équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant, qui soit, pour tout travailleur cérébral, pour l’homme d’affaires aussi bien que pour l’artiste des lettres, par exemple, un lénifiant, un calmant cérébral, quelque chose d’analogue à un bon fauteuil qui le délasse de ses fatigues physiques. »
« Les moyens les plus simples sont ceux qui permettent le mieux au peintre de s’exprimer. »
« Ordonner un chaos voilà la création. Et si le but de l’artiste est de créer, il faut un ordre dont l’instinct sera la mesure. »
« Je n’ai jamais évité l’influence des autres. J’aurai considéré cela comme une lâcheté et un manque de sincérité vis-à-vis de moi-même. Je crois que la personnalité de l’artiste se développe, s’affirme par les luttes qu’elle a à subir contre d’autres personnalités. »
« Les détails, le peintre n’a plus à s’en préoccuper, la photographie est là pour rendre cent fois mieux et plus vite la multitude des détails. La plastique donnera l’émotion le plus directement possible et par les moyens les plus simples. »
« La photographies devrait enregistrer et nous fournir des documents. »
« Le mécanisme de la construction consiste à établir les oppositions qui créent l’équilibre des directions. »
« Si l’on conçoit un œuf en tant que forme, une faille ne l’affectera pas ; mais s’il est conçu en tant que contour, il en souffrira certainement. »
« N’oubliez pas qu’une ligne ne traduit rien ; ce n’est qu’en rapport avec une autre qu’elle crée un volume. »
« Dessiner est comme de faire un geste expressif avec l’avantage de la permanence. »
« Un dessin est une sculpture, mais il a l’avantage de pouvoir être regardé d’assez prés pour que l’on y distingue des suggestions de forme que la sculpture, faite pour porter à distance, doit exprimer beaucoup plus catégoriquement. »
« Plus la sculpture est petite plus l’essentiel de la forme doit s’imposer. »
« J’ai fait de la sculpture parce que ce qui m’intéressait dans la peinture, c’était de mettre de l’ordre dans mon cerveau. Je changeais de moyen, je prenais la terre pour me reposer de la peinture dans laquelle j’avais fait absolument tout ce que je pouvais pour le moment. Ça veut dire que c’était toujours pour organiser. C’était pour organiser mes sensations, pour chercher une méthode qui me convienne absolument. Quand je l’avais trouvée en sculpture, ça me servait pour la peinture. C’était toujours en vue d’une possession de mon cerveau, d’une espèce de hiérarchie de toutes mes sensations qui m’aurait permis de conclure. »
« Il faut s’arrêter de temps à autre pour considérer le sujet (modèle, paysage, etc.) dans son ensemble. Ce que vous poursuivez avant tout, c’est l’unité. »
« L’art ne saurait être retardé par le poids mort du public. »
« Un peintre ne doit pas être un homme d’argent ; le culte de son art doit primer. »
« Je décidai de m’accorder un délai d’un an pendant lequel je voulais, répudiant tout entrave, peindre comme je l’entendais. Je ne travaillais plus que pour moi. J’étais sauvé. Bientôt me vint, comme une révélation, l’amour des matériaux pour eux-mêmes. Je sentis se développer en moi la passion de la couleur. »
« Pour ma part, chaque fois que je me trouve devant ma toile, il me semble que c’est la première fois que je peins. »
« Ne pas être assez robuste pour supporter une influence est une preuve d’impuissance. »
« Une toile peinte à l’huile doit être entourée d’une bordure dorée et quand la peinture est bonne, elle est, voyez-vous, encore beaucoup plus riche que l’or. »
« On aime moins ses tableaux quand ils valent quelque chose que quand ils ne valent rien ; alors c’est comme des enfants malheureux. » 1942.
« Il y a tant de choses en art, à commencer par l’art lui-même, que l’on ne comprend pas. Un peintre ne voit pas tout ce qu’il a mis dans le tableau qu’il a fait ; ce sont les autres qui découvrent un à un ces trésors, et plus une peinture est riche en surprises de ce genre, en trésor, plus son auteur est grand. »
« Quand je mets un vert, ça ne veut pas dire de l’herbe, quand je mets un bleu, ça ne veut pas dire du ciel. » 1942.
« Je ne crois pas à l’art de propagande. Il n’est pas nécessaire à l’artiste de s’associer à la lutte des classes ou de chercher à l’interpréter. Je me tiens autant que possible en dehors de la politique. La mission de l’artiste est assez importante pour qu’il ne se préoccupe que de son art. Je sais. Delacroix a fait des tableaux en 1848. Les révolutions peuvent quelquefois servir, mais il faut malgré tout se tenir absolument en dehors de la politique. On peut avoir des idées libérales, mais l’artiste n’a pas le droit de perdre le temps précieux dont il dispose pour s’exprimer… Mais avec ça, je n’ai jamais voté. »
« La seule chose qu’on doit demander au peintre, c’est d’exprimer clairement ses intentions. Sa pensée y gagnera. »
« La vue de la réalité immédiate, matérielle, est beaucoup plus pauvre que la réalité totale que nous connaissons après beaucoup d’années. C’est comme le Christ de Tissot : il l’a représenté en Arabe, parce qu’il était allé voir les Arabes en Palestine. Mais ça n’est rien du tout, ce n’est pas le Christ du tout : le Christ, c’est tout ce que les siècles en ont fait ; et pourtant dans la réalité le Christ a pourtant été exactement cet Arabe qu’a vu Tissot… mais cela n’est rien. »
« La plupart des peintres ont besoin du contact directs des objets pour sentir qu’ils existent et ils ne peuvent les reproduire que sous leurs conditions strictement physiques. Ils cherchent une lumière extérieure pour voir clair en eux-mêmes. Tandis que l’artiste ou le poète possèdent une lumière intérieure qui transforme les objets pour en faire un mode nouveau, sensible, organisé, un monde vivant qui est en lui-même le signe infaillible de la divinité, du reflet de la divinité. »
« C’était une époque où nous ne nous sentions pas emprisonnés dans des uniformes, et ce que l’on pouvait découvrir d’audace et de liberté dans le tableau d’un ami appartenait à tous. »
« La rêverie d’un homme qui a voyagé est autrement plus riche que celle d’un homme qui n’a jamais voyagé. »
« Quand j’ai fait mon voyage en Océanie, j’avais acheté un appareil photographique extrêmement perfectionné. Mais quand j’ai vu toute cette beauté, je me suis dit : je ne vais tout de même pas réduire toute cette beauté à cette petite image. Ça ne serait pas la peine. J’aime mieux la garder en moi. Parce que, après quelques années, je n’aurais plus eu que ça, tout serait remplacé, limité à ce petit document. »
« Dessiner, c’est préciser une idée. Le dessin est la précision de la pensée. Par le dessin les sentiments et l’âme du peintre passent sans difficulté dans l’esprit du spectateur. Une œuvre sans dessin est une œuvre sans charpente. » 1949.
« Avant tout, je ne crée pas une femme, je fais un tableau. »
« Le chinois a dit qu’il fallait s’élever avec l’arbre. Je ne connais rien de plus vrai. »
« L’importance d’un artiste se mesure à le quantité de nouveaux signes qu’il aura introduits dans le langage plastique. »
« Vous voulez faire de la peinture ? Avant tout, il faut vous couper la langue, parce que votre décision vous enlève le droit de vous exprimer autrement qu’avec vos pinceaux. » Matisse à ses jeunes étudiants.
« Pour aboutir à une traduction directe et pure de l’émotion, il faut posséder intimement tous les moyens, avoir éprouvé leur réelle efficacité. Les jeunes artistes n’ont pas à craindre de faire des faux pas. La peinture n’est-elle pas une incessante exploration en même temps que la plus bouleversante des aventures. »
« L’apport personnel de l’artiste se mesure toujours à la façon dont il crée sa matière et plus encore à la qualité de ses rapports. »
« Dire que la couleur est devenus expressive, c’est faire son histoire. Pendant longtemps, elle ne fut qu’un complément du dessin. Raphaël, Mantegna ou Dürer, comme tous les peintres de la Renaissance, construisent par le dessin et ajoutent ensuite la couleur locale. Au contraire, les Primitifs italiens et surtout les orientaux avaient fait de la couleur un moyen d’expression. L’on eut quelque raison de baptiser Ingres un chinois ignoré à Paris, puisque le premier il va utiliser les couleurs franches, les limiter sans les dénaturer. »
« Moi, je crois que le dessin et peinture disent la même chose. Le dessin est une peinture faite avec des moyens réduits… Mais la peinture est évidemment une chose plus nourrie et dont l’action sur l’esprit est plus forte. »
« Que les moyens employés par les peintres soient happés par la mode, par les grands magasins, ils perdent aussitôt leur signification. Ils ne disposent plus d’aucun pouvoir sur l’esprit. Leur influence ne fait que modifier l’apparence des choses ; on change seulement de nuances. »
« Le dessin est tout de même la femelle et la peinture le mâle. »
« Le noir est une couleur. »
« Je ne fais pas de différence entre la construction d’un livre et celle d’un tableau et je vais toujours du simple au composé, mais toujours prêt à reconcevoir dans le simple. »
« La main n’est que le prolongement de la sensibilité et de l’intelligence. Plus elle est souple, plus elle est obéissante. Il ne faut pas que la servante devienne maîtresse. »
« Trouver la joie dans le ciel, dans les arbres, dans les fleurs. Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir. »
« L’intérêt est certainement _ comme dans la peinture en général _ de donner avec une surface très limitée, l’idée de l’immensité. »
« Mon travail consiste à m’imbiber des choses. Et après ça ressort. » (3 février 1949).
« Je suis fait de tout ce que j’ai vu. »
« Le travail guérit de tout. »
« Toute ma vie, ma seule force a été ma sincérité. »
« Le sentiment n’est ennemi que lorsqu’on ne sait pas l’exprimer. Et il faut l’exprimer tout entier. Si l’on ne cherche pas à aller jusqu’au bout, on n’arrive qu’à des a peu prés. Un artiste c’est un explorateur. Qu’il commence par se chercher, se voir agir. Ensuite, ne pas se contraindre. Surtout ne pas se satisfaire facilement. »
« Je dessine un sujet encore et encore jusqu’à ce que je le sente réellement en moi. » Matisse peut alors ensuite dessiner les yeux bandés.
« Lorsqu’on imite un maître, le métier de celui-ci garotte l’imitateur et forme autour de lui une barrière qui le paralyse. »
« _Quels conseils donneriez vous aux jeunes peintres ?
_De beaucoup dessiner et de ne pas réfléchir trop. »
« _Quelle direction, selon vous, l’art moderne va-t-il prendre ?
_La lumière. »
« Créer, c’est le propre de l’artiste ; _ où il n’y a pas création, l’art n’existe pas. Mais on se tromperait si l’on attribuait ce pouvoir créateur à un don inné. En matière d’art, le créateur authentique n’est pas seulement un être doué, c’est un homme qui a su ordonner en vue de leur fin tout un faisceau d’activités, dont l’œuvre d’art est le résultat. »
« Voir, c’est déjà une opération créatrice, et qui exige un effort. »
Toutes citations précédentes tirées d’ « Ecrits et propos sur l’art », éditions Hermann.
ANA MENDIETA : 1948-1985, artiste plasticienne
d’origine cubaine.
« Il n’est pas tant question d’un paradis perdu que du vide de cette terre originaire, orpheline et sans nom de baptême, et du temps par quoi elle nous toise. Il y a par-dessus tout une
quête de l’origine. »
FLORENCE DE MEREDIEU : philosophe contemporaine
et maître de conférence en science de l’art.
« Avec la sculpture sociale, l’art devient action… Les matériaux sont utilisés pour leur valeur symbolique mais aussi comme vecteurs et conducteurs d’énergie, pour leurs propriétés
caloriques isolantes et pour leur pouvoir de transformation au sein d’actes culturels. »
« La mixité des matériaux est devenue une des caractéristiques de la modernité. »
« Expression conjointe du chaos et d’un ordre habitant et intégrant ce chaos, le son est au temps ce que le mouvement est à l’espace, un principe d’organisation et de désorganisation. »
MAURICE MERLEAU-PONTY : 1908-1961,
philosophe français.
« Les objets de la peinture moderne saignent, ils répandent sous nos yeux leur substance… »
« Cézanne ne veut pas séparer les choses fixes qui apparaissent sous notre regard et leur manière fuyante d’apparaître. Il veut peindre la matière en train de se donner forme, l’ordre naissant par une organisation spontanée. »
MARIO MERZ : 1925-2003, artiste plasticien
italien, apparenté à l’Arte Povera
« Quelque part au cœur de cet univers de formes circulaires et sphériques, l’homme est là : entre microcosme et macrocosme, le très grand et le très petit, entre l’atome et la distance
qui nous sépare des étoiles. Nous sommes entre deux énigmes. »
ANETTE MESSAGER : artiste plasticienne française, née en 1943.
« Les « vrais » photographes d’aujourd’hui jouent sur la pièce unique, ils singent les peintres. Ce qui m’intéresse dans la photographie, ce n’est pas le grain, le piqué, les
effets strictement photographiques, mais cette formidable possibilité de répéter à l’infini une même image. En ce sens, WARHOL est notre maître à tous. »
« (…), moi, volontairement, je joue à jouer le jeu ; aucune dénonciation directe, frontale, je préfère les souterrains, les recoins obscurs, les méandres et me servir de tous ces éléments traditionnels de notre vie, de notre culture, de notre histoire. »
« Tout ce que je fais est contre l’unique et la pureté ; le trop ne met rien en valeur, tout se perd dans la quantité. »
« Je me suis toujours intéressée aux arts dévalués. En tant que femme, j’étais déjà une artiste dévaluée. Faisant partie d’une minorité, je suis attirée par les valeurs et les objets mineurs… De là sans doute mon goût pour l’art populaire, les proverbes, l’art brut, les sentences, les contes de fées, l’art du quotidien, les broderies et le cinéma… La photographie est d’ailleurs un art dévalué, dévalorisé par rapport à la peinture… Les minorités deviennent fortes justement quand elles se servent de leurs propres atouts, sans essayer d’imiter ceux de la majorité. »
HENRI MICHAUX : 1899-1984, écrivain, poète et
peintre d’origine belge.
« Le petit tas colorant qui se désamorce en infimes particules, ces passages et non l’arrêt final, le tableau, voilà ce que j’aime. En somme, c’est le cinéma que j’apprécie le plus dans la
peinture. »
« Il suffit d’être l’élu, d’avoir gardé soi-même la conscience de vivre dans un monde d’énigmes, auquel c’est en énigmes qu’il convient le mieux de répondre. »
in Aventures de lignes.
YAN PEI
MING : peintre d’origine chinoise, né en 1960
« Les vraies peintures sont celles qui sont à la fois totalement ressemblantes et totalement non ressemblantes. » (citant le peintre Huan Bin Hong 1864-1955).
« Je vois mon travail comme un travail pour toute la vie : peindre des têtes. »
« Je crois qu’il faut toujours trahir ses propres décisions, ses propres envies. En peinture, la trahison joue un rôle majeur. Sans trahison, il n’y a pas d’ouverture. »
« Quand on me demande comment je peins, je réponds : comme si je faisais la guerre. En fait, je peins de manière violente et énergique pour finir plus rapidement. »
« Lorsque je peins, la figure évolue en même temps que la peinture. Je pars de formes abstraites, de taches, de coup de pinceaux qui s’organisent pour laisser apparaître un visage. »
JOAN MIRO :
1893-1983, peintre, sculpteur et créamiste catalan
« S’il s’agit d’un dessin, je froisse la feuille, je la mouille. L’eau qui coule trace une forme. C’est la matière qui commande tout. J’attache trop d’importance au choc initial. »
« Et que partout on trouve le soleil, un brin d’herbe, les spirales de la libellule. Le courage consiste à rester chez soi, près de la nature qui ne tient aucun compte de nos désastres. Chaque grain de poussière possède une âme merveilleuse. Mais pour la comprendre, il faut retrouver le sens religieux et magique des choses, celui des peuples primitifs. »
LASZLO MOHOLY NAGY : 1895-1946, peintre, photographe et
théoricien de la photographie américain d’origine hongroise, préfigure l’art cinétique.
« Ecran de projection, surface plane et blanche, écran idéal pour les effets d’ombre et de lumière. » (à propos du « Carré blanc sur fond blanc » de MALEVITCH).
« L’écran rectangulaire de nos salles de cinéma n’est rien d’autre qu’un substitut du chevalet ou de la peinture murale. »
PIET MONDRIAN : 1872-1944, peintre néerlandais, pionnier de
l’abstraction.
« L’artiste vraiment moderne ressent consciemment l’abstraction dans uns émotion de beauté, il reconnaît consciemment que l’émotion du beau est cosmique, universelle. Cette reconnaissance
consciente a pour corollaire la plastique abstraite, l’homme adhérent uniquement à ce qui est universel. »
« Nous arriverons, dans un avenir peut-être lointain, vers l’abolition de l’art coupé de notre environnement, qui est la véritable réalité plastique. Mais cette fin est en même temps un nouveau commencement. L’art ne fera pas que continuer ; il s’accomplira de plus en plus. Une nouvelle réalité plastique découlera de l’unification de l’architecture, de la sculpture, de la peinture. »
« Je pense que l’être humain ordinaire recherche la beauté ordinaire dans la vie matérielle mais selon moi l’artiste ne devrait pas le faire. Il ne devrait rien attendre du monde matériel : il doit être seul et lutter seul. Sa création doit se situer à un niveau immatériel : celui de l’intellect. »
« L’homme artiste est féminin et masculin à la fois : par conséquent, il n’a pas besoin d’avoir une femme. L’artiste femme n’est jamais complètement artiste, donc on ne peut pas dire qu’elle n’a pas besoin d’homme. »
« L’artiste émettant donc à la fois le principe masculin et le principe féminin, et ne représentant pas la nature directement, il s’ensuit que l’œuvre d’art est plus que nature. »
THEODORE MONOD : 1902-2000, scientifique
naturaliste et explorateur français.
« Je n’ai jamais séparé ma vie quotidienne du sentiment de l’infini, que ce soit au désert ou dans la cité. »
« L’homme c’est autre chose qu’un matricule, c’est autre chose qu’une carte d’électeur, c’est autre chose qu’un tube digestif, etc.… c’est plus vaste, alors il faudrait peut être penser aussi à l’homme complet… on parle toujours du Produit National Brut… mais qui pense au Bonheur International Brut ? »
« Le refus de l’ignorance, la volonté de savoir, d’expliquer sont, je crois, l’honneur de l’esprit humain dans tous les domaines. »
« Je dis on entre au Sahara comme on entre en religion. On accède à un domaine très particulier et qui mérite un certain respect. »
GUSTAVE MOREAU : 1826-1898, peintre, dessinateur, graveur,
sculpteur et enseignant français.
« Ne vous contentez pas d’aller au musée, descendez dans la rue. » (à ses élèves et rapporté par Henri Matisse).
« Vous allez simplifiez la peinture ». (à Henri Matisse)
« Vous n’allez pas simplifiez la peinture à ce point là, la réduire à ça ! La peinture n’existerait plus. _et puis il revient et il me dit : Ne m’écoutez pas. Ce que vous faites
est plus important que tout ce que je vous dis. Je ne suis qu’un professeur, je ne comprends rien. »
in Ecrits et propos sur l’art d’Henri Matisse.
ROBERT MORRIS : artiste conceptuel américain, né en
1931, figure importante du minnimalisme
« L’art érode tout ce qui tente de le contenir et de l’utiliser, et s’infiltre inexorablement dans les recoins les plus opposés, atteint les émotions les plus refoulées et supporte la
contradiction sans aucun effort. »
HARUKI MURAKAMI : écrivain japonais, né en
1949.
« Réussir à bien jouer les sonates de Franz Schubert est une des choses les plus difficiles au monde. Spécialement cette Sonate en fa mineur. Certains pianistes arrivent à jouer presque
parfaitement un ou deux mouvements, mais, si on considère l’ensemble des quatre mouvements, il n’y a, à ma connaissance, aucun pianiste au monde capable de les exécuter en entier de manière
satisfaisante. De nombreux virtuoses ont essayé de relever ce défi, mais leurs interprétations ont chacune des défauts notables. Il n’y a pas une seule interprétation dont on puisse dire :
« Ah, là, c’est parfait ! » Et sais-tu pourquoi ?
_ Je ne sais pas, dis-je.
_ Parce que les sonates elles-mêmes sont imparfaites. Robert Schumann était un de ceux qui comprenaient le mieux la musique pour piano de Schubert, mais il disait de la sonate que tu entends
qu’elle était « divinement bavarde ».
_ Pourquoi des pianistes célèbres se donnent-ils pour défi de jouer une musique imparfaite ?
_ C’est une bonne question, dit Oshima. (Il marque une pause, pendant laquelle la musique emplit le silence.) Je suis incapable de t’expliquer cela en détail. Mais je peux te dire une
chose : les œuvres qui possèdent une sorte d’imperfection sont celles qui parlent le plus à nos cœurs, précisément parce qu’elles sont imparfaites. Toi, par exemple, tu as aimé Le Mineur de
Sôseki. Parce que ce roman possède une force d’attraction dont sont dépourvues ses œuvres parfaites telles que Le Pauvre Cœur des hommes ou Sanshirô. Tu as rencontré cette œuvre. Ou plutôt, c’est
elle qui t’a rencontrée. C’est la même chose pour la Sonate en fa mineur. Ces œuvres ont le don de parler au cœur comme aucune autre.
_ Mais je reviens à ma première question ; pourquoi écoutez-vous les sonates de Schubert en conduisant ?
_ Les sonates de Schubert et spécialement celle-ci, si on les interprète telles quelles, ce n’est pas de l’art. Schumann l’a bien indiqué : elles sont trop longues, trop pastorales et trop
simples techniquement. Si on les joue telles quelles, elles deviennent juste des antiquités plates et insipides. Aussi chaque pianiste essaie-t-il d’y insuffler quelque chose de personnel. Comme
là... »
in Kafka sur le rivage, 10/18, éd. Belfond, p.149.
« _ Croyez-vous que Mlle Saeki comprenait ce que ces mots signifiaient ?
Oshima lève la tête, tend l’oreille aux coups de tonnerre lointains comme pour mesurer à quelle distance a éclaté l’orage. Puis il me regarde et secoue la tête.
_ Pas forcément. Le symbolisme et la signification ne sont pas la même chose. Elle a sans doute réussi à trouver les mots justes en outrepassant le sens ou la logique. Elle a saisi au vol les
mots comme on attrape délicatement les ailes d’un papillon voletant autour de soi. Les artistes ont le droit de ne pas se montrer trop prolixes.
_ Vous voulez dire que Mlle Saeki aurait trouvé ces mots dans un autre espace, dans celui d’un rêve par exemple ?
_ C’est plus ou moins le cas de tous les grands poèmes. Si les mots ne parviennent pas à se frayer un chemin prophétique, à traverser un tunnel les reliant à la conscience du lecteur, cela n’a
plus grand-chose à voir avec un poème. »
in Kafka sur le rivage, 10/18, éd. Belfond, p.331.
« _ On pense que ce sont les habitants de la Mésopotamie antique qui ont eu les premiers l’idée du labyrinthe. Ils lisaient le futur dans les entrailles d’animaux – et sans doute parfois
d’hommes – sacrifiés. Ils en observaient les dessins complexes qui leur permettaient d’interpréter l’avenir. A l’origine, la forme du labyrinthe s’est inspirée de celle des boyaux. Autrement dit,
le principe du labyrinthe existe à l’intérieur de toi. Et il correspond à un labyrinthe extérieur à toi.
_ C’est une métaphore ?
_ Exactement. Une métaphore a double sens. Ce qui est extérieur à toi, c’est la projection de ce qui est intérieur, et l’intérieur est la projection de l’extérieur. Souvent, quand tu mets le pied
dans un labyrinthe extérieur, c’est que tu entres aussi dans un labyrinthe intérieur. Dans la plupart des cas, c’est très dangereux. »
in Kafka sur le rivage, 10/18, éd. Belfond, p.481.
« _ Adieu, Kafka Tamura, dit Mlle Saeki. Retourne d’où tu viens, et continue à vivre.
_ Mademoiselle Saeki !
_ Oui ?
_ Je ne sais pas très bien ce que cela signifie, vivre...
Elle éloigne ses mains de mon corps. Elle lève les yeux vers mon visage. Elle tend la main, pose un doigt sur mes lèvres.
_ Regarde le tableau, dit-elle calmement. Fais comme moi, regarde le tableau, sans cesse. »
in Kafka sur le rivage, 10/18, éd. Belfond, p.604.
« Je suis coincé entre deux néants. Je n’arrive plus à distinguer ce qui est juste de ce qui ne l’est pas. Je ne sais même plus ce que je veux. Je suis seul, au beau milieu d’une violente
tempête de sable. Je ne vois plus rien devant moi, je ne peux plus avancer. Du sable blanc pareil à des os réduits en poussière tourbillonne autour de moi. La voix de Mlle Saeki me parvient,
venue d’on ne sait où. « Il faut que tu retournes là-bas, dit-elle d’un ton ferme. Moi, je désire ta présence. »
Je suis délivré du sortilège. Je suis de nouveau moi-même. Un sang tiède se remet à circuler dans mes veines. Le sang qu’elle m’a donné. Les dernières gouttes de son sang. »
in Kafka sur le rivage, 10/18, éd. Belfond, p.606.
ROBERT MUSIL : 1880-1942, ingénieur et écrivain
autrichien.
« Tout ce qui se prolonge perd le pouvoir de frapper ».
in Œuvres pré-posthumes, Seuil, 1965.
N
BRUCE NAUMAN : plasticien et vidéaste
américain, né en 1941
« Diminuer l’importance de la chose à regarder. »
LOUISE NEVELSON : 1899-1988, artiste américaine
d’origine ukrainienne, figure majeure de la sculpture moderne aux états-unis.
« Quelque fois, c’est le matériau qui prend le pouvoir, quelque fois c’est moi, cela permet un jeu de bascule… »
« J’estime que la récupération dans les ordures procèdent de la résurrection. »
FREDERIC NIETZSCHE : 1844-1900,
philosophe, philologue et poète allemand.
« On commence à deviner ce que vaut quelqu’un quand son talent faiblit, _ quand il cesse de montrer ce qu’il peut. Le talent peut être un ornement, et l’ornement une cachette. » in
Par-delà le Bien et le Mal.
« … comme s’il y avait dans la nature, en dehors des feuilles, quelque chose qui serait la feuille, une sorte de forme originelle selon laquelle toutes les feuilles seraient tissées, dessinées, cernées, colorées, crêpées, peintes, mais par des mains malhabiles au point qu’aucun exemplaire n’aurait été réussi correctement et sûrement comme la copie de la forme originelle. »
« L’homme est une créature inventive de formes et de rythme ; c’est à cela qu’il est le mieux exercé et il me semble que rien ne lui plaise autant que d’inventer des formes. Observons seulement de quoi notre œil s’occupe dès qu’il n’a plus rien à voir ; il se crée quelque chose à voir. »
« Tout ce qui ne nous tue pas nous renforce »
PAUL NIZON : écrivain suisse, né en
1929.
« Se promener. A peine suis-je parti me promener, mes pensées se remettent à courir parce que leur circulation interne est activées par les voies visuelles. Les fruits du ravissement de
l’oeil éveillent le désir de la langue. La formulation anime les bonds des pensées, les pensées esquissent ou crayonnent un monde à moi avec son espérance et son impuissance, son étendue et ses
limites. Avant tout, le moi existentiel se révèle à nouveau... Comme un polichinelle de son sommeil dans le caniveau et se met à se mouvoir. A questionner, à se souvenir. Cela ne se produit qu’en
marchant. La promenade amorce la course folle à travers le monde sous le crâne. Chaque chose en déclenche une autre qui se consume au fil de la mèche en tous sens et provoque l’éclosion de
différents foyers et finalement un incendie généralisé. Tout s’anime. »
in Le souvenir du présent, Actes Sud, 1997.
THOUBTEN JIGME NORBÛ : 1922-2008,
écrivain, militant et professeur tibétain, aîné des frères du dalaï-lama Tenzin Gyatso
« En fin de compte, la seule question fondamentale, c’est la nature de la vérité. Peut-être que la plus grande ignorance, la pire des cruautés, c’est d’obliger autrui à voir le monde tel que
nous le voyons. »
AMELIE NOTHOMB : écrivain belge, née en
1967
« Combien de fois ai-je demandé, à des personnes intelligentes : Ce livre vous a-t-il changé ? Et on me regardait, les yeux ronds, l’air de dire : Pourquoi voulez-vous qu’il
me change ? (…) Alors, vous vous imaginez que ce sont les livres à message qui peuvent changer un individu ? Quand ce sont ceux qui les changent le moins. Non, les livres qui marquent
et qui métamorphosent ce sont les livres de désir, de plaisir, les livres de génie et surtout les livres de beauté. Tenez, prenons un grand livre de beauté : Voyage au bout de la nuit.
Comment ne pas être un autre après l’avoir lu ? Eh bien la majorité des lecteurs réussissent ce tour de force sans difficulté. Ils vous disent après : Ah oui, Céline, c’est formidable,
et puis reviennent à leurs moutons. Evidemment, Céline, c’est un cas extrême, mais je pourrai parler des autres aussi. On n’est jamais le même après avoir lu un livre, fût-il aussi modeste qu’un
Léo Malet : ça vous change un Léo Malet. On ne regarde plus les jeunes filles en imperméables comme avant, quand on a lu un Léo Malet. Ah mais c’est très important ! Modifier le
regard : c’est ça, notre grand œuvre. »
in Hygiène de l’assassin, coll. POINTS, éditions Albin Michel, p.57.
« La neige qui amortit tout _ les bruits, les chutes, le temps _ pour mieux mettre en valeur les choses éternelles et immuables comme le sang, la lumière, les illusions.
La neige, premier papier de l’Histoire, sur lequel furent écrites tant de traces de pas, tant de poursuites sans merci, la neige qui fut donc le premier genre littéraire, immense livre à fleur de
terre où il n’était question que de pistes de chasse ou de l’itinéraire de son ennemi, sorte d’épopée géographique qui donnait au moindre signe une valeur d’énigme _ ce pied-là était-il celui de
son frère ou du meurtrier de son frère ?
De ce bouquin kilométrique et inachevé, qui pourrait s’intituler Le Plus Vaste Livre du Monde, il ne nous est resté aucun fragment _ c’est le contraire de la bibliothèque d’Alexandrie : tous
les textes ont fondu. Mais il a dû nous en demeurer une lointaine réminiscence qui resurgit à chaque nouvelle neige, sorte d’angoisse de la page blanche qui donne une terrible envie de fouler les
espaces encore vierges, et instinct d’exégète dès que l’on croise la trace d’un autre.
Au fond, c’est la neige qui a inventé le mystère. Par le fait même, c’est elle qui a inventé la poésie, l’estampe, le point d’interrogation _ et ce grand jeu de piste qu’est
l’amour. »
in Le Sabotage amoureux, coll. ; Le Livre de Poche, éditions Albin Michel, p.104.
NOVALIS:1772-1801, poète et écrivain
allemand
« L’homme entièrement conscient s’appelle le voyant. » in Fragments.
« La poésie est le réel absolu. » in Fragments.
O
ROMAN OPALKA : peintre français, né en
1931
« Pour appréhender le temps, il faut prendre la mort comme réelle dimension de la vie. L’existence de l’être n’est pas plénitude, mais un état où il manque quelque chose. L’être est défini
par la mort qui lui manque. »
DENIS OPPENHEIM : artiste américain, né en 1938, Land
Art, art conceptuel, Body Art.
« Ce n’est pas ce que vous faites qui importe mais ce qui vous pousse à le faire. »
« L’artiste se passe de l’intervention d’un élément secondaire : il devient à la fois l’instigateur et la victime de son art. C’est un système de feedback, un système clos. »
« Il faut croire que l’art s’est éloigné de sa phase manuelle, et qu’il est désormais plus spéculatif, plus préoccupé du lieu où il placera son matériau. Ce qui fait qu’aujourd’hui, plutôt que de la réaliser, on doit visiter l’œuvre d’art ou l’abstraire à partir d’une photographie. »
« Il me semble que l’une des principales fonctions de l’enseignement artistique est de repousser les limites de ce qui peut être fait et de montrer aux autres que l’art ne consiste pas seulement en la fabrication d’objets à placer dans des galeries ; qu’il peut exister avec ce qui est situé en dehors de la galerie, un rapport artistique qu’il est précieux d’explorer. » (1969).
GABRIEL OROZCO : artiste mexicain
postminimaliste, né en 1962.
« Je suis d’abord un récepteur et ensuite un producteur. La sculpture, c’est ça : un réceptacle. »
P
BERNARD PAGES : sculpteur français, né en
1940, membre du groupe SUPPORT-SURFACE.
« La série était aussi une manière de pallier à la petitesse d’une fabrication. Un seul élément n’arrêtait pas le regard, alors qu’un ensemble devenait démonstratif et intelligible… A mes
yeux, la technique avait peu d’importance et l’arrangement restait essentiel. »
« Le tableau a quelque chose, à mes yeux, de paradoxalement plus durable. Son support peut être protégé de la lumière et des différents risques d’altération alors que la sculpture est, par
nature, plus offerte aux coups. Au fond, elle m’apparaît plus fragile. Elle a plus à voir avec la déchéance que la peinture. On accepte plus volontiers de voir exhibées des sculptures ruinées et
donc transformées que des peintures… Témoignage plus présent que la peinture, la sculpture est aussi le plus dénaturé des objets : c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles mes
sculptures parlent de la ruine, l’intègrent à leur existence, sans pour autant s’en protéger. La couleur par exemple est éminemment fragile. »
in Daniel Abadie, Bernard Pagès, Le plaisir du travail (entretien), MNAM Centre Georges Pompidou, Paris, 1953.
ORHAN PAMUK : écrivain turque, né en
1952
« Alors, Dieu nous garde d’aspirer à la pureté sans mélange. [...] Ce peintre consacra, en effet, les trente dernières années de sa vie à rechercher ses propres œuvres. Mais sur les pages
qu’il tournait de chaque livre qu’il ouvrait, c’étaient bien plus souvent des imitations, des œuvres inspirées de ses créations, plutôt que ses œuvres, qu’il découvrait. Pendant toutes ces
années, deux nouvelles générations de peintres avaient pris celles-ci pour modèles, s’étaient approprié, avaient imprimé dans leur esprit ce que lui-même avait renié, jusqu’à en faire, au-delà de
leur mémoire, une partie de leur âme. Et il comprit que, tandis qu’il s’affairait à détruire ses œuvres, de jeunes peintres, avec enthousiasme, les reproduisaient sur tellement de livres, les
réutilisaient pour illustrer tant d’autres histoires, les retransmettaient à tant d’autres peintres, qu’elles se répandaient par le monde, irrésistiblement. Ce que nous comprenons d’un livre à
l’autre, d’une image à l’autre, au bout de plusieurs années, c’est qu’un grand peintre ne fait pas qu’imposer ses œuvres à nos esprits : il finit par changer tout notre paysage intérieur.
Chaque image produite par son art, reproduite par notre âme, devient pour nous, peu à peu, la mesure de la beauté du monde. »
in Mon nom est Rouge, Folio éd. Gallimard, p.292
« J’entend d’ici votre question : qu’est-ce donc qu’être une couleur ?
C’est le toucher de la pupille, la musique du sourd-muet, la parole dans les ténèbres. Parce, depuis dix mille ans, j’ai entendu les chuchotis des âmes, de tous les objets, dans les livres, à
longueur de pages, qui résonnent comme le vent dans les nuits de tempêtes, je puis vous dire que ma caresse, pour eux, est comme celle des anges. J’amuse, de mon côté lourd, vos yeux levés vers
moi ; de l’autre, je prends mon essor, dans l’air, suivi de vos regards.
Quelle chance j’ai d’être le Rouge ! Je suis le feu, je suis la force ! On me remarque et l’on m’admire, et l’on ne me résiste pas.
Car je dois être franc : pour moi, le raffinement ne se cache pas dans la faiblesse, dans la pusillanimité, mais réside dans la fermeté et la nette résolution. Je m’expose, donc, aux
regards. Je n’ai crainte ni des couleurs, ni des ombres ; encore moins de la foule ou de la solitude. Je jouis de prendre une surface offerte à mon ardent triomphe : je la remplis, je
m’y répands ; les cœurs s’emballent et le désir augmente, les yeux s’écarquillent et tous les regards étincellent ! Regardez-moi : c’est bon de vivre ! Voyez comme c’est bon
de voir ! Vivre, c’est voir. On peut me voir en tout lieu, croyez-moi : la vie commence, la vie s’achève toujours avec moi. »
in Mon nom est Rouge, Folio éd. Gallimard, p.336
« Ce que je voyais au niveau du sol remplissait toutes mes pensées. La pente de la rue s’élève doucement, tristement. Les bas-côtés, les murs du Grand Atelier ; le toit, le ciel. Sans
s’arrêter.
Cette vue, ce moment, se sont tant prolongés que j’ai compris que la vision est une espèce de souvenir. J’ai fais la même réflexion que jadis, quand, pendant des heures, je regardais une
miniature : en regardant longtemps, on entre dans le temps de l’image regardée.
Le temps, alors, englobait tous les temps. »
in Mon nom est Rouge, Folio éd. Gallimard, p.722
GINA PANE : 1935-1990, artiste française du body
art
« Je me blesse mais ne me mutile jamais. Si j’ouvre mon corps afin que vous puissiez y voir votre sang, c’est pour l’amour de vous. »
NAM JUNE PAIK : 1932-2006, artiste vidéaste
coréen.
« Un jour des artiste travailleront avec des condensateurs, des résistances, des semi-conducteurs tout comme ils travaillent aujourd’hui avec des pinceaux, des violons et du
bric-à-brac. »
BLAISE PASCAL : 1623-1662, philosophe,
mathématicien, théologien et moraliste français.
« Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux. » Pensées 134-140.
PINO PASCALI : 1935-1968, artiste italien de
l’Arte
Povera.
« Que c’est beau de mettre des canons dans un espace réservé aux sculptures… dans un lieu consacré où tout est artifice. »
MERVYN PEAKE : 1911-1968, écrivain, poète et dessinateur
anglais.
« Dans cette confusion d’eau miroitante, de ronces et d’arbrisseaux épineux, les bouquets d’arbres se dressaient avec une étrange autorité. Titus les trouvait curieusement vivants, ces
taillis. En effet, chacun d’eux paraissait singulièrement différent des autres, bien que leur taille fût à peu près la même et qu’ils fussent exclusivement composés de frênes et de
sycomores.
Mais il était évident que le groupe le plus proche de Titus était d’humeur irritable, chaque arbre ignorant son voisin, retournant la tête et haussant les épaules, vingt mètres plus loin, un
autre bosquet était dans un état d’excitation retenue, les cimes des arbres comme penchées ensemble sur un secret vert susurré. Seul l’un d’eux avait légèrement levé la tête. Elle était inclinée
de côté comme s’il ne voulait pas perdre une bribe de la conversation animée. Titus laissa glisser son regard et aperçut un taillis où, légèrement tournés sur les hanches, douze arbres jetaient
un regard en coin sur un solitaire qui se tenait à distance. Il leur tournait le dos. Les yeux ailleurs, il n’y avait aucun doute qu’il méprisait le groupe derrière lui.
Il y avait des arbres qui se blottissaient les uns contre les autres comme s’ils avaient froid ou peur. Il y avait des arbres qui gesticulaient. Il y en avait qui semblaient soutenir un blessé.
Il y avait les groupes arrogants et les mélancoliques, avec leurs têtes penchées ; les taillis exultants et ceux où chaque arbre semblait dormir. »
in Gormenghast, éd. Phébus, p.123.
« Il y avait des membres, des têtes et des corps partout : et des visages ! Ceux qui étaient au premier plan, à mi-distance, ou plus loin. Et dans les intervalles irréguliers entre
les visages, il y avait des parties de visages, des moitiés, des quarts sous tous les angles imaginables.
Ce panorama en profondeur était en mouvement, une tête puis une autre se tournant ici, puis là, mais en contrepoint régnait une vive agitation, quelque chose qui ressemblait à des zigzags de
têtards, car chaque fois qu’une tête ou un corps changeaient de position dans l’espace, leurs mouvements étaient accompagnés par les battements d’une centaine de paupières, les frémissements
d’une centaine de lèvres et une fluctuante arabesque de mains. L’ensemble avait quelque chose du feuillage, des tendres brises jouant dans les peupliers. »
in Titus Errant, 3ème tome de la trilogie Gormenghast, éd Phébus, p.47.
DANIEL PENNAC : écrivain français, né le 1er
décembre 1944
« 34 ans, 6 mois, 9 jours
SAMEDI 19 AVRIL 1958
Je veille à la cuisson des œufs coque pendant que Lison dessine en silence, la main refermée sur son bout de crayon. Le dessin achevé, elle me le montre et je m’écris oh le beau dessin sans
quitter des yeux la trotteuse de ma montre. C’est un homme qui crie dans sa tête, précise l’artiste. C’est bien ça : de la tête d’un homme soucieux jaillit une tête hurlantes en deux ovales
et quelques traits qui disent tout. Il en va des dessins d’enfants comme des œufs à la coque, chefs-d’œuvre chaque fois uniques mais si nombreux en ce monde que ni l’œil ni les papilles ne s’y
arrêtent. Qu’on en isole un seul pourtant, cet œuf dominical ou cet homme qui crie dans sa tête, qu’on se concentre absolument sur la saveur de l’œuf et le sens du dessin, l’un et l’autre
s’imposent alors comme merveilles fondatrices. Si toutes les poules sauf une venaient à disparaître, les nations se battraient pour posséder le dernier œuf, car rien au monde n’est meilleur qu’un
œuf à la coque, et s’il ne restait qu’un seul dessin d’enfant, que ne lirions nous pas, dans ce dessin unique !
Lison est à l’âge où l’enfant engage son corps entier dans le dessin. C’est tout le bras qui dessine : épaule, coude et poignet. Toute la surface de la page est requise. L’homme qui
crie dans sa tête se déploie sur une double feuille arrachée à un cahier. La tête hurlante jaillissant de la tête soucieuse (soucieuse ou sceptique ?) occupe la totalité de
l’espace disponible. Dessin en expansion. Dans un an, l’apprentissage de l’écriture aura raison de cette ampleur. La ligne dictera sa loi. Épaule et coude soudés, poignet immobile, le geste se
trouvera réduit à cette oscillation du pouce et de l’index qu’exigent les minutieux ourlets de l’écriture. Les dessins de Lison pâtiront de cette soumission à qui je dois ma calligraphie de
greffier, si parfaitement lisible. Une fois qu’elle saura écrire, Lison se mettra à dessiner de petites choses qui flotteront dans la page, dessins atrophiés comme jadis les pieds des princesses
chinoises.
34 ans, 6 mois, 10 jours
DIMANCHE 20 AVRIL 1958
À regarder Lison dessiner, j’ai revécu mon apprentissage de l’écriture. De sa guerre, mon père avait rapporté quantité d’aquarelles où il avait saisi tout ce qui n’était pas affecté par le grand
pilonnage. Des villages entiers pendant les premiers mois, puis des maisons isolées, puis des bots de jardin, des massifs de fleurs, une fleur toute seule, un pétale, une feuille, un brin
d’herbe, par une sorte de saisie décroissante de son environnement de soldat qui disait l’absolue dévoration de la guerre. Uniquement des images de paix. Pas un seul champ de bataille, pas un
drapeau, pas un cadavre, pas un brodequin, pas un fusil. Rien que des restes de vie, des miettes colorées, des éclats de bonheur. Il en avait des cahiers et des cahiers. Dès que ma main put se
refermer sur un crayon, je m’amusai à détourer ces aquarelles. Loin de s’en offusquer, papa me guida ; sa main sur la mienne il m’aidait à donner à la réalité que ses pinceaux avaient
ébauchée le contour le plus exact possible. Du dessin, nous passâmes à l’écriture. Sa main toujours guidant la mienne, un porte-plume en place du crayon, il me faisait ourler des lettres après
m’avoir fait détourer des marguerites. C’est ainsi que j’ai appris à écrire : en passant des pétales aux hampes et aux jambages. Trace-les avec soin, ce sont les pétales des mots ! Je
n’ai jamais retrouvé ces cahiers d’aquarelles, disparus dans le grand autodafé maternel, mais il m’arrive encore de sentir la main de mon père sur la mienne dans le plaisir enfantin que j’éprouve
à bien ourler mes lettres. »
in Journal d’un corps, éd Gallimard 2012, réédité et illustré en 2013 chez Futuropolis par Manu Larcenet, p174
GIUSEPPE PENONE : artiste plasticien italien
né en 1947, apparenté au mouvement de l’Arte Povera.
« Avec la sculpture figurative, on a toujours dans l’idée qu’il se dégage une forme de spiritualité mais c’est une qualité qui se perd quand le travail est confronté à d’autres œuvres de la
même espèce. »
« Comment peut-on sculpter comme Giacometti quand on n’a pas vu la guerre, quand on vit dans un tout autre contexte... »
« Il y avait dans mon village un boulanger qui avait un four à bois. Je l’ai convaincu de travailler avec moi... Le pain avait une longueur de deux mètres. L’œuvre a été réalisée deux fois, l’une avec un alphabet en tôle de zinc, l’autre en acier inox. Les lettres étaient incluses dans le pain ; comme les oiseaux, en mangeant, ne pouvaient pas piquer le métal, ils devaient contourner les lettres, mimant le mouvement de l’écriture. C’était une contrainte, comme la contrainte qu’on inflige aux enfants pour apprendre à lire. »
« Avec l’arbre, c’est quelque chose qui semble excéder les possibilités de l’homme. Il a un temps de vie très différent du temps humain. On peut considérer que les saisons constituent comme la respiration, le rythme de la respiration de l’arbre. Il y a aussi le rythme du jour et de la nuit ; les feuilles qui tombent, et l’arbre qui doit arrêter de respirer pendant un moment ; et puis, avec le retour des feuilles, la reprise de la respiration. Voilà ce qui fonde mon travail sur le temps : si l’on réalise que les choses ont un temps de vie distinct du nôtre, toute la réalité que l’on appréhende s’en trouve modifiée, et on a un autre rapport avec les choses. Ces travaux sur le temps, c’était comme se mettre à côté des choses et les observer vivre selon leur propre rythme, selon un autre rythme. »
« On sait très bien que toutes les choses disparaissent, mais on a ce désir de la durée. Et la sculpture y est particulièrement liée, parce qu’elle fige les choses, le geste, dans la matière, dans la stabilité. Quand je crée des œuvres à partir d’un geste dans l’eau, je développe cette problématique jusqu’à l’absurde : l’eau, au contraire d’une pierre, ne conserve pas la forme. »
« L’absurde, dans une œuvre, fait partie du langage ; c’est comme la contradiction _ on peut dire aussi surprise. Si l’œuvre ne touche pas à l’absurde, si elle n’arrive pas à surprendre, elle sera oubliée. La poésie nous marque parce qu’elle est empreinte de contradictions et, ensuite, on s’en souvient, grâce aux sonorités. Ce qui nous frappe et nous fait réfléchir, ce sont bien les contradictions. Sans cela, il n’y a pas de langage ... et les choses deviennent banales. »
« Quand les possibilités d’une idée sont épuisées, il faut passer à autre chose. »
« L’image doit advenir, être nécessaire, et ne doit pas seulement être une question de forme _ voilà peut-être pourquoi j’ai souvent utilisé l’empreinte du corps. »
« L’art opère plutôt une transformation de la réalité. L’œuvre n’est pas un outil de magie, elle est magie elle-même... C’est un peu la distinction que l’on pourrait faire entre la poésie et la liturgie. La poésie est la révélation de quelque chose qui est extraordinaire, tandis que la liturgie essaie de faire revivre cette chose extraordinaire, d’en témoigner. »
« De la poésie, oui... C’est aussi ce qui détermine le besoin de refaire chaque fois une œuvre nouvelle. La répétition de l’œuvre n’est pas acceptable ; pour créer un moment de poésie, il faut retrouver chaque fois un sentiment de nécessiter, ce qui n’est pas duplicable. Les artistes anglo-saxons, dans les années 1970, avaient eu l’idée de la répétition comme produit. C’était une réponse au problème du marché, l’œuvre était facilement identifiable et la diffusion devenait très rapide. Mais en même temps, c’était terrible, parce qu’étant soumis à l’obligation de reproduire ses propres œuvres, l’artiste pouvait difficilement s’en dégager pour tenter autre chose ; ça devenait un piège. Dans la situation italienne, il y avait un refus du marché, un peu moraliste, peut-être trop... Un refus qui a écarté cette pratique de la répétition _ que personnellement je ne trouve intéressante que quand elle est l’expression d’une obsession. »
« La peau, quand elle est pressée, devient lisse, sans aspérités. »
« Quand on a les yeux ouverts, on voit l’extension de son corps et on arrive à comprendre des choses éloignées de soi. Les yeux fermés, on perd cette compréhension, mais on sent mieux son corps, son volume. C’est alors que m’est venue l’idée de faire du corps une sculpture, comme un volume fermé. J’ai pensé souvent réaliser ça au moyen d’une rupture du regard, en créant des lentilles-miroir. Ces lentilles allaient donc réfléchir ce qu j’aurais dû voir. »
« Le corps, l’image anthropomorphe, a un potentiel de communication que ne possède pas l’élément naturel. »
« L’empreinte, c’est une chose que tout le mode dépose autour de soi, et que l’on passe une partie de sa vie à tenter d’effacer _ la société nettoie l’espace, comme pour le préparer à recevoir perpétuellement de nouvelles empreintes. C’est une image animale, une image de la matière, mais c’est aussi une image complètement culturelle. »
« Ca m’intéresse de réaliser des œuvres moi-même parce qu’à travers ce travail j’acquiers une connaissance, j’apprends des choses qui vont ensuite nourrir mon œuvre. Parce qu’il y a un fossé entre imaginer une chose et la faire. C’est comme dessiner de mémoire et dessiner d’après la réalité. La copie oblige à une analyse du réel, il y a une compréhension qui se fait au travers du dessin, une attention, une tension qui n’est jamais uniquement descriptive. Au contraire dans le dessin de mémoire se développe une espèce de symbolisme, qui n’adhère pas à la réalité... C’est un travail plutôt fondé sur les conventions. »
« Si on regarde une œuvre situé dans un espace du XIX° siècle, elle entre en relation avec le XIX° siècle, et si elle est située dans un lieu gothique, elle entre en relation avec le gothique... C’est la culture que nous avons acquise qui nous permet d’opérer les distinctions de temps, mais pour un enfant, toutes les choses sont contemporaines. »
« J’ai toujours essayer de ne pas utiliser le langage dans l’œuvre, parce que le langage n’est pas universel. »
« Dans la tradition romaine du portrait, c’est la coiffure qui indiquait l’époque de création de l’œuvre. »
« Le moulage n’est pas une représentation, mais une évocation : le spectateur appréhende le positif de l’image même s’il n’en perçoit en fait que le négatif, le vide, l’absence _ une absence qui documente l’action, fait partie de l’action. »
« Une œuvre qui fonctionne vraiment est toujours la révélation de quelque chose qui existe et auquel on n’avait jamais pensé. Voilà la véritable fonction d’une œuvre. »
« Il est clair que quand on arrive à dire beaucoup de choses avec un geste très simple, c’est extraordinaire : l’œuvre a un valeur supplémentaire. Arriver à dire une chose gigantesque avec très peu de mots, c’est de la poésie. »
« Il n’est pas rare qu’une œuvre que l’on considérait comme mauvaise se révèle être bonne par la suite. Dans un ensemble de dessins, on peut après quelques années constater que celui qu’on croyait le meilleur ne l’est plus, alors que celui qui était le moins bon est devenu le plus intéressant... parce que la réalité change, et qu’on s’adapte à la réalité. »
« Nous, nous pouvons faire des gestes et nous déplacer dans l’espace, nous gardons toujours la même forme. Mais, l’arbre, quand il se déplace dans l’espace, change de forme. Il conserve la mémoire du geste qu’il fait. On peut dire qu’il y a similitude entre le geste du sculpteur et ce geste végétal, figé dans la matière. »
« Il y a un aspect important dans la peinture, et surtout dans la sculpture : c’est de croire à la magie de la réalité. Si on ne croit pas à une âme dans la matière, on n’arrive pas à produire un travail de sculpture intéressant, parce qu’on modèle une forme qui n’a pas de vie. J’ai lu que le mot sculpteur ou artiste, veut dire vivificateur, celui qui donne la vie. Faire un travail qui révèle la vie d’un objet, d’une matière, constitue sans doute un geste païen, qui n’est rattaché à aucun dogme religieux. C’est de cette vitalité païenne qu’ont toujours émergé, dans notre culture, les axes fondamentaux de l’histoire de l’art... »
« La bouche peut percevoir le volume d’un seul cheveu. »
Toutes citations précédentes extraites des entretiens avec Catherine Grenier 15-01-03 _ 11-06-03, in catalogue de la rétrospective Giuseppe Penone, Centre Pompidou, 2004.
« L’empreinte est une mise à zéro ; c’est une image qui possède l’intelligence de la matière, une intelligence de la chair. »
« Faire des sculptures (au sens habituel du mot) en bronze, j’ai quelques difficultés à le faire, mais pour me servir du bronze à la façon des plantes, cela ne pose pas de problèmes. »
« La main qui modela l’homme a laissé sur lui des empreintes que l’air et l’eau comblent à tout changement de mouvement. Car l’air qui remplit les creux reconstitue la peau de ce qui fit le modèle. Quand quelqu’un touche un homme, sa peau tend alors à se mouler dans la forme du premier artisan. Tous ces négatifs gravés sur la peau permettent un nombre infini de positifs, aussi nombreux que les contacts avec la surface à venir. »
MATHIEU PERNOT : photographe français, né en
1970.
« Ce que je vois est plus important que la manière dont je le vois. Il y a d’abord le sujet et la conscience de celui-ci. La photographie ne vient qu’après. »
« Les photographies des fichiers des camps contiennent toutes les questions que je me pose. Je crois qu’aucune photographie ne pourra jamais être aussi forte que ces portraits de victimes regardant leur bourreau. Ici, ce n’est plus un photographe, mais l’histoire dans ce qu’elle a de plus tragique, qui fait l’image. »
« Toutes les images sont réalisées parce qu’elles sont avant tout contenues dans le sujet. »
« Je ne crois pas qu’il y ait une forme photographique qui puisse signifier la valeur d’un engagement. »
« Parce que finalement, la seule chose que j’aimerai vraiment communiquer c’est le sentiment de la vie. D’une vie qui n’est jamais aussi présente que lorsqu’elle est incarnée par des gens
qui en éprouvent, malgré eux les limites. (…) Ces gens sont vivants et c’est la seule chose qui compte. »
Toutes citations ci-dessus extraites du livre Tsiganes, éd. ACTES SUD, 1999.
GEORGES PERREC : 1936-1982, écrivain
français.
« Il y a plein de bout d’espaces. Les espaces se sont multipliés, morcelés et diversifiés. Vivre, c’est passé d’un espace à un autre, en essayant le plus de ne pas se cogner. »
FRANCIS PICABIA : 1879-1953, peintre français.
« Notre tête est ronde pour permettre à notre pensée de changer de sens. »
« Chaque artiste est un moule. Moi, j’aspire à en être plusieurs. Je souhaite même écrire un jour sur le mur de ma maison : artiste en tous genres. »
« Les artistes se moquent disent-ils, des bourgeois ; je me moque, moi, des bourgeois et des artistes. »
« Toute conviction est une maladie. »
« J’aime les choses qui servent et s’usent rapidement. »
PABLO PICASSO : 1881-1973, peintre,
dessinateur, sculpteur, graveur, céramiste et poète espagnol.
« Je ne cherche pas, je trouve. »
« Depuis Van Gogh, nous sommes tous des autodidactes _ on pourrait presque dire des peintres primitifs. »
« Qu’est –ce que la sculpture ? Qu’est-ce que la peinture ? On se cramponne à des idées vieillottes comme si le rôle de l’artiste n’était pas précisément d’en inventer de nouvelles. »
« L’art nègre ? Connais pas. »
« C’était dégoûtant ; le marché aux puces. L’odeur…je voulais m’en aller. Je ne partais pas, je restais. » (à propos de sa première visite aux expositions ethnographiques du palais du Trocadéro).
« Qu’est-ce qu’un peintre ? C’est un collectionneur qui se constitue une collection en faisant les tableaux qu’il aime chez les autres. »
« La différence des textures est une des choses qui nous frappent le plus dans la nature : la transparence de l’espace opposé à l’opacité de l’objet dans cet espace, la matité d’un paquet de tabac à côté d’un vase de porcelaine, et, en plus, le rapport de la forme, de la couleur et du volume à la texture. »
« En réalité, on travaille avec peu de couleurs. Ce qui donne l’illusion de leur nombre, c’est d’avoir été mises à leur juste place. » 1935
« Nous savons tous que l’art n’est pas la vérité. L’art est un mensonge qui nous permet d’approcher la vérité, du moins la vérité qui est discernable. »
« Je voulais peindre les choses comme on les pense, pas comme on les voit. »
« Je suis une femme. Tout artiste est une femme. »
PETITE FILLE II : Seul l’œil du taureau qui meurt dans l’arène voit.
PETITE FILLE I : Il se voit.
In Les quatre petites filles, pièce en six actes, 1947-1948, éd. NRF, GALLIMARD.
ERNEST PIGNON ERNEST : artiste plasticien français , né en
1942.
« Je travaille sur des villes, elles sont mon vrai matériau. Je m’en saisi pour leurs formes, leurs couleurs, mais aussi pour ce qui ne se voit pas, leur passé, les souvenirs qui les
hantent. »
« C’est seulement dans le risque que se trouve la réussite ou la déchéance du tableau. »
« Quand je colle mes images sur un escalier de Paris ou sur un mur d’église napolitaine, il y a une interaction entre mon image et l’espace temps où je l’insère. L’image n’existe plus pour elle-même ; Le Caravage pour Le Caravage ne m’intéresse pas, il ne compte que pour et par Naples. »
« Je crois qu’il faut se saisir du réel dans une dynamique poétique. »
« Je crois que les angoisses, les fantasmes, les désirs issus du fond des êtres ont dû, pour s’exprimer, trouver au fil des siècles des systèmes de signes qui permettaient à chaque époque de communiquer et de comprendre. »
CAMILLE PISSARO : 1830-1903, peintre
impressionniste français.
« Manet est plus fort que nous, il a fait de la lumière avec du noir. » (propos rapporté par Matisse en 1947, in Ecrits et propos sur l’art).
PLATON : 424/423 av JC - 348-347 av JC, philosophe
grec.
"Il est à redouter que le passage à un nouveau genre musical ne mette tout en danger. Jamais, en effet, on ne porte atteinte aux formes de la musique sans ébranler les plus grandes lois des
cités." ( in La République, livre IV, cité par Franklin Sirmans dans son article Basquiat et la culture hip-hop, catalogue Basquiat, éd Flammarion, 2005, p93)
SERGE POLIAKOFF : 1900-1969, peintre
français d’origine russe.
"Après Braque et Picasso, c’est le déclin de la peinture figurative. Ils ont déformé le monde extérieur et l’ont tué comme une maladie ; il fallait s’en détacher, on ne pouvait pas faire
autrement. Les formes étaient usées. Alors on a commencé à chercher plus à l’intérieur. Les yeux ont cherché des formes nouvelles dans l’espace et dans le cosmos... Maintenant, je suis vraiment
en mon cosmos à moi."
JACKSON POLLOCK : 1912-1956, peintre
expressionniste abstrait américain.
« Quelques fois, je perds le contact, je perds la peinture. Mais je n’ai pas peur des changements ou de détruire l’image. La peinture a sa propre vie. »
« Ma peinture ne vient pas du chevalet. Je ne tends pratiquement jamais ma toile avant de peindre. Je préfère clouer la toile non tendue au mur ou au sol. J’ai besoin de la résistance d’une surface dure. Au sol je suis à l’aise. Je me sens plus proche du tableau, j’en fais davantage partie ; car, de toute façon, je peux marcher tout autour, travailler à partir des quatre côtés, et être littéralement dans le tableau. C’est une méthode semblable à celle des peintres indiens de l’ouest qui travaillent sur le sable. »
« Quand je suis dans mon tableau, je ne suis pas conscient de ce que je fais. C’est seulement après une espèce de temps de prise de conscience que je vois ce que j’ai voulu faire. Je n’ai pas peur d’effectuer des changements, de détruire l’image, etc., parce qu’un tableau a sa propre vie. J’essaie de la faire émerger. »
« Ce qui m’intéresse, c’est que les peintres d’aujourd’hui ne sont plus obligés de chercher un sujet hors d’eux-mêmes. La plupart des peintres modernes travaillent à partir d’une source différente. Ils travaillent de l’intérieur. »
« J’aborde la peinture comme on aborde le dessin, c’est-à-dire directement. Je ne travaille pas à partir de dessins, je n’utilise pas d’esquisses en couleurs ni de dessins en vue d’une peinture définitive. »
« Je continue à m’éloigner des outils traditionnels du peintre tels le chevalet, la palette, les pinceaux, etc. Je préfère le bâton, la truelle, le couteau et la peinture fluide que je fais égoutter ou bien une pleine pâte de sable, du verre brisé et d’autres éléments étrangers à la peinture. »
TERRY PRATCHETT : écrivain britannique, inventeur de
la fantasy burlesque, né le 28 avril 1948
"Tout ceci était faux. La vérité, c’est que même les grosses collections de livres courants déforment l’espace, comme peut en attester tout amateur ayant déjà fouiné chez un très vieux
bouquiniste à l’ancienne, à l’intérieur d’une de ces boutiques qu’on dirait conçues par monsieur Escher dans un de ses mauvais jours, avec plus d’escaliers que d’étages et de rayonnages qui
aboutissent à de petites portes sûrement trop basses pour le passage d’un humain de taille normale. L’équation est la suivante : Savoir = pouvoir = énergie = matière = masse ; une bonne
librairie n’est qu’un trou noir distingué qui sait lire"
(in "Au Guet !", éditions Pocket, p11
R
ARNULF RAINER : peintre, professeur et
plasticien autrichien, né en 1929
« J’opère en peinture comme un chirurgien : je creuse les traits, je les vides, les bosselle ou j’en fais des réseaux d’énergies. »
MICHEL RAGON : artiste français, né en 1939.
« Un lieu ancien possède une mémoire, des formes identiques l’occupèrent. Comment finalement être fidèle sans nostalgie aucune et apporter sa culture contemporaine ? »
« Le jardin, ce n’est pas un travail, cela fait partie des choses que j’aime, et je n’arrive pas à être dans un endroit sans intervenir dans l’espace, sans m’investir poétiquement, sans rêver sur l’espace. Quand je suis en train de m’occuper ici, j’ai l’impression que j’irrigue mon cerveau, que je pense mieux l’art. Au fond, pour moi, être artiste, c’est rêver dans le chaos, dans ce monde détraqué. D’ici, je suis au balcon du monde, pris entre la nature et l’urbain. »
« A l’école d’horticulture, on m’avait appris à soigner les fleurs, mais pas à les empêcher de mourir. Je décidais d’éviter de nouvelles victimes en remplissant les pots de fleurs avec du ciment. »
ROBERT
RAUSCHENBERG : 1925-2008, peintre, sculpteur, performer et plasticien américain, apparenté au Pop Art.
« La peinture est à la jonction de l’art et de la vie ; j’essaie d’agir dans la brèche qui les sépare. » 1964
« Je ne fais ni de l’Art pour l’Art, ni de l’Art contre l’Art. Je suis l’art, mais pour l’art qui n’a rien à voir avec l’Art. L’art a tout à voir avec la vie. »
« Le monde est une gigantesque peinture. »
« Si quelqu’un sait ce que quelque chose signifie alors la réalité et la responsabilité du spectateur meurent. Comprendre est une forme d’aveuglement. Le bon art, selon moi, ne doit jamais être compris. »
JULES RENARD : 1864-1910, écrivain
français.
« N’importe quelle idée semble personnelle dès qu’on ne se rappelle plus à qui on l’a empruntée. »
RENAUD : auteur, compositeur et interprète français, né en
1952
« Vouloir trop plaire, c’est le plaisir des moches. »
(in La pêche à la ligne.)
PIERRE REVERDY : 1889-1960, poète
français.
« On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux. »
ARTHUR RIMBAUD : 1854-1891, poète
français
« Je est un autre. » Lettre.
« La poésie ne rythmera plus l’action ; elle sera en avant. Ces poètes seront ! Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme _ jusqu’ici abominable _ lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi. La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons. » in Lettre dit du Voyant.
PIPILOTTI RIST : artiste et vidéaste suisse,
née en 1962.
« Les messages véhiculés sur le mode émotionnel et sensuel peuvent briser plus de préjugés et d’habitudes que des dizaines de pamphlets et de traités intellectuels. »
SOPHIE RISTELHUEBER : photographe et
plasticienne française, née en 1949.
« La ligne de l’équateur : pour moi, c’est un globe terrestre dans une salle de classe, coupé en son milieu par le parallèle 0°.Comment photographier quelque chose d’aussi
abstrait ? »
« J’ai cherché dans la nature un matériau et une situation qui, tout à la fois, me permettent de garder la distance analytique d’une leçon d’anatomie, et un investissement physique qui me donne l’impression, par l’effort même, de travailler ce matériau. C’est en montagne que j’ai trouvé ces conditions. »
PAUL ROSENBERG : 1881-1959,
marchand d’art et galériste américain.
« La nouvelle peinture américaine n’est pas de l’art pur : ce n’est pas un souci esthétique qui lui a fait repousser l’objet. Rien ne devrait faire obstacle (pas même la figuration) à
l’acte de peindre. »
EDMOND ROSTAND : 1868-1918, auteur dramatique
français.
« Que dites-vous ?... C’est inutile ?... Je le sais.
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! Non ! C’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
Qu’est-ce que c’est que tous ceux là ? Vous êtes mille !
Ah ! Je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le mensonge ? Tiens, tiens ! _Ha ! Ha ! Les compromis.
Les préjugés, les Lâchetés !... Que je pactise ?
Jamais, jamais ! _Ha te voilà, toi, la Sottise !
_ Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas.
N’importe : je me bats ! Je me bats ! Je me bats !
Cyrano De Bergerac, acte 5, scène 6.
LUIGI RUSSOLO : 18858-1947, peintre et compositeur italien,
acteur du mouvement Futuriste
« Aujourd’hui, l’art musical recherche les amalgames de sons les plus dissonants, les plus étranges et les plus stridents. Nous nous rapprochons ainsi du son-bruit. Cette évolution de la
musique est parallèle à la multiplication des machines qui participent au travail humain. »
« Nous nous amuserons à orchestrer idéalement les portes à coulisses des magasins, le brouhaha des foules, les tintamarres différents des gares, des forges, des filatures, des imprimeries,
des usines électriques et des chemins de fer. Ce seront là des bruits qu’il nous faudra non pas simplement imiter, mais combiner au gré de notre fantaisie artistique. »
L’art des bruits, manifeste futuriste, in Le futurisme 1909-1916.
S
JACQUES HENRI BERNARDIN DE
SAINT PIERRE :1737-1814, écrivain français.
« Le grand art d’émouvoir est d’opposer des objets sensibles aux intellectuels. » in Etudes de la nature.
NIKI DE SAINT PHALLE : 1930-2002, peintre, sculpteur,
réalisatrice française.
« J’ai tué le tableau en lui tirant dessus, il renaît. »
« Les miroirs, c’est le mouvement, parce qu’on s’y reflète, ça bouge, ça vit. Jean (TINGUELY) a dit une fois que mes miroirs c’était ma manière à moi de bouger. On y voit le coucher du soleil et parfois je peux passer des heures à regarder les branches des arbres qui bougent dans les miroirs. »
« Je crois que très tôt je me suis vue dans la peau d’un héros avec toutes sortes de preuves donner, de ce dont j’étais capable. Mon goût pour le monumental vient de là. »
SAINT-POL ROUX : 1861-1940, poète symboliste
français.
« L’univers est une catastrophe tranquille ; le poète démêle, cherche ce qui respire à peine sous les décombres et le ramène à la surface de la vie. » (in Les Reposoirs de la
Procession).
JOSE SARAMAGO : écrivain et journaliste
portugais, né en 1922, prix Nobel de littérature en
1998.
« J’ai plus de travail qu’il ne m’en faut ; Je fais le portrait de gens qui s’estiment assez pour les commander et les suspendre dans des entrées, des bureaux, des salons ou des salles
de réunion. Je garantis leur durée, je n’en garantis pas l’art, ce qu’on ne me demande pas d’ailleurs, même si j’étais en mesure de le faire. Une ressemblance améliorée est tout ce qu’on attend
de moi. Et comme nous sommes d’accord là-dessus, personne n’est déçu. Mais ce que je fais n’est pas de la peinture. » p11.
« Le peintre et le modèle sont toujours effrayés et ridicules face à la page blanche, l’un parce qu’il a peur de se voir accusé, l’autre parce qu’il sait qu’il ne sera jamais capable de formuler cette accusation, ou pis encore, se disant à lui-même avec la suffisance du démiurge castré qui se proclame viril qu’il ne le fera pas par simple indifférence ou parce qu’il a pitié du modèle. » p12.
« Je me plais à penser que je cultive un art mort grâce auquel par le biais de ma faillibilité, les gens croient fixer une certaine image agréable d’eux-mêmes, organisée en relations de certitudes, l’image d’une éternité qui ne commence pas seulement quand le portrait est terminé mais qui vient d’avant de toujours, comme une chose qui a toujours existé simplement parce qu’elle existe en cet instant, une éternité qui va vers le néant. » p12.
« L’homme aux yeux gris (du Titien) est inséparable de ce Titien qui l’a peint à un certain moment de sa vie personnelle. » p13.
« Je m’observe en train d’écrire comme je ne me suis jamais observé en train de peindre et je découvre tout ce que cet acte a de fascinant : dans la peinture, il vient toujours un moment où le tableau ne supporte pas un seul coup de pinceau de plus (mauvais ou bon, cela le rendrait pire), tandis que ces lignes peuvent se prolonger indéfiniment, alignant les fractions d’une addition qui ne sera jamais commencée mais qui,ainsi alignée, représente déjà un travail parfait, une œuvre définitive parce que connue. C’est surtout l’idée du prolongement à l’infini qui me fascine. Je pourrais écrire, jusqu’à la fin de ma vie, tandis que les tableaux, refermés sur eux-mêmes, repoussent. Ils sont isolés à l’intérieur de leur propre peau, ils sont autoritaires et ils sont eux aussi insolent. » p20.
« J’ai essayé de détruire cet homme quand je le peignais et je me suis aperçu que je ne sais pas détruire. » p23.
« Il y a une relation pacifique entre la peau que voit l’œil : qui sait si la cécité ne serait pas préférable à la vision très pénétrante du faucon installée dans des orbites humaines ? (…) Qu’a vu Œdipe quand il s’est aveuglé avec ses propres ongles ? » p30.
« Et moi qui ne laisse pas de lanterne et qui n’ai même pas appris à me laisser conduire par ma propre main, je me demande à quoi servent les yeux. »p50.
« Quand les poètes romantiques disaient (ou disent encore) que la femme est un sphinx, ils étaient dans le vrai, bénis soient-ils. La femme est le sphinx qu’elle doit être parce que l’homme s’est arrogé la maîtrise de la science, de tout le savoir, de tout le pouvoir. Mais la vanité de l’homme est telle qu’il a suffi à la femme d’ériger en silence les murailles de son refus total pour que lui, qui était couché dans leur ombre comme s’il était étendu dans la pénombre de paupières obéissantes, puisse dire avec conviction : « Il n’y a rien derrière ce mur. » p54.
« Mais, ce serait toujours une image, ce ne serait jamais la vérité. Et la grande erreur a été probablement de croire qu’il est possible de capter la vérité de l’extérieur, avec les seuls yeux, de supposer qu’il existe une vérité qui puisse être appréhendée à un instant donné et qui ensuite resterait tranquillement immobile comme même une statue ne l’est jamais, car elle se contracte et se dilate au gré de la température, elle se corrode avec le temps et modifie non seulement l’espace qui l’entoure, mais aussi, et subtilement, la composition du sol sur lequel elle repose, à cause des minuscules particules de marbre qui s’en détachent, comme nous les cheveux, les rognures d’ongle, la salive et les mots que nous disons. » p78.
« Celui qui peint un portrait se dépeint lui-même. Voilà pourquoi ce qui importe, c’est le peintre, pas le modèle, et le portrait n’a de valeur que dans la mesure où l’artiste est un bon peintre. Le Dr Gachet peint par Van Gogh est Van Gogh, pas Gachet, et les milles tenues (velours, plumes, colliers en or) dans lesquelles Rembrandt s’est peint sont de simples expédients pour faire croire que, en peignant une apparence différente, il peignait une autre personne. » p79.
« Un mois ne s’est pas écoulé depuis que j’ai commencé ce manuscrit et je n’ai pas l’impression d’être aujourd’hui celui que j’étais alors. Parce que j’ai ajouté trente jours à mon temps de vie ? Non. Mais parce que j’ai écrit. » p80.
« L’acheteur de cartes postales. Ce sont des personnes timides, craintives, écrasées d’avance par les nefs des cathédrales qui sont comme des ciels envahis d’ombres ou par les grandes salles
où logent les énigmes. Elles viennent d’arriver, elles vont se soumettre à la grande épreuve, à l’interrogation du sphinx, au défi du labyrinthe, et comme elles proviennent d’un monde ordonné qui
place partout des panneaux de signalisation, des sens interdits, des limites de vitesse, elles se sentent perdues dans ce nouveau royaume où il y a une liberté à conquérir : celle connue
vulgairement sous le nom d’œuvre d’art.
Elles se précipite alors sur les tourniquets où des cartes postales, par dizaine, disciplinent le torrent momentanément freiné. La carte postale illustrée, entre les mains du voyageur perplexe,
est une surface facile à parcourir, qui s’offre d’un coup à l’œil, où tout se réduit à la dimension minime de la main inerte. Car l’œuvre véritable qui attend à l’intérieur, même quand elle n’est
pas plus grande, est protégée des regards ineptes par le filet invisible que les mains du peintre ou du sculpteur ont tendu pendant qu’elles inventaient laborieusement les gestes de sa
naissance. » p141.
« Quelle que soit la quantité d’années que l’avenir réserve à chacun d’entre nous, rien n’est plus grand que notre préhistoire infinie. » p169.
« Prenons donc ce qu’on appelle un mètre de charpentier. Il est formé de dix règles de dix centimètres (ou de cinq, de vingt ?) attachées les unes aux autres et se présente plié, et donc projet juste, mais mesure erronée. Il faut le déplier, l’étendre sur sa longueur afin qu’il prenne sa vraie dimension. Je pense qu’il faut faire de même avec les hommes, ou il faut qu’ils se soumettent eux-mêmes à cette opération. Nous naissons repliés, règles à peine juxtaposées, et nous sommes comprimés, resserrés. Nous avons trois mètres en nous et des comportements qui ne dépassent pas la largeur de la main. » p190.
« Une porte est en même temps l’ouverture est l’objet qui la ferme. Dans les romans et dans la vie, les gens et les personnages passent une partie de leur temps à entrer où à sortir de maisons et d’autres lieux. C’est un acte banal, pense t’on, un mouvement qui n’est pas remarqué d’habitude, ni particulièrement consigné. A ma connaissance, seul le plus littéraire des peintres (Magritte) a observé la porte et le paysage à travers elle avec des yeux étonnés et peut-être inquiets. Les portes de Magritte, ouvertes ou entrouvertes, ne garantissent pas que de l’autre côté ce trouve encore ce que nous y avons laissé. » p237.
« Bref, mon tableau (tout comme pour de bonnes raisons, mon manuscrit) ne récusera pas ce qu’il copie, il le rendra explicite. Il s’agit donc d’une vérification. Toute œuvre d’art, fût-elle
aussi dépourvue de mérite que la mienne, doit être une vérification. » p269.
(Toutes citations précédentes tirées de Manuel de peinture et de calligraphie, roman, 1983).
« Contrairement à ce que l’on croit généralement, sens et signification n’ont jamais été la même chose, la signification saute immédiatement aux yeux, elle est directe, littérale, explicite,
fermée sur elle-même, pour ainsi dire univoque, tandis que le sens est incapable de rester tranquille, il fourmille de sens seconds, tiers et quarts, aux directions irradiantes qui se divisent et
subdivisent à perte de vue en rameaux et ramilles, le sens de chaque mot ressemble à une étoile qui projette les marées vives dans tout l’espace, des vents cosmiques, des perturbations
magnétiques, des malheurs. » p131.
(Citation précédente tirée de Tous les noms, roman, 1997).
JEAN-PAUL SARTRE : 1905-1980, philosophe et
écrivain français
« Le génie n’est pas un don mais l’issue qu’on invente dans les cas désespérés. »
_à propos de Jean Genet.
« Le réel n’est jamais beau. »
« Pour désirer une femme, il faudra oublier qu’elle est belle, car le désir est une plongée au cœur de l’existence dans ce qu’elle a de plus contingent et de plus absurde. »
JEAN LOUIS SCHEFER : écrivain,
philosophe, critique d’art et théoricien du cinéma et de l’image, né en 1938
« D’un mot, je reste sensible à quelque chose de très simple : c’est que la possibilité créatrice, inventive, dépend de la faillibilité du vivant et que la force, le pouvoir créateur
sont une espèce de proportion dans la fragilité de l’homme. » (in technologies et imaginaires).
JULIAN SCHNABEL : peintre et cinéaste
américain, né en 1951
« Peindre est une façon très primitive d’agir : manipuler ces matériaux, mettre un peu de couleur ici, un peu là, regarder. Je ne suis pas certain que l’auteur de ces gestes soit
toujours présent. Une atmosphère, une qualité de l’être est véhiculée par les objets. »
KURT SCHWITTERS : 1887-1948, peintre et
poète allemand, membre du mouvement Dada
« Le tableau est fini quand vous ne pouvez enlever ou ajouter quelque chose sans déranger le rythme présent. »
« L’art ne veut ni influencer ni agir, mais libérer, de la vie, de toutes les choses qui accablent l’homme, comme les luttes nationales, politiques ou économiques. L’art veut l’homme pur, dégagé de l’emprise de l’Etat, du parti et des soucis alimentaires. »
« Construire un nouveau monde avec des débris. »
« La déformulation des matériaux s’opère dès leur disposition sur la surface. »
ALAIN SECHAS : artiste plasticien français né en
1955.
« Un dessin, c’est une idée restée en germe. Pour communiquer cette idée, il faut la greffer sur un mode de représentation charnel. L’œuvre doit être une sorte de double charnel, à deux
doigts d’être vivant. »
« Mon intention est toujours de créer une confrontation directe entre l’œuvre et le spectateur. J’essaie de mettre le spectateur dans l’impossibilité de prendre de la distance afin de le responsabiliser. »
« Je considère que l’on ne peut rien critiquer avec les formes du passé. » (in ART PRESS 212).
ANDRES SERRANO : photographe américain, né en
1950.
« Dans mon oeuvre, je suis toujours à la recherche de l’inhabituel, ou du moins ce qui n’est pas traditionnellement considéré comme beau. Dans mon œuvre, je tâche de trouver le normal dans
l’étrange et vice versa. »
GEORGE SEGAL : 1924-2000, sculpteur et
plasticien américain.
« Mais par quel bout fallait-il que je me prenne moi-même ? Je n’arrêtais pas de faire la navette entre une ferme d’élevage de poules dans le New Jersey et le centre de New York. Les
poulaillers ressemblaient à une caricature cauchemardesque de la ville : des rangées de niches en bois brun, des vieilles portes de meublés, des fientes brunâtres et visqueuses sur le sol et
la bourrasque hystérique des battements d’ailes blanches. Les trajets en train, les immeubles de la ville, tout ça était gris, et on aurait dit que les seules couleurs étaient celles de la
lumière électrique et des lampes de néons. »
(Extrait d’un article de George Segal sur Pollock, 1966).
« Dans mon souvenir, ma vie est inséparable des objets. Je regarde les objets sous un jour plastique (puisque c’est le terme qui convient), esthétique, et pour la forme qu’ils représentent.
Et les rapports qui existent (ou n’existent pas) entre les gens et ces formes, est quelque chose qui m’intrigue… A condition qu’il y ait eu une relation émotionnelle très vivace entre moi et la
personne, ou moi et l’objet, ou moi et les deux à la fois, et dans ce cas seulement, je l’intègre dans mon œuvre. »
(George Segal, extrait de l’article de Robert Pincus- Witten, 1972).
« Il y a chez les gens des attitudes enfermées dans leurs corps et qu’il faut attraper… Il arrive que des gens ne révèlent rien sur eux-mêmes et que, tout à coup, ils fassent un geste qui contient toute une autobiographie. »
« En général, je fais de la sculpture avec des gens que je connais très bien et dans des situations où j’ai l’habitude de les voir. Qu’il faille pour ça un bloc-cuisine un autre endroit dans la maison ou n’importe quel endroit où j’ai l’habitude d’aller : des postes à essence, des arrêts d’autobus, des rues, des bâtiments de ferme, dans tous les cas, il faut que ce soit en rapport avec ce que je connais. C’est dans ce cadre là que je vis… Pour moi, tout ça constitue un énorme réservoir de matière artistique… »
CINDY SHERMAN : photographe et plasticienne américaine, née
en 1954.
« Bien que je n’aie jamais considéré mon œuvre comme féministe ou comme une déclaration politique, il est certain que tout ce qui s’y trouve a été dessiné à partir de mes observations en
tant que femme dans cette culture. »
DANIEL SIBONY : écrivain, psychanalyste et philosophe
français, né en 1942
« Habiter un espace, c’est le prendre pour corps ».
DAVID SIQUEIROS : 1896-1974, peintre
et muraliste mexicain
« Nous qui sommes de ceux qui exigent la disparition d’un système anachronique et inhumain, dans lequel, toi, le travailleur des champs, tu produis des aliments pour le ventre des gardes
chiourmes et des politiciens pendant que tu meurs de faim ; [...] et toi, soldat indien, tu abandonnes héroïquement la terre que tu travailles et tu offres jour après jour ta vie pour mettre
fin à la misère qui s’est abattue sur ta race depuis des siècles. Non seulement le travail noble, mais encore la moindre expression de la vie spirituelle et physique de notre race provient des
natifs, surtout des Indiens. Ils ont un talent extraordinaire pour créer la beauté : l’art du peuple mexicain est la plus saine expression spirituelle du monde, et sa tradition est notre
plus grande richesse. Celle-ci tire sa grandeur du fait qu’elle appartient au peuple, qu’elle est collective. Et c’est pourquoi notre objectif primordial est de socialiser l’expression esthétique
et d’éliminer totalement l’individualisme bourgeois [...]. Nous proclamons que lorsqu’on passe d’un ordre décrépit à un ordre neuf, les créateurs de beauté doivent faire tous leurs efforts pour
que leur production ait une valeur idéologique pour le peuple. Ainsi, le but de l’art, qui est actuellement une expression de la masturbation individualiste, sera enfin un art pour tous, un art
d’éducation et de lutte. »
Déclaration sociale, politique et esthétique vers 1922.
KIKI SMITH : sculpteur et
plasticienne américaine, née en 1954
« Aujourd’hui, dans nos sociétés, nous avons l’habitude de regarder à l’intérieur de notre corps uniquement lors d’évènements douloureux et mon travail consiste à donner aux visiteurs les
moyens d’investir, de posséder, d’explorer son corps avec toutes les craintes et les doutes possibles qui le constituent. »
ROBERT SMITHSON : 1938-1973, artiste maéricain, théoricien
du Land-art.
« Je ne pense pas, au plan artistique, qu’on soit plus libre dans le désert qu’à l’intérieur d’une pièce. » (1969).
« Pourquoi les mouches n’auraient-elles pas droit à l’art ? »
« Les questions que posent les miroirs restent toujours sans réponse. »
« Il faut se rappeler qu’écrire sur l’art, c’est remplacer la présence par l’absence, en substituant l’abstraction du langage à la chose réelle. »
JESUS RAFAEL SOTO : 1922-2005, artiste et
plasticien vénézuelien, un des principal acteur de l’art
cinétique.
« Chacun de nous essaye d’ouvrir des chemins différents pour que l’art puisse devenir vivant et contemporain »
28 mars 1999.
LOUIS SOUTTER : 1871-1942, artiste et peintre
suisse
« Ce que je regarde, ce ne sont ni les escaliers, ni le toit, ni la cathédrale : c’est le vide qui est entre eux. »
NICOLAS DE
STAËL : 1914-1955, peintre français d’origine russe.
« Il n’y a que deux choses valables en art :1) la fulgurance de l’autorité ; 2) la fulgurance de l’hésitation. C’est tout. L’un est fait de l’autre ; mais au sommet les deux se
distinguent très clairement. »
« Les titres, ah, la, la ! Pas d’idée littéralement traduisible, dite dominant le tableau d’un bout à l’autre, si ce n’est pigmentaire, manuelle, plastique. Que voulez-vous, « Donc… », « Pourquoi ? », « Alors », « Oui », « Peut-être », « Jamais », « Maintenant », etc. sont des titres possibles à votre choix. »
« Il est trop tôt ou trop tard. On ne confond pas sa propre respiration. »
« J’ai choisi de m’occuper sérieusement de la matière en mouvement. »
« Ma peinture, je sais ce qu’elle est sous ses apparences, sa violence, ses perpétuels jeux de forces ; c’est une chose fragile dans le sens du bon, du sublime. C’est fragile comme l’amour. »
« J’y reste parce que je vais aller sans espoir jusqu’au bout de mes déchirements, jusqu’à leur tendresse. Vous m’avez beaucoup aidé. J’irai jusqu’à la sourdité, jusqu’au silence, et cela mettra le temps. Je pleure tout seul face aux tableaux. Ils s’humanisent doucement, très doucement à l’envers. » Au poète PIERRE LECUIRE.
« L’espace pictural est un mur, mais tous les oiseaux du monde y volent librement. »
« Quand j’étais jeune, pendant des années, j’ai peint le portrait de Jeannine. Un portrait, un vrai portrait, c’est quand même un sommet de l’art. J’ai peint ainsi deux tableaux, deux portraits. Les regardant, je m’interrogeais : qu’ai-je peint là ? Un mort vivant, un vivant mort ?... Alors peu à peu, je me suis senti gêné de peindre un objet ressemblant, parce qu’à propos d’un objet, d’un seul objet, j’étais gêné par l’infinie multitude des objets existants. »
« C’est indispensable, savoir les lois des couleurs, savoir à fond pourquoi les pommes de Van Gogh à La Haye, de couleur nettement crapuleuse, semblent splendides, pourquoi Delacroix sabrait ses nus décoratifs aux plafonds et que ces nus semblaient sans taches et d’une couleur de chair éclatante. » Novembre 1936.
« Chaque œuvre est un ensemble de signes inventés pendant l’exécution et pour les besoins de l’endroit. Sortis de la composition pour laquelle ils ont été crées, les signes n’ont plus aucune action. Le signe est déterminé dans le moment où je l’emploie et pour l’objet auquel il doit participer. »
« Je ne peux avancer que d’accident en accident – dès que je sens une logique trop logique, cela m’énerve et je vais naturellement à l’illogisme. »
« Lorsque je me rue sur une toile de grand format, lorsqu’elle devient bonne, je sens toujours atrocement une trop grande part de hasard, comme un vertige… »
« Plus l’ombre est précise, forte, inévitable, plus on a la chance de faire vite, clair, foudroyant (…). Il ne faut jamais que l’on sache d’où cela vient, où cela va. Les larmes sont un matériau aussi bien qu’autre chose. »
« Il faut travailler beaucoup, une tonne de passion et cent grammes de patience. »
« Toute vie est cruelle, parce qu’on n’est jamais assez sensible, jamais assez prévenant de soi, des autres. »
GEORGE STEINER : écrivain, essayiste,
critique littéraire anglo-franco-américain, né en 1929
« Si le langage, si l’art existent, c’est parce qu’existe l’Autre. »
FRANK STELLA : peintre américain, né en
1936
« On voit ce que l’on voit. »
STENDHAL : 1783-1842, écrivain
français.
« La beauté est une promesse de bonheur. »
« J’ai assez vécu pour voir que différence engendre haine. » (in Le Rouge et le Noir).
PAUL STRAND : 1890-1976,
photographe américain.
« Tout art est abstrait dans sa structure. »
T
ANDREÎ TARKOVSKI : 1932-1986, cinéaste
russe.
« Qu’ils se fient à ce qu’ils voient. Et qu’ils s’amusent à découvrir leurs passions. Ce qu’ils nomment ainsi, en réalité, n’a rien à voir avec l’énergie de l’âme, ce n’est que le produit de
son frottement contre le monde matériel. L’essentiel, c’est qu’ils en viennent enfin à croire en eux-mêmes. »
in Stalker, scenario Arkadi et Boris STROUGATSI.
PIERRE TAL COAT : 1905-1985, peintre français.
« Je dis ce qui, d’effet profond, va animer un regard, l’obliger, d’un relais surgissant, à parcourir l’ondulation d’un silence reliant un autre relais, le premier s’effaçant. »
« Il est, par delà ce jour, d’autres horizons. »
ANTONI TAPIES : peintre, sculpteur et
théoricien de l’art catalan, né en 1923.
« Pour Antoni Tapiès, peindre est un acte de résistance. A l’écrasement. A la négation. A la répression. En réinventant dans l’urgence la réalité, le peintre laisse sur le blanc du papier,
des empreintes et des preuves. » (Par Jean Louis Pradel, critique d’art).
SYLVAIN TESSON : journaliste, écrivain
voyageur et alpiniste français, né en 1972
« Mais la capacité d’émerveillement varie injustement selon les êtres. Les prisonniers qui savent se repaître de la beauté du lichen, de l’ingéniosité de l’argiope ou, comme Soljenitsyne, du
chant d’un oiseau sur le rebord d’une lucarne supporteront mieux l’isolement (lisez dans Chamalov les pages sur l’incarcération vous lui saurez gré de ce qu’il y raconte si un jour on vous
enferme !). Aurait-il survécu à la camisole, le vagabond des étoiles de London, s’il ne s’était pas jeté passionnément dans l’étude des mouches qui se repaissaient de ses larmes ?
Ouvrir les yeux est un antidote au désespoir. »
in Petit traité sur l’immensité du monde, p. 34, éditions des équateurs
« Comment se fatiguerait-on des échos païens soulevés sous les nefs tropicales par le cantique permanent de la sève et du sang. La jungle est la plus puissante des hérésies, l’arbre, le
meilleur refuge pour les fées répudiées. Voilà pourquoi en Europe celui qui tenait le goupillon n’a jamais eu cognée très loin. »
in Petit traité sur l’immensité du monde, p. 35-36, éditions des équateurs
« J’aimerai atteindre l’extinction totale de la pitié envers moi-même. »
in Petit traité sur l’immensité du monde, p. 64, éditions des équateurs
« J’ai vite compris qu’à trop divaguer sur les cartes on risquait la déception. Car le voyageur, une fois l’esprit encombré de mythes, ne partira pas pour découvrir des royaumes inconnus
mais pour vérifier si ceux-ci ressemblent à son rêve. »
in Petit traité sur l’immensité du monde, p. 84, éditions des équateurs
« Quand la fille naît, même les murs pleurent (Roumanie).
Une fille donne autant de soucis qu’un troupeau de mille bêtes (Tibet).
Instruire une femme, c’est mettre un couteau dans les mains d’un singe (Inde).
La femme est la porte principale de l’enfer (Inde).
La femme que Dieu comble de bonheur est celle qui meurt avant son mari (monde arabe).
Merci, mon Dieu, de ne pas m’avoir fait naître femme (monde juif). »
in Petit traité sur l’immensité du monde, p. 93-94, éditions des équateurs
« La dame anglaise, elle, avait bien tort qui, à l’académie des sciences de Londres, supplia Darwin que cela ne se sache pas quand il eut expliqué que l’homme descendait du singe. Il est au
contraire heureux que nous l’ayons appris. Car nous savons à présent pourquoi nous sommes débiles à la course, maladroits à la nage, inaptes aux longues marches, incapable de sauter, de ramper,
de voler. Tous nos malheurs sont nés du fait d’avoir quitté nos arbres. Il est salutaire d’y retourner au moins de temps en temps. Pour retrouver nos racines, il faut remonter dans les
branches. »
in Petit traité sur l’immensité du monde, p. 147, éditions des équateurs
« C’est toujours dans cet ordre-là que les architectes devraient travailler : chercher d’abord un endroit où poser la fenêtre, construire la cabane ensuite. »
in Petit traité sur l’immensité du monde, p. 161, éditions des équateurs
« Ma dernière volonté sera d’être enterré sous un arbre que mon corps contribuera à nourrir. Ce sera ma manière de m’absoudre. J’aurai assez dévoré de viande pour donner la mienne, en juste
retour, à des asticots. L’incinération serait une inélégance de mauvais payeur. Une grivèlerie. »
in Petit traité sur l’immensité du monde, p. 167, éditions des équateurs
HENRI DAVID THOREAU : 1817-1862,
essiyste, enseignant et poète américain.
« Il semble que nous ne faisons que languir dans l’âge mûr pour dire les rêves de notre enfance, et ils s’évanouissent de notre mémoire avant que nous ayons pu apprendre leur langage. »
(journal).
GILLES A. TIBERGHIEN : philosophe et
enseignant français
« La cabane est toute en extériorité : elle s’ouvre à la nature et celle-ci la pénètre de part en part. »
« Construire une cabane, c’est ne rien fonder. »
« La cabane a quelque chose à voir avec le corps mobile et itinérant, avec le corps que nous sommes, la maison avec le corps que nous avons. »
« S’isoler pour cohabiter avec soi-même. »
WOLFGANG TILLMANS : photographe et plasticien d’origine
allemande, né en 1968.
« Je me considère comme un artiste politique. Je veux représenter mon idée de la beauté et du monde dans lequel je veux vivre. »
JEAN TINGUELY : 1925-1991, sculpteur et
plasticien d’origine suisse ayant appartenu au mouvement desNOUVEAU REALISME apparu en 1960.
« Kunst ist Revolte – l’Art est révolte.
Art moderne = jouer, forger, souffrir, bouillir, limer, exposer, forger, trépigner, poncer, brûler, rire, ériger, vendre, juger, démontrer, souder, emballer, monter, faire enlever…Toutes les
machines sont de l’art. (…) Je dis : l’art est la distorsion d’une réalité insupportable. Je corrige la vision d’une réalité qui fond quotidiennement sur moi. L’art corrige, modifie un état,
l’art est communication, contact _ … Seulement… Et après ? L’art est social, complet et total. (…)
La révolte est art : l’attentat est la plus belle fonction de l’art. (…)
A propos : l’art est-il moderne ?
L’art est moderne _ aussi moderne que, par exemple, les cavaliers peints par maître Giotto, qui a devancé de quelques siècles le cinéma et les bandes dessinées. (…)
L’art est total, car il peut être fait de n’importe quoi : pierre et pétrole, bois et fer, air et énergie, gouache, toile ou situation _ imagination et entêtement, ennui, bouffonnerie,
colère, intelligence, colle et fil de fer, opposition ou appareil photo. Et puis, une belle raffinerie de pétrole ou ce pont de Johannites, dont la raison d’être fondamentalement devrait résider
dans leur fonction, sont des contributions des ingénieurs et des techniciens, même si elle ne s’exprime qu’inconsciemment ou fonctionnellement. Tout est art. (L’art devrait-il être réservé aux
artistes ?) Et aussi : l’art set partout _ chez ma grand-mère _ dans le kitsch le plus invraisemblable ou sous une planche pourrie.
La seule statistique (stabilité) concevable est celle de la vie, de l’évolution _ du mouvement.
L’art est mouvement
Car tout bouge
Car tout, etc._
Ou Lao-Tseu : le mouvement est plus fort que le dur _ la langue, qui est molle, subsiste _ les dents qui sont dures se brisent.
Et le définitif est de toute façon provisoire.
Et le chaos est ordre.
En outre je suis _ désespéré :
Car je suis un individu particulier enfermé en lui-même, pendu et condamné perpétuellement à être moi. Or, je veux m’échapper sans délai de cet état atroce. (…)
La folie est une dimension dans laquelle l’ironie trouve sa place. La folie est un élément poétique à la casse-noisette. La folie permet beaucoup de liberté et d’actes gratuits _ elle est, en
fait, comme le pétrole ! _ elle confère par exemple à mes constructions un élément de provocation en même temps qu’une dimension sisyphéenne. Ou bien : il est plus facile d’aborder
l’inconscient par la folie. (Est-ce bien juste ce que je dis là ?). La folie peut donc être utile et par conséquent revêtir un sens. L’art est folie et _ comme toute chose _ ne manque pas de
sens. »
Extrait du quotidien bâlois National Zeitung, 13 octobre 1967.
« Les enfants réagissent mieux. Ils ne sont pas contractés, ils n’ont pas de préjugés, ne savent pas ce qu’est l’art. Ils voient un rouge, ils disent : c’est rouge. Ils voient une roue, c’est une roue… C’est très simple avec eux, l’approche se fait plus facilement… C’est mon public préféré. »
« Je voulais être autonome. Je gagnais mon propre fric, et je fichais en l’air mon propre fric. Je ne voulais pas m’engager sur la voie de la putainisation… Les œuvres d’art deviennent toujours un peu putes quand elles coûtent très cher. »
« Il y a une certaine sensualité à travailler à plusieurs, c’est joyeux, c’est un challenge. »
« Je ne suis qu’un voleur, un parasite de la technique, un piqueur, un pique-assiette de tout ce monde merveilleux de l’industrie. »
« La ferraille c’est bon marché, je profite de la ferraille. Dès que je touche à la ferraille, c’est la magie. Le fer c’est une matière que les dieux nous ont donnée, c’est la matière la
plus précieuse. Exemple : Alexandre portait un harnais de fer et ses généraux avaient de l’or. Le fer était beaucoup plus prisé. La colonne la plus adorée en Inde est une colonne en fer. Le
fer c’est sacré. Aujourd’hui c’est devenu une saloperie quinquailliste. Et pourtant c’est tellement beau ce qui existe en ferraille.
La ferraille : on peut la coller, on peut la décoller, une pierre à côté c’est vraiment plouc. La ferraille n’est pas ploucqueuse. La ferraille a le caractère d’être malléable. Elle existe
en mille différentes qualités, milles aspects de tôles, de profils. Il y a un génie là-derrière qui est inouï. »
« Dans mon œuvre, il n’y a jamais eu de roues dentée, parce que ça signifie la régularité et la précision. Je suis attaché à l’introduction du hasard comme élément de fonction. La création du hasard fonctionnel est pour moi si essentiel que j’adore quand les courroies glissent, quand elles patinent et que l’on voit la roue qui tombe un peu parce qu’elle a un surpoids en descendant, et qu’une variabilité s’est ainsi produite. »
« La matérialité de l’aspect de mon travail compte très peu pour moi. C’est juste l’idée-vision qui est importante. Je veux passer au-dessus de l’idée de matière, je veux être méta-matière. »
« Méta veut simplement dire ailleurs, ça veut dire à côté, au dessus, c’est pas ça, c’est pas là (…). Ce que la métaphysique est à la physique. »
« Tu vois, le noir m’occupe, mais il n’a rien à faire avec le macabrisme. Le noir n’est pas du tout triste. Je suis tout à fait d’accord avec les chinois : c’est le blanc qui est triste. »
« Je pouvais continuer sur une peinture pendant des mois, jusqu’à usure totale de la toile : racler, revenir, sans laisser sécher la peinture ! C’était impossible pour moi : je n’arrivais pas à, disons, décider : voilà, c’est terminé ; à choisir le moment où, disons, il est donné à la pétrification. C’est à partir de là, au fond, que le mouvement s’est imposé à moi. Le mouvement me permettait tout simplement d’échapper à cette pétrification, à cette fin. »
« Tout bouge, il n’y a pas d’immobilité. Ne vous laissez pas terroriser par des notions de temps périmées. Laissez tomber les minutes, les secondes et les heures. Cessez de résister aux
métamorphoses. SOYEZ DANS LE TEMPS _ SOYEZ STATIQUE DANS LE MOUVEMENT. Pour une stabilité dans le PRESENT. Résistez à la faiblesse apeurée d’arrêter le mouvement, de pétrifier les instants et de
tuer le vivant. Arrêtez-vous de toujours réaffirmer des valeurs qui s’écroulent quand même. Soyez libre, vivez.
Arrêtez-vous de peindre le temps. Laissez tomber la construction des cathédrales et des pyramides qui s’écroulent quand même comme des tartes. Respirez profondément. Vivez à présent, vivez dans
et sur le temps, pour une réalité belle et totale. »
Texte du Manifeste Für Statik dont 15000 exemplaires furent lancés sur la banlieue de Düsseldorf survolée par Jean Tinguely le 14 mars 1959.
« Je fais éclater les rapports de précision (…). J’introduis des hasards dans le machinisme exact. »
« Les dessins sont pour moi juste des apports techniques. Je dessine seulement _ honnêtement seulement quand j’ai un problème, d’ordre matériel et dont je ne sais pas comment trouver la solution entre ce que je cherche et ce que je rêve. Ce sont deux choses à la fois : le problème de l’ingénieur et de la forme. (…) La structure de mes machines doit avoir certains aspects matériels bien déterminés pour permettre la construction proprement dite. Or, lorsque ces aspects sont satisfaisants sur le plan constructif et sur celui du mouvement _ c’est-à-dire lorsque le mouvement obtenu est bon _, il se peut fort bien que le côté esthétique, l’aspect formel ne me plaise pas. Alors, j’ai un problème, je suis dans un conflit. Et là, je dessine… c’est en fait là que je dessine. Pour trouver une liaison entre la forme, son aspect, et les mouvements qu’elle devrait faire. (…) Je crois qu’avec une feuille de papier on peut quand même voir clair dans ce qu’on imagine. (…) En cherchant à voir clair, je cherche aussi à voir esthétiquement, c’est un combiné. Comme pour la machine. »
« Il y a des gens qui peuvent s’imaginer que je suis pour la machine, il a des gens qui peuvent s’imaginer que je suis contre la machine. Finalement, je ne peux pas bien répondre moi non plus parce que la machine, c’est notre grande matrice à nous tous, à toute notre civilisation en tout cas. On la prend très au sérieux. Elle nous terrorise aussi pas mal. Elle nous nourrit, nous fait gagner de l’argent, elle nous fait vivre, elle nous donne de l’électricité, tout un tas de choses. (…) Tout ce qui nous entoure, tout ce qui caractérise notre société est indéniablement lié à la machine. »
« C’est l’antithèse de Chaplin. Il n’y a aucun rapport avec lui. Chez lui, c’est le fonctionnalisme qui règne, et l’homme est ridiculisé, esclave. Chez moi, dans l’ensemble, je doute de l’efficacité de la machine. (…) Ma machine est idiote. Sa machine à lui est forte, elle domine l’homme. Chez moi, ce n’est pas l’homme qui devient fou, c’est la machine qui est folle. Elle se suicide. »
« Je mets la machine en doute, je crée un climat critique, de ridiculisation. J’introduis de l’ironie. Mes machines sont ridicules ou bien elles sont rebelles, mais elles ne servent à rien. »
« Les machines actuelles sont carénées, il n’y a pas beaucoup à voir… Dans les machines-outils, oui _ mais quand tu vois une vieille perceuse _ c’est fantastique ! C’est vraiment un bel objet ! Parce qu’aujourd’hui tu ne vois plus rien, c’est un bloc et toc ! Il y a une tige qui sort et des boutons sur lesquels tu presses… Ils perdent évidemment en plasticité… Plus la machine devient importante pour nous, moins elle devient visible, physiquement… Eh bien ! Tout ce que l’industrie cache, moi, je le sors, je le mets à la vue, je bosse avec ses tripes. »
« Je dois faire presque aussi bien que les gens qui font des machines utiles _ techniquement parlant… Mais les miennes ne subissent pas les inconvénients de la machine, c’est à dire d’être démodées demain pour des raisons techniques, parce qu’elles n’ont pas de raison technique d’exister, elles ont une raison autre… »
« J’aime dans mon travail cette idée de transformation, il y a quelque chose de solide, quelque chose qui tient, qui va très loin, qui est prés de la vie… »
« Mon passe-temps sera et a été toute ma vie de faire des blagues aux moteurs et d’obtenir d’eux des comportement anti-moteur, anti-suisse, anti-précis, anti-industrieux. »
« Comme du bruit, mais des bruits contrôlés. Il n’y a aucun bruit qui me déplaît dans mes machines, sinon j’interviens tôt ou tard. A la base, il y a toujours des bruits, alors je procède plutôt par enlèvement de bruits. Parfois il y a un bruit qui fait son apparition au bout de quelques mois et que je n’aime pas. Il est très difficile de le repérer dans l’ensemble des sonorités d’une machine qui accomplit jusqu’à une trentaine de mouvements différents. Il faut presque y aller avec un stéthoscope. Avec un entonnoir, on arrive à l’identifier. Donc, pour répondre à la question, je dirais que ce sont des bruits, des sons. Pas de la musique, parce que ce serait prétentieux de parler de musique… Ce sont des sons pris en considérations. »
« Dès que tu fais quelque chose en mouvement, ils est inclus dans son prix que tu auras un arrêt. »
« Chez moi, il y a toujours ces deux mondes : positif/négatif. Ca bouge, c’est joyeux, positif. Et tout à coup, ça ne marche plus, c’est la catastrophe : négatif. Ce n’est pas de la philosophie, c’est la réalité, comme le fait que la mort est incluse dans le prix de chaque vie. »
« Je ne veux pas provoquer le terreur, je veux éviter la terreur, je veux la terreur … dérisoire ! »
« Le carnaval de Bâle exprime plus de rapports et de contacts avec la mort que n’importe quel autre. Le côté sinistre, macabre, le macabrisme, est une grande culture à l’intérieur du carnaval bâlois. La nuit, il ne reste plus que les actifs du carnaval. (…) ils ont la force psychique de tenir le coup par une folie intégrée, avec cette force de frappe qui est expressive pour chacun individuellement derrière son masque. (…) J’aime cela, ça m’a beaucoup appris. Le carnaval de Bâle, c’est mon grand professeur. »
« J’ai été parfois un peu démoralisé par le fait que je me disais : putain ! Ca ne va jamais tenir tout ça, mon œuvre est éphémère… »
« Le fric et les musées sont anti-art par définition. Pour moi, se faire muséifier, c’est se faire bouffer, se faire absorber. (…) Mon intention est déboussoler, déboulonner, démonter toute forme d’autorité culturelle. J’ai encore aujourd’hui de vastes tendances à donner des coups de pieds dans le système. »
« Mon travail est en partie basé sur le passé, tout ce que tu fais tu l’as mémorisé, tu as été heurté quand tu étais jeune… Tu dois toujours aller chercher en arrière. Même si tu ne fouilles
pas, même si tu n’as pas besoin d’aller chez le psychiatre, même si tu ne sais rien, c’est quand même en arrière que tu vas chercher tes substances essentielles. »
« Des machines à sons, j’ai commencé d’en construire tout gosse. Le samedi, notre jour de congé, je partais au petit matin, un sandwich dans la poche. Mon but était un coin de forêt fermé
tout en haut par les arbres et traversé par u ruisseau médusant. Ça et là des fantômes de fleurs, une herbe noire et des troncs noueux. Mais surtout, une merveilleuse situation sonore, un vide
intense constellé de chétifs bruits bizarres, difficilement identifiables. Et si, par inadvertance, dans une tache d’ombre, je marchais sur une branche, l’éclat d’un orage me répondait. Je
voulais participer à cet environnement de sons. Alors, je creusais des petits trous dans le lit du ruisseau. Avec des pinces et des bouts de fil de fer dégotés dans les décharges publiques, je
confectionnais des roues, des pâles, un axe, une came surmontée d’un petit marteau (souvent un vieux boulon rouillé ou une pierre emmaillotée de fil de fer), qui retombait sur une boîte de
conserve, une bouteille, un morceau de verre. Les roues évidemment, je les bricolais de grandeurs différentes ; elles tournaient donc à des vitesses différentes. En outre, je les disposais à
des endroits où le cours était là plus rapide, ici plus lent. Bref, je plaçais un élément sonore (roue, came, marteau), tous les deux ou trois mètres. Le soir, quand on n’y voyait goutte, je m’en
allais, laissant derrière moi un orchestre de cinquante mètres de long. Et qui fonctionnait. J’ai beaucoup construit par la suite, mais jamais mieux que ça. Ce n’était pas de l’art mais un
évènement. J’imaginais un spectateur innocent, un chercheur de champignons, un garde forestier, qui seraient arrivés là et auraient découvert mon orchestre, éraillé peut-être par une petite
branche venue coincer une roue. Quand je revenais, le samedi suivant, trois ou quatre éléments faisaient encore pim... kling... pom... Alors je réparais le tout. Je conseillerai à beaucoup
d’orchestres d’aller jouer au moins une fois dans la forêt _ même s’il n’y a pas de place pour le public. La forêt répond mieux, elle est plus molle, elle est meilleure qu’une salle, même si
parfois, un public de dix mille personnes peut conférer à celle-ci une certaine tendreur. »
JOSEPH MALLORD WILLIAM
TURNER : 1775-1851, peintre, aquarelliste et graveur anglais.
« Chaque coup d’œil doit être un coup d’œil d’études. Chaque regard sur la nature découvre ce qui dépasse l’art. »
« La peinture, c’est une chose étrange. »
PATRICK TOSANI : photographe et plasticien français, né en
1954
« Photographier c’est choisir quelque chose, choisir un endroit où va rester ton regard. »
« La photo c’est une histoire de cadrage. »
JAMES TURRELL : artiste plasticien américain,
né en 1943
« D’où la lumière vient-elle dans les rêves ? Elle est magique, elle a de la substance, elle a une présence physique… J’aime donner de la substance et de la réalité aux choses que nous
avons décrétées insubstancielles et transitoires. »
LUC TUYMANS : peintre belge, né en
1958.
« Lorsqu’ils fonctionnent, les tableaux doivent avoir cette terrible intensité du silence… du silence avant l’orage. »
TRISTAN TZARA : 1896-1963, poète, écrivain et
essaiyste d’origine roumaine, fondateur du mouvement Dada.
« Dada ne signifie rien. Je suis contre tous les systèmes, le plus acceptable des systèmes est de n’en avoir aucun. » (avril 1916).
V
VAN GOGH : 1853-1890, peintre et
dessinateur néerlandais
« Une raison de travailler c’est que les toiles valent de l’argent… Une raison de ne pas travailler, c’est que les toiles et les couleurs ne font que nous coûter des sous, en
attendant. »
« Il ne faut pas être esclave de la nature, ce qui briderait l’imagination. »
« Peindre, des hommes, des femmes, avec ce je ne sais quoi d’éternel. »
« Le noir absolu n’existe pas à vrai dire. »
XAVIER VEILHAN : plasticien français, né en
1963
« Je pense que c’est la responsabilité de l’artiste de continuer à faire des choses bricolées avec trois bouts de ficelle, tout seul. »
FABIENNE VERDIER : peintre et calligraphe française, née
en 1962
« Son enfance, on la subit ; sa jeunesse, on la décide. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.9
« Je compare la vie d’un homme à la terrifiante beauté d’un bonzaï ou d’un vieux pin sur les récifs en bord de mer qui a pris les plis du vent avec le temps. On le juge beau à l’automne de
sa vie, mais quel sacrifice a-t-il dû accepter pour pousser ainsi ? »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.9
« On envoyait donc périodiquement les artistes « étudier auprès du peuple » dans les villages. C’était une pratique à double tranchant car elle permettait à des intellectuels et à
des citadins de voir ce qui se passait réellement parmi cette majorité silencieuse de paysans vivant encore souvent dans la misère ou, du moins, dans des conditions précaires. Les artistes sont
sans doute en Chine ceux qui connaissent le mieux la réalité de leur pays et ils savent qu’il existe un immense fossé entre le discours officiel et cette réalité ».
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.41
« Une fois, il me demanda si je savais monter à cheval.
Oui, lui répondis-je, et j’adore cela.
_ Comment fais-tu pour arrêter ton cheval ?
_ Je tire sur les rênes.
_ Ce geste de tension, quand tu tires sur les rênes, peux-tu le représenter dans ton trait ? »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.102
« Tout ce qui est dans la nature, tout mouvement humain est une métaphore idéale pour instruire ton esprit à transmettre la vie au trait, disait-il. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.103
« Chaque fois, il m’enseignait à l’aide d’images poétiques. Mais il ne s’agissait pas seulement d’images : il m’interdisait de peindre sans avoir à l’esprit le roulement du tonnerre, le
déferlement de la vague ou le caillou qui dévale. « Ils doivent être présents dans ton esprit avant que tu poses ton pinceau sur le papier ; sans cela, tu ne parviendras pas à les
traduire. Ce n’est pas un problème de technique. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.103-104
« Voici ce que le métier de votre serviteur lui a permis d’observer. Quand je fais une roue, si je vais doucement, le travail est plaisant, mais pas solide. Si je vais vite, le travail est
pénible et bâclé. Il me faut aller ni lentement ni vite, en trouvant l’allure juste qui convienne à la main et corresponde au cœur. Il y a là quelque chose qui ne peut s’exprimer par les
mots. »
in Tchouang Tseu, Œuvre complète, « Connaissance de l’Orient », Unesco, Paris, Gallimard, 1969, cité in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.108-109
« Je n’en pouvais plus de travailler avec de l’encre noire et je lui ai demandé si je pouvais égayer d’un peu de couleurs mes exercices : « Non seulement tu ne vas pas mettre de
couleur, mais tu vas encore travailler le noir pendant des années. Tu dois arriver à percevoir que, dans le monochrome, dans les variations infinies de l’encre de Chine, tu peux interpréter les
milles et une lumières de l’univers. Si tu recours maintenant à la couleur, tu n’iras plus rechercher les possibilités du lavis, la façon dont il accroche la lumière. C’est difficile, mais
fais-moi confiance. Lorsqu’au bout de quelques années tu viendras à la couleur, ton interprétation de la lumière sera d’une richesse bien plus précieuse. Le noir possède l’infini des
couleurs ; c’est la matrice de toutes. Même si cela te paraît aberrant, tu en seras persuadée plus tard. Avec les ressources du noir et le vide du papier blanc, tu peux tout créer, comme la
nature, à l’origine, a tout créé avec deux éléments opposés et complémentaires, le yin et le yang, qui se fondent en une unité. Toutes les transformations en sont issues. Le noir est le
révélateur premier de la lumière dans la matière. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.110
« La peinture chinoise est une peinture de l’esprit ; elle ne vise qu’à transmettre l’esprit des choses à partir des formes qui ne sont qu’un moyen. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.110
« Il répétait sans cesse : « Pour trouver l’unité du pinceau, il faut apprendre l’opposition et la complémentarité. Je ne veux pas d’un trait trop souple ou trop enlevé ou trop
rugueux ; il doit être preste et retenu ; empreint ni de force ni de mollesse. Il faut allier puissance et délicatesse. La touche ne doit être ni trop légère ni trop lourde. Appuie sur
le trait, mais avec un poids plume ; que ton pinceau ne soit ni trop sec ni trop mouillé ; que ta touche ne soit pas trop onctueuse. Il faut trouver le juste milieu pour saisir la vie.
Tout est dans la juste mesure des oppositions. En Occident, vous aimez les extrêmes ; pour vous, le juste milieu est synonyme de fadeur. Pour nous Chinois, le juste milieu, c’est épouser la
vie, la paix. L’harmonie de la nature est basée sur le juste milieu. Travaille dans cette direction et une dynamique naturelle naîtra dans tes œuvres qui trouveront alors leur unité et une
qualité physique organique. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.111
« J’aimais sa phrase : « La mémoire, cette trace furtive, éphémère, nous enseigne doucement, mais sûrement, la saveur de l’immortalité. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.112
« Tu ne sais pas à quel point tu viens de me faire plaisir ! Il y a des gens à qui une vie entière ne suffit pas pour comprendre leur ignorance. [...] Le fait que tu reconnaisses que tu
es une ignare devant l’éternel, c’est l’attitude que je désirais que tu aies pour approcher la peinture. C’est la seule attitude valable pour devenir peintre ; sinon, ce n’est pas la peine
de s’y mettre. Enfin une compréhension soudaine, juste, de la réalité ! »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.113
« Il m’a aussi enseigné à vivre les moindres gestes de la vie quotidienne, car c’est en eux que le peintre trouve son inspiration. Une réceptivité totale nous rend attentifs aux vibrations
des choses, à la nuance de l’aube. Il m’a appris, en me levant, à sentir la brume matinale qui varie chaque jour. Elle éclaire un aspect de soi encore inexploré, un sentiment ignoré. « On
enrichit sa peinture en vivant pleinement l’humeur du jour, disait-il. Le peintre ne copie pas la nature, en même temps elle est sa révélation première ; il en restitue les traits, les
états, l’ossature. Un brin d’herbe est source de connaissance. Il apprend la ligne drue, coupante, dense. La danse de l’oiseau en vol t’indique comment se déployer, prendre son élan, piquer vers
le sol. Il faut te nourrir des vies qui t’entourent. Elles provoqueront des émotions et des perceptions de plus en plus riches et variées. Le peintre, au cours de son existence, se construit une
banque de données psychiques à partir de sa connivence avec le monde. C’est ce qu’il restitue dans son trait. Un jour, de cette banque de données naîtra naturellement, en un geste spontané, un
acte créatif. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.114
« Que vois-tu là ?
_ Une forme qui prend vie.
_ Mais encore ?
_ Ca peut être un caillou.
_ Oui, ça peut être un caillou.
_ Ca peut-être un début de paroi rocheuses.
_ Derrière cette paroi rocheuse, que vois-tu ?
_ Je ne vois rien !
_ Mais si ! Regarde derrière cette paroi rocheuse. »
Le travail de l’imaginaire commençait. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.11
« Tu as déjà oublié ce que je t’ai enseigné sur l’effacement, l’oubli de soi. Si tu veux travailler les perceptions infinies à travers les lavis d’encre, il faut une attitude d’humilité, de
transparence ; c’est seulement ainsi que tu feras naître dans tes peintures une présence subtile. Si tu arrives fière de toi, sûre de vaincre, tu basculeras dans la
trivialité. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.118
« Le beau en peinture, selon l’enseignement des vieux maîtres, disait maître Huang, n’est pas le beau tel qu’on l’entend en Occident. Le beau, en peinture chinoise, c’est le trait animé par
la vie, quand il atteint le sublime du naturel. Le laid ne signifie pas la laideur d’un sujet qui, au contraire, peut être intéressante : si elle est authentique, elle nourrit un tableau. Le
laid, c’est le labeur du trait, le travail trop bien exécuté, léché, l’artisanat.
Les manifestations de la folie, de l’étrange, du bizarre, du naïf, de l’enfantin sont troublantes car elles existent dans ce qui nous entoure. Elles possèdent une personnalité et une saveur
propres, une intelligence. Ce sont des humeurs qu’il faut développer. Toi, en tant que peintre, tu dois saisir ces subtilités. Mais l’adresse, l’habileté, la dextérité qui, en Occident, sont
souvent considérées comme une qualité, sont un désastre, car on passe à côté de l’essentiel. La maladresse et le raté sont bien plus vivants. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.122
« Le raté n’est pas mauvais du tout. La faiblesse peut même être d’une élégance folle. La maladresse, si elle vient du cœur, est bouleversante. Ce que tu viens de faire là est bouleversant.
La maladresse peut même constituer l’esprit du tableau. Si l’expression est sincère, elle habitera forcément l’esprit qui la contemple.
Garde le côté cru, la fraîcheur dans le rendu. Les légumes crus qui conservent leur saveur sont meilleurs et plus nourrissants que s’ils sont mijotés en sauce et longuement préparés. Il faut
œuvrer à la fois avec liberté et rectitude. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.122
« C’est dans l’inachevé qu’on laisse la vie s’installer. Si on tente d’achever le tableau, disait le maître, il meurt. On rajoute toujours un coup de pinceau en trop. Recherche sans cesse et
sans répit le singulier, l’insolite, détruis les frontières ou catégories esthétiques forgées par nos cultures et n’aie pas peur de paraître parfois folle ou excentrique car il s’agit de
retrouver les mille et une manifestations de la nature des choses. C’est primordial pour la recherche d’un peintre. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.122
« Pour les Tibétains comme pour les tribus africaines, les vieux philosophes du Moyen Âge ou les grands maîtres calligraphes zen, le cercle est le point central : vide nourricier,
plénitude première, lieu de naissance de tout ce qui est. Cette sorte de « cosmogramme » représentait l’expérience du sacré, la diversité du monde dans l’unité. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.171
« Assez de sornettes ! Interférer en politique, c’est remplacer son idéal par la rouerie des compromis, s’entraîner à se leurrer soi-même. Les hommes politiques sont, comme ceux qu’ils
gouvernent, les jouets de situations qui les dépassent. Oui, tu peux changer le monde, et même en profondeur, non par la politique qui ne sait qu’osciller entre la domination des uns et la
soumission des autres mais par ton art. Dis moi, quel empereur, quel chef ont autant transformé la société que ceux qui ont inventé la scie et le rabot, la roue et l’horloge, la voiture et
l’avion ? Pourtant, tu serais bien incapable de me citer leur nom. Le Petit Livre Rouge n’est pas si vieux et il n’est déjà plus qu’un objet de collection recherché par les antiquaires,
alors que Lao Zi et Confucius continuent à être lus. Ce sont les savants et les penseurs qui changent le monde, et aussi les artistes, de façon moins évidente, mais tout aussi féconde. Léonard de
Vinci a changé le regard des occidentaux, et Wu Daozi celui des chinois. Tu veux aider autrui ? Alors cultive ta peinture, parfais ton art. Tu proposeras aux autres, au lieu de le leur
imposer, un fil de pensée, une ouverture sur un ailleurs. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.192-193
« Comprends ceci : dans l’infiniment petit de l’espace de nos tableaux, nous ne faisons que reproduire l’infiniment grand du cosmos. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.195
« Il faut apprendre, puis oublier ce qu’on a appris, retrouver le naturel jusqu’à parvenir à créer sans effort. Cela paraît simple mais, en fait, il est très difficile de retrouver sa
véritable nature, surtout à une époque où la famille, l’éducation, les règles sociales, la pression des autres, les modes, nous façonnent à notre insu. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.196-197
« Nourris ton esprit, pas seulement de connaissances livresques comme tant de gens, mais de la réalité qui t’entoure, de tes songes aussi _ entraîne-toi à rêver et à te souvenir de tes rêves
une fois éveillée ; à les commander en réfléchissant, juste avant de t’endormir, à ce que tu souhaites que soit leur point de départ _, alors tu verras fonctionner la plus haute qualité de
l’esprit qui est de produire des intuitions. Elles fuseront en grand nombre et il te suffira de transcrire cette poésie qui passe dans l’instant. Arrête de cogiter, d’essayer de comprendre ;
oublie, oublie, et ton esprit comprendra « subitement » pour toi. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.203
« ...il m’expliqua le mot chinois yuun : « Dans son sens moderne, il veut dire rime mais de façon plus large, rythme. Celui-ci est capital en musique mais aussi dans les autres
arts, comme l’art de vivre. Sans rythme, il n’y a pas d’art. Cependant, à l’origine, ce mot avait un autre sens ; il signifiait raffinement. Ce n’est pas un hasard si l’on est passé du
raffinement au rythme ; on en a simplement réduit le sens. Cultive le raffinement dans tes pensées, dans ta conduite ; ainsi, tu seras plus humaine. Ce qui est inhumain et même à
l’opposé de la vie, de son évolution, c’est la vulgarité et la violence. Les plantes, les animaux eux-mêmes n’ignorent pas le raffinement. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.208-209
« As-tu déjà vu, dans un temple, des médiums incarner une divinité ? C’est un spectacle rare aujourd’hui car il est considéré comme une superstition et interdit ; jadis, il faisait
partie de toutes les fêtes religieuses. Les dieux se manifestaient aux humains en s’emparant de certains, dont l’âme s’absentait momentanément. Ces médiums entraient alors en transe. Insensibles
à la douleur, ils pouvaient se couper la langue avec une épée, se flageller avec des boules hérissées de pointes sans souffrir ; il saignaient à peine et ne conservaient aucune cicatrice.
Ils jouaient, dans cet état second, les rôles d’esprits ou de dieux, avec la gestuelle stylisée de l’opéra et naturellement, ne faisaient parler que des dieux qu’ils connaissaient. Les acteurs,
quand ils incarnent un personnage sur scène, sont eux aussi possédés par leur rôle mais restent conscients. Vois-tu, le peintre doit imiter le médium mais, comme l’acteur, demeurer conscient. Il
doit s’oublier complètement, se perdre pour devenir branche de prunus, bambou ou paysage. Il faut qu’il sente le bambou pousser en lui. Il n’aura plus alors besoin de réfléchir à la forme qu’il
doit lui donner ; elle se présentera d’elle-même. C’est pour retrouver cet état, à mi-chemin entre le conscient et l’inconscient, où l’inconscient parle au conscient, que certains artistes
ont peint en utilisant leurs cheveux trempés dans de l’encre ou en tenant leur pinceaux entre leurs orteils. D’autres ont eu recours à la méthode de la planchette : ils tenaient une baguette
de sourcier à la pointe de laquelle ils fixaient un pinceau enduit d’encre et laissaient la baguette les guider sur le papier. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.210-211
« Il faut savoir maîtriser la faculté que nous possédons de nous débarrasser du carcan de la raison évidente. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.212
« Peindre c’est lutter comme au kung-fu ; celui qui libère le plus d’énergie gagne.
Méfie-toi des connaissances. Trop de connaissances tuent la création ; on ne sait plus où donner de la tête, on est assommé par leur diversité. Quand tu prépares un plat, tu n’utilises que
les ingrédients nécessaires ; tu n’iras pas acheter des oignons si tu n’en as que faire. Même chose en art ; ne t’intéresse qu’aux connaissances dont tu as besoin pour faire ton
omelette. Laisse aux universitaires cette coure éperdue vers les connaissances qu’ils ne savent même plus digérer, encore moins régurgiter. Apprends les techniques mais dépasse-les. Il faut que
tes traits sur le papier soient empreints de vie, naissent d’eux-mêmes, surtout sans labeur ni relents livresques. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.213
« La forme naît de l’informe : il ne faut pas avoir peur du chaos. Prends un pot par exemple : c’est le vide qu’il enferme qui crée le pot. Toute forme ne fait que limiter du vide
pour l’arracher au chaos. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.213
« L’acte de peindre doit être l’agir du non-agir, l’agir naturel, sans désir, qui n’est pas tourné vers le moi. C’est par l’oubli de soi que l’on obtient la fusion avec le Ciel, avec le
Tout. Cesse de penser, de vouloir, de calculer. Instaure en toi la non-contrainte totale pour être en harmonie avec la source de ton cœur. Fuis le rationnel, le conventionnel. Quand cette source
où tu bois le meilleur de ton œuvre se tarit, ne te force pas, n’essaie pas d’extraire à tout prix, avec efforts, l’inspiration qui passe, aussi fugitive que le désir. Sors, promène-toi, parle à
ton oiseau. Et ne regrette rien : tu n’aurais créé qu’une œuvre morte. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.214
« L’erreur est d’avoir soumis l’art à la politique ; il en résulte des œuvres didactiques. Je te l’ai dit, le critère, en art, n’est pas le beau, notion subjective qui varie suivant les
lieux et les époques, mais la sincérité, l’authenticité. Les statues socialistes sont des échecs, non parce qu’il s’agit d’œuvres de commande mais parce qu’elles prétendent représenter l’esprit
des travailleurs alors qu’elles sont réalisées par des gens qui ne sont pas des travailleurs. De même pour l’art actuel qui s’inspire du folklore ou des estampages de pierres gravées qui
décoraient les tombes ; il se prétend le continuateur de l’art populaire. Quelle outrecuidance de parler ainsi au non des paysans ou des ouvriers quand on n’ignore tout de leur mode
d’existence ! Quelle prétention que de soutenir que l’on sait mieux qu’eux ce qu’ils souhaitent, et même ce qu’ils pensent ! Nos souffrances viennent en grande partie du fait que les
dirigeants du Parti stipulent qu’ils ont le monopole de ce qui est bon pour le peuple. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.215
« ... comme dit un proverbe chinois, une conversation en apprend souvent plus qu’une charretée de livres... »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.218
« Dans la clarté d’une glaçure ou la brillance lumineuse d’une porcelaine, nos pensées troubles disparaissent sans laisser de traces. L’objet est reposant. Il possède réellement un pouvoir
magique sur l’individu qui le contemple. Inconsciemment, inlassablement, peut-être recherchons-nous l’esprit originel. Tu dois savoir que ces objets de lettrés sont un ressourcement infini pour
le peintre, le point de départ de toute méditation, de toute création. Tu en auras besoin autour de toi, dans ton atelier. Je ne parle pas, ici, de « natures mortes » comme vous dites
en Occident, mais de « natures vivantes ». Comme nous, ces objets portent l’émouvante patine du temps. Ils sont gardiens de secrets. Ne crois pas qu’ils se livrent
facilement ! »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.267
« On trouve, à Pékin, des amateurs qui élèvent des pigeons et leur attachent aux pattes de minuscules sifflets/. Quand les cages sont ouvertes ils s’envolent et, selon la forme des sifflets
et les arabesques qu’ils dessinent dans le ciel, se crée une véritable symphonie où chacun joue sa partition ; chaque sifflet est comme un instrument de musique différent. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.268
« J’ai compris que l’extase, qu’elle se crie ou se taise, n’est pas un don du Ciel qu’on attend les bras croisés, mais qu’elle se conquiert, se façonne, et que l’intelligence y a aussi sa
part. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.285
« La qualité d’une œuvre ne tient pas au talent inné de son créateur, même s’il est nécessaire au départ, ce qui n’est pas sûr. La différence réside dans la persévérance, la volonté acharnée
de poursuivre. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.288
« J’ai appris, à la lumière du taoïsme et du bouddhisme, qu’il est possible de diriger son esprit dans une direction choisie, pas seulement de le laisser éduquer par la société qui nous
environne ; et qu’à travers l’ascèse, celle-ci une fois dépassée, on pouvait atteindre l’inaccessible étoile : un grain de sagesse qui est aussi, heureusement, un grain de
folie ! »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.289
« Pour moi, l’acte de peindre porte en gestation toutes les modernités possibles. »
in Passagère du silence, éd. Albin Michel, 2003, p.293
PAUL VERLAINE : 1844-1896, poète
français,
« Surtout laisse dire. Surtout sois joyeux. »
CLAUDE VIALLAT : peintre français né en
1936, chef de file, jusqu’en 1971, du groupe SUPPORT-SURFACE.
« Tout ce qui est usé et abandonné m’intéresse… Souvent quand un bois est trop parfait… alors je le marque d’une prise rouge, verte ou noire. »
« Quand je peins, j’essaie d’avoir le moins d’idées possibles, d’être le plus à l’écoute de ce qui vient. J’analyse mon travail après. »
« En peinture, j’ai toujours le sentiment de me surprendre, tout me prend à contre-pied. Longtemps, j’ai dessiné des projets que je ne faisais jamais, façon de les évacuer. »
« La forme n’est jamais dessinée que par des fragments de forme ou de contre-forme, la suggestion d’un fragment donne la forme neuve… Toutes mes toiles sont un fragment de quelque chose qui se continue… Le dessin, le croquis, c’est un peu comme l’écriture. C’est très épisodique. J’ai envie de dessiner grâce à une qualité de papier, ou à une qualité d’outils… Ma forme me laisse entièrement libre de réinventer à chaque fois une technique et des effets de couleurs. »
« Considérer le transparent comme la couleur, comme couleur et l’utiliser comme tel, et ne pas séparer la couleur de l’espace et l’espace de la matière. »
« Travailler la couleur en tant que marquant en tenant la valeur et le ton comme obligatoires, en ne lui conférant aucune symbolique, impose de ne pas la particulariser, ni lui donner la préférence, mais de l’accepter dans sa matérialité. Elle n’est plus alors un véhicule d’expression mais celui du travail qui l’utilise et la produit, pâteuse, fluide, ductile, solide ou poudreuse. »
« … les bords de la toile sont peints eux aussi et la toile prend le mur, s’ouvre, compose avec le mur lui-même, devient élément d’un tableau qui est le mur, le sol , le plafond, l’espace de la pièce et l’espace extérieur. »
« La mise en situation et le positionnement de la toile ou objet au moment du travail, son format, vont déterminer tous les gestes de la fabrication, conditionner la couleur dans sa densité (fluide ou épaisse) et dans les effets secondaires qui en découlent…, autant de marques qui s’inscrivent dans la chair de la toile en appréhension corporelle, gesticulation et sens. »
LEONARD DE VINCI : 1452-1519, peintre,
artiste, musicien, poète, architecte, botaniste, ingénieur, sculpteur et philosophe italien
« Dans les choses indéfinies, l’esprit s’éveille à de nouvelles inventions. » (à propos de taches sur un mur).
« Si tu regardes des murs souillés de beaucoup de taches ou faits de pierres multicolores, avec l’idée d’imaginer quelque scène, tu y trouveras l’analogie de paysages au décor de montagnes, rivières rochers, arbres, plaines, larges vallées et collines de toutes sortes. Tu pourras y voir aussi des batailles et des figures aux gestes vifs et d’étranges visages et costumes et une infinité de choses, que tu pourras ramener à une forme nette et compléter. » (BN 2038 22b)
« Les sens ressortissent à la terre ; la raison, à l’écart, reste contemplative. »
« Observe bien, peintre, la partie la plus laide de ton corps et concentre tes études sur elle de façon à te corriger. Car si tu es brutal, tes figures le seront aussi et elles seront
dépourvues d’esprit ; ainsi tout ce qui est bon ou mauvais en toi transparaîtra d’une manière ou d’une autre dans tes figures. »
(cité par José Saramago in Manuel de peinture et de calligraphie p37).
BILL VIOLA : artiste vidéaste maéricain, né en
1951
« La vidéo traite de la lumière et de l’eau _ elle devient un fluide au sein du tube vidéo. »
« Il n’y a pas de discontinuité, d’immobilité dans le temps. Quand on fait de la vidéo, on interfère dans ce processus continu… »
PAUL VIRILIO : urbaniste et essaiyste français,
né en 1932
« Je rappelle que l’art est sorti du corps, du corps de la danse et du théâtre, des peintures de guerre et des tatouages. Le travail de Lucy Orta m’a semblé de même nature que des peintures
rupestres qui viendraient se dessiner sur le corps. »
W
JEFF WALL : photographe canadien, né en 1946.
« L’expérience du beau est toujours associé à l’espoir et comme le dit STENDHAL, l’art est une promesse de bonheur. »
ANDY WARHOL : 1928-1987, artiste et cinéaste américain, apparenté
au Pop
Art.
« C’est dur de ressembler à l’exacte contraire de ce que l’on est par nature, et surtout d’imiter ce qui n’était au départ qu’une femme imaginaire. »
« Je pense que tout le monde devrait être une machine. Je pense que tout le monde devrait aimer tout le monde. »
« Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, vous n’avez qu’à regardez la surface de mes peintures, de mes films, de moi. Me voilà, il n’y a rien dessous. »
« Mon œuvre n’a aucun avenir. Je le sais. Quelques années. Evidemment, mes choses ne voudront rien dire. »
« Une usine est un endroit où on construit des choses. C’est là que je fais, ou que je construis mes œuvres. Dans mon travail artistique, la peinture à la main prendrait trop de temps, et de toute façon ce n’est plus de notre époque. Les moyens mécaniques sont d’aujourd’hui. En les employant, je peux apporter l’art a plus de gens. L’art devrait être pour tout le monde. »
« (...) La sérigraphie est une méthode aussi honnête que les autres, y compris la peinture à le main. »
« L’art à l’échelon industriel est l’étape qui suit l’art avec un grand A. J’ai commencé dans l’art commercial, et je veux finir avec une entreprise d’art. Après avoir fait ces choses que l’on appelle art ou peu importe comment, je suis entré dans l’art industriel. Je voulais être un bon industriel d’art ou un bon artiste industriel. Être bon en affaires, c’est la forme d’art la plus fascinante. »
« C’est dur d’être créatif et c’est dur aussi de ne pas penser que ce qu’on fait est créatif, ou de ne pas être jugé créatif, parce que tout le monde ne parle que de ça et de l’originalité. On est tous créatifs tout le temps. Et ça fait un drôle d’effet quand on dit que des choses ne le sont pas, comme si la chaussure que je dessinais pour une pub était une création mais pas le dessin de cette chaussure. Je trouve que les deux se valent. J’étais payé pour ça et je faisais tout ce qu’on me demandait. (...) Je devais inventer et plus maintenant. Après toutes les retouches, les dessins avaient une atmosphère, ils avaient un style. L’attitude de ceux qui me passaient les commandes n’était pas indifférente. Ils savaient ce qu’ils voulaient, ils insistaient, et quelquefois ils prenaient un ton passionnel. Le travail dans l’art commercial était mécanique, mais les gens avaient des sentiments. »
« J’adorais cette idée de la toile vide et je regrettais de ne pas avoir continuer à peindre toujours la même peinture, par exemple la boite de soupe et rien d’autre. Quand quelqu’un en veut une, eh bien on en fait une autre. Est-ce que quelqu’un fait ça maintenant ? De toute façon, on fait la même peinture qu’elle est l’air différente ou non. »
« Je prends toujours mes idées chez les autres. Quelquefois, je modifie l’idée pour l’adapter à un projet précis sur lequel je travaille à ce moment. Quelquefois, je n’y change rien. Ou alors, je n’utilise pas l’idée tout de suite, mais je la garde en mémoire et je l’utilise pour quelque chose, plus tard. J’adore les idées. »
« Ma série des morts se partageait en deux, d’un côté les morts célèbres et de l’autre les gens dont personne n’a jamais entendu parler. (...) Ca ne veut pas dire que je m’apitoie sur eux, mais simplement que les gens passent leur chemin et que ça ne leur fait rien si un inconnu est mort. (...) Je fais encore attention aux gens mais ce serait bien plus facile de ne pas faire attention, c’est trop dur de faire attention. Je ne veux pas trop m’approcher. Je n’aime pas toucher les choses, c’est pourquoi mes œuvres sont si éloignées de moi. »
« En réalité, tu vois, ce n’était pas l’idée des accidents et des choses comme ça, c’est un truc tout simple. Tout est parti des boutons, ça fait longtemps que j’aimerai savoir qui a inventé les boutons et puis j’ai pensé à tous ces gens qui ont travaillé sur les pyramides... Je me suis toujours un peu demandé ce qui pouvait bien leur arriver, pourquoi ils ne sont nulle part. Alors je me disais toujours que ce serait quand même plus simple de faire une peinture des gens morts dans des accidents de voiture, parce que quelquefois, tu vois, on ne sait absolument pas qui c’est. (...) Les gens dont on sait qu’ils veulent faire des choses et ils ne les font jamais, ils disparaissent si vite, et puis ils se font tuer ou quelque chose comme ça, tu vois, personne n’est au courant. Je me suis dit que j’allais peut-être faire une peinture sur une personne qu’on ne connaît pas ou un truc comme ça. »
« J’ai fait mes premiers films avec un seul acteur qui faisait la même chose pendant des heures à l’écran : manger, dormir ou fumer. J’ai fait ça parce que, d’habitude, les gens vont au cinéma juste pour voir la vedette, pour la dévorer. Alors, là au moins, on a une occasion de ne regarder que la vedette aussi longtemps qu’on veut, sans se soucier de ce qu’elle fait, et de la dévorer autant que l’on a envie. Et puis, c’est plus facile à faire. »
« J’ai commencé à faire des sérigraphies en août 62. La méthode du tampon en caoutchouc que j’utilisais pour répéter des images m’a brusquement paru trop artisanale. Je voulais quelque chose qui donne davantage l’effet de la production à la chaîne. Avec la sérigraphie, on prend une photo, on l’agrandit, on la reporte à la colle sur la soie, et puis on étale l’encre dessus et l’encre passe au travers la soie mais pas à travers la colle. Comme ça, on obtient la même image, un peu différente chaque fois. C’était tellement simple, rapide, imprévisible. J’étais enchanté. »
« Je vois tout de cette façon : la surface des choses, une sorte de braille mental. Je passe simplement la main sur la surface des choses. »
« Je n’ai jamais voulu être peintre. Je voulais être danseur de claquettes. »
« J’aime les choses barbantes. J’aime que les choses soient exactement pareilles encore et encore. »
« On a souvent cité cette phrase de moi : j’aime les choses barbantes. Eh bien, je l’ai dit et c’est ce que je pense. Mais cela ne veut pas dire que ces choses ne me barbent pas. Bien sûr, ce que je trouve barbant ne doit pas le paraître à d’autres, car je n’ai jamais pu regarder jusqu’au bout les émissions d’aventure à la télé, parce que ce sont à peu près les mêmes intrigues, les mêmes plans et les mêmes montages encore et encore. Apparemment, la plupart des gens adorent regarder à peu près la même chose du moment que les détails changent. Moi, c’est tout le contraire. Si je dois regarder la même chose que la veille qu soir, je ne veux pas que ce soit à peu près la même, je veux que ce soit exactement la même. Parce que plus on regarde exactement la même chose, plus elle perd son sens, et plus on se sent bien, avec la tête vide. »
« Je me considère comme un artiste américain. J’aime ce pays, je le trouve formidable. Il est fantastique. J’aimerai travailler en Europe, mais je ne ferais pas les mêmes choses. Je ferais des choses différentes. Je crois que je représente les Etats-Unis dans mon art, mais je ne fais pas de critique sociale. Je peins ces objets dans mes tableaux tout simplement parce que ce sont ceux que je connais le mieux. Je ne cherche absolument pas à critiquer les Etats-Unis, ni à dénoncer une quelconque laideur. Je suis purement un artiste, il me semble. Mais je ne saurai pas dire si je me prends au sérieux comme artiste. Je n’y ai jamais pensé. D’ailleurs, je ne sais pas ce qu’on pense de moi dans la presse. »
« Chacun a son Amérique à soi, et puis des morceaux d’une Amérique imaginaire qu’on croit être là mais qu’on ne voit pas. Quand j’étais petit, je n’étais jamais sorti de la Pennsylvanie, et j’imaginais des choses que je croyais vraies sur le Midwest, ou le Sud ou le Texas, et je me sentais privé de ces choses. Mais on ne peut vivre sa vie qu’à un endroit à la fois. Et sur le moment, la vie n’a aucune saveur, jusqu’à ce qu’elle devienne un souvenir. Les recoins imaginaires de l’Amérique semblent savoureux parce qu’on les a créés par bribes, d’après des scènes de films, des musiques, des passages de livres. Et on vit dans son Amérique de rêve qu’on s’est confectionnés sur mesure avec de l’art, des émotions et du sentimentalisme, tout autant qu’on vit dans la vraie. »
« Ce qui est formidable dans ce pays, c’est que l’Amérique a inauguré une tradition où les plus riches consommateurs achètent en fait les mêmes choses que les plus pauvres. On peut regarder la télé et voir Coca-cola, et on sait que le président boit du Coca, que Liz Taylor boit du Coca et, imaginez un peu, soi-même on peut boire du Coca. Un Coca est toujours un Coca, et même avec beaucoup d’argent, on n’aura pas un meilleur Coca que celui que boit le clodo du coin. Tous les Cocas sont pareils et tous les Cocas sont bons. Liz Taylor le sait, le président le sait, le clodo le sait, et vous le savez. »
« On récrit tout le temps les livres d’histoire. Peu importe ce que vous faites. Tout le monde continue simplement à penser la même chose, et plus ça va plus c’est pareil. Ceux qui parlent le plus d’individualité sont ceux qui refusent le plus les différences. Ca pourrait être l’inverse d’ici quelques années. Un jour, chacun pensera exactement ce qu’il a envie de penser, et alors tout le monde aura probablement les mêmes opinions. On dirait ce qui se passe actuellement. »
« Quelqu’un a dit que Brecht voulait que tout le monde ait les mêmes opinions. Je veux que tout le monde ait les mêmes opinions. Mais Brecht voulait y parvenir par le communisme, d’une certaine façon. La Russie le fait sous les ordres du gouvernement. Ici, c’est en train d’arriver tout seul, en dehors de tout gouvernement strict. Donc, si ça marche sans qu’on ne fasse rien, pourquoi ça ne marcherait pas sans qu’on devienne communistes ? Tout le monde a la même allure et le même comportement, et de plus en plus. »
« Les tableaux, j’ai essayé de les faire à la main, mais je trouve que c’est plus facile avec l’écran de sérigraphie. Comme ça, je n’ai pas du tout besoin de travailler sur les objets que je fais. Un de mes assistants, ou n’importe qui d’autre, peut reproduire le motif tout aussi bien que moi. »
« Mes peintures ne correspondent jamais à ce que j’avais prévu, mais je ne suis jamais surpris. »
« Quand je suis obligé de réfléchir à un tableau, je sais que ça ne va pas. Et déterminer les dimensions, c’est une façon de réfléchir, déterminer les couleurs aussi. Mon instinct de peinture me dit : Si tu ne réfléchis pas, c’est bon. Dès qu’on doit décider et choisir, ça ne va plus. Plus on décide, moins ça va. Il y en a, ils peignent de l’abstrait, alors ils restent à réfléchir parce que ça leur donne l’impression de faire quelque chose. (...) »
« Tout le monde est très beau, ou alors personne. »
« A l’avenir chacun aura son quart d’heure de célébrité mondiale. »
« Plus on allait vers l’ouest, plus les autoroutes avaient l’air pop. Tout d’un coup, on s’est tous fait l’effet d’être des initiés, parce que pour nous, le pop s’était le nouvel art, même s’il était partout : c’était ça le truc, la plupart des gens trouvaient ça évident, alors qu’on était tous éblouis. Une fois qu’on est pop, on ne peut plus voir les signaux de la même façon. Et une fois qu’on a commencé à penser pop, on ne peut plus voir l’Amérique de la même façon. A partir du moment où on met une étiquette, on franchit un pas. Je veux dire, on ne peut plus revenir en arrière et voir la chose sans son étiquette. On voyait l’avenir et ça ne faisait aucun doute. On voyait les gens passer devant sans le savoir, parce qu’ils pensaient encore comme autrefois, avec des références au passé. Mais il suffisait de savoir qu’on était dans l’avenir, et c’est comme ça qu’on s’y retrouvait. Il n’y avait plus de mystère, mais les surprises ne faisaient que commencer. »
« Les artistes pop faisaient des images que tous les passants de Broadway pouvaient reconnaître en un quart de seconde : des bandes dessinées, des tables de pique-nique, des pantalons, des personnes célèbres, des rideaux de douches, des réfrigérateurs, des bouteilles de Coca... toutes ces choses modernes formidables, que les expressionnistes abstraits s’efforçaient de ne surtout pas remarquer. »
« Quand on y songe, les grands magasins sont un peu comme des musées. »
« Je ne crois pas que ce soit bientôt la fin du pop’art. Les gens s’i intéressent et l’achètent encore, mais je ne saurais pas vous dire ce que c’est que le pop’art, c’est trop compliqué. Ca consiste à prendre ce qui est dehors et à le mettre dedans, ou à prendre le dedans et à le mettre dehors, à introduire les objets ordinaires chez les gens. Le pop’art est pour tout le monde. Je crois que l’art ne devrait pas être réservé à quelques privilégiés, je crois qu’il doit s’adresser à la masse des américains, et d’ailleurs ils sont généralement ouverts à l’art. Je pense que le pop’art est une forme d’art tout aussi légitime que les autres, l’impressionnisme, etc. Ce n’est pas de la frime. Je ne suis pas le grand prêtre du pop’art, je suis simplement un de ceux qui travaillent là-dedans. Je ne m’inquiète ni de ce qu’on écrit sur moi ni de ce que les gens peuvent penser de moi en le lisant. »
« Tous mes films sont artificiels, et d’ailleurs tout est plus ou moins artificiel. Je ne sais pas où s’arrête l’artificiel et où commence le réel. »
« Si je dois donner un rôle à quelqu’un, je choisis la mauvaise personne. Je suis incapable d’imaginer la bonne personne dans son rôle. La bonne personne pour son bon rôle, ce serait dingue. En plus, aucune personne n’est jamais tout à fait la bonne, parce qu’un rôle au cinéma n’est jamais réel. Alors si on ne peut pas trouver quelqu’un qui convienne parfaitement, il vaut mieux trouver quelqu’un qui soit parfaitement à côté de la plaque. Au moins, on sait qu’on a vraiment quelque chose. »
« Ce qu’on avait à proposer, à l’origine, j’entends, c’était un contenu nouveau et plus libre, un regard sur les gens de la vie réelle. Et même si nos films n’étaient pas très soignés techniquement, jusqu’en 76 le cinéma underground est resté l’un des rares domaines où les gens pouvaient trouver des choses sur des sujets interdits et voir pour de bon des scènes de la vie moderne. »
« Je pense que le cinéma doit absolument flatter les instincts lubriques. Je veux dire, avec cette vie actuelle, les gens sont de plus en plus coupés les uns des autres. Le cinéma doit exciter. Les films de Hollywood ne sont que de la publicité entièrement calculée. Blue Movie était réel. On ne voulait pas faire de la pornographie. C’était un exercice, une expérience. Mais je crois vraiment que le cinéma doit exciter les gens, doit les passionner pour d’autres gens, doit être lubrique. »
« Quand on lit Genet, on se met dans un état pas possible, et du coup, certaines personnes disent que ce n’est pas de l’art. Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il vous fait oublier le style et c’est sortes de choses. Le style n’a vraiment pas d’importance. »
« Je trouve que les films deviennent des romans, et c’est formidable que des gens comme Norman Mailer ou Susan Sontag fassent aussi des films maintenant. C’est la nouvelle forme de roman. Plus personne ne lira désormais. C’est plus facile de faire des films. Le genre de film qu’on fait, c’est comme le livre de poche. Moins cher que les gros bouquins. Les étudiants n’ont plus besoin de lire. Ils peuvent regarder des films, ou les faire. »
« Je ne lis jamais. Je regarde seulement les images. »
« Avant qu’on m’est tiré dessus, je croyais toujours que j’étais plutôt à moitié présent que tout à fait présent. Je me demandais toujours si je ne regardais pas la télé au lieu de vivre ma vie. Quelquefois, les gens disent que la façon dont les choses se passent dans les films n’a rien de réel, mais en fait, c’est la façon dont les choses se passent dans la vie qui n’est pas réelle. Les films donnent de la force et de la réalité aux émotions, alors que si des choses arrivent dans la vie, c’est comme si on regardait la télé, on ne ressent rien. Au moment même où j’ai été blessé, et depuis ce moment là, j’ai su que je regardais la télé. On change de chaîne, mais c’est toujours la télévision. Quand on est directement mêlé à quelque chose, en général, on pense à autre chose. Quand il se passe quelque chose, on en imagine d’autres. Quand je me suis réveillé quelque part (je ne savais pas que c’était l’hôpital, et que Bob Kennedy s’était fait tirer dessus un jour après moi), j’entendais des paroles imaginaires sur des milliers de gens qui priaient et faisaient des scènes, et puis j’ai entendu le mot Kennedy et ça m’a ramené dans le monde la télévision parce que je me suis rendu compte que, bon, j’étais là, et j’avais mal. »
« Le truc, c’est de penser à rien. (...) Ecoutez, le rien, c’est passionnant, c’est séduisant, c’est pas embêtant. (...) »
« Avant les médias, il y avait une limite physique à l’espace qu’une personne pouvait occuper toute seule. Les hommes, il me semble, sont les seules créatures capables de prendre plus de place qu’ils occupent en réalité, parce qu’avec les médias, on peut s’installer chez soi tranquillement et occuper en même temps toute la place sur des disques, dans les films, de manière plus intime au téléphone et la moins intime possible à la télévision. »
« Je trouve que nous sommes un espace vide ici, à la Factory, c’est formidable ; j’aime être un espace vide. Ca me permet d’être tranquille pour travailler. Mais on est embêtés, on a des flics qui viennent tout le temps. Ils croient qu’on fait des choses abominables, et ce n’est pas vrai. »
« De temps en temps, quelqu’un m’accusait de faire le mal, de laisser les gens se détruire sous mes yeux afin de les filmer et de les enregistrer. Mais je ne crois pas être foncièrement mauvais. Je suis simplement réaliste. J’ai appris très jeune que si je deviens agressif, et si j’essaie de dire à quelqu’un ce qu’il doit faire, ça ne sert à rien, il ne se passe rien du tout. J’ai appris qu’en fait on a plus de pouvoir quand on se tait, parce que là, au moins, les gens peuvent se remettre en question. Quand les gens sont prêts, ils changent. Ils ne le font jamais avant, et parfois, ils meurent avant d’être arrivés là. On ne peut pas les faire changer s’ils n’en ont pas envie, et inversement, quand ils en ont envie on ne peut pas les en empêcher. »
« Vous avez vraiment des maux de société quand tout le monde en arrive à jouer à travailler. La seule raison de jouer sérieusement c’est de travailler sérieusement, et non l’inverse comme le croient la plupart des gens. »
« Il y a tellement de concurrence ici (à New York) que le seul moyen de d’en tirer, c’est d’adopter un style dont les autres ne veulent pas. »
« Je dois me faire une idée très approximative du travail, parce que je trouve que le seul fait de rester en vie, c’est beaucoup travailler à quelque chose qu’on a pas toujours envie de faire. Quand on naît, c’est comme si on se faisait kidnapper. Et puis vendre comme esclave. Les gens travaillent tout le temps. La machine fonctionne sans arrêt. Même quand on dort. »
« Je n’ai jamais compris pourquoi, quand on meurt, on ne disparaît pas tout bonnement. Tout pourrait continuer comme avant, à la seule différence qu’on ne serait plus là. J’ai toujours pensé
que j’aimerai avoir une tombe sans rien dessus. Pas d’épitaphe, pas de nom. J’aimerai en fait qu’on lise dessus : fiction. »
toutes citations précédentes tirées de Andy Warhol Rétrospective, catalogue de l’exposition rétrospective présentée au Centre Georges Pompidou du 21 juin au 10 septembre 1990, éditions du centre
Pompidou, Paris, 1990.
« C’est à la surface que le vivant se trame. »
« Supposons que vous soyez sur le point d’acheter un tableau de 200 000 dollars. A mon avis, vous feriez mieux de prendre cet argent, d’en faire une liasse et de l’accrocher au mur. Quand on vous rendrait visite, la première chose qu’on verrait serait l’argent au mur. »
LAURENCE WEINER : artiste conceptuel
américan, né en 1942.
« L’artiste peut réaliser le travail. _ Le travail peut être réalisé par quelqu’un d’autre. _ Le travail ne doit pas nécessairement être réalisé. »
OSCAR WILDE : 1854-1900, écrivain et poète
irlandais
« Comment a-t’on pu dire que l’homme est un animal raisonnable ! Il est tout ce qu’on veut sauf raisonnable ! » (in Phrases et philosophies).
« Aimer c’est se surpasser. » (in Le portrait de Dorian Gray).
WIRGINIA WOOLF : 1882-1941, femme de lettres
et féministe anglaise
« La vie est un rêve, c’est le réveil qui nous tue. »
Y
MARGUERITE YOURCENAR : 1903-1987,
écrivaine d’origine belge.
« J’ai accepté la pureté comme la pire des perversions »
« Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a posé pour la première fois un coup d’œil intelligent sur soi-même. »
(in Les mémoires d’Hadrien).